mercredi 7 mai 2014

Le coeur et le corps

Je travaille d'arrache-pied à un petit livre spirituel pour chaque jour de l'été (parution le 15 juin). Voici juste en guise d'amuse-bouche (si j'ose dire) un texte sur le verset si difficile de l'Evangile de saint Matthieu : "Quiconque regarde une femme avec convoitise a déjà commis l'adultère dans son coeur". Evidemment cet extrait ne contribuera pas à adoucir le jugement de Jacques de Guillebon, qui, dans le dernier numéro de La Nef, trouve que je parle trop de sexe dans mon Histoire du mal. Mais je crois que de telles mises au point peuvent rendre service à plus d'un parmi mes liseurs...Et c'est ce qui m'importe.

L’ensemble du chapitre 5 de saint Matthieu est construit sur cette opposition non explicitée entre la Loi et l’Amour. C’est ainsi par exemple que l’on peut comprendre le verset si difficile : « Vous avez entendu qu’il a été dit : tu ne commettras pas l’adultère. Eh bien ! Moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec elle » (5, 27). Il ne s’agit pas pour Jésus ici de criminaliser le moindre mouvement charnel : l’attrait qu’un homme ressent pour une femme est quelque chose de naturel, qui n’a rien à voir avec « le cœur ». Mais il s’agit de valoriser le cœur, qui est le lieu du choix fondamental entre le bien et le mal : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ». Tu n’es pas seulement ce que tu fais : cet existentialisme biblique, Jésus le radicalise encore. Tu es ce que tu choisis dans ton cœur. Tu es ton cœur. Celui qui ne cherche que le plaisir, même si cela reste purement interne, même s’il n’a jamais l’occasion concrète de manifester ce mauvais penchant, même s’il garde pour lui cette inclination purement sensuelle, celui qui ne regarde une femme que pour la désirer, quand bien même il ne passe pas à l’acte, il ne manifeste pas l’amour de l’autre, le respect de l’autre, l’appréciation de l’autre, mais il  cherche à se satisfaire lui. En ce sens « il a déjà commis l’adultère dans son cœur ». Dans les Béatitudes, on a pu lire cette insistance à désigner le cœur comme le lieu de la pureté : Beati mundo corde. « Heureux ceux qui sont doués d’un cœur pur, car ils verront Dieu ». Il ne s’agit pas d’une pureté purement physique, il s’agit d’une pureté de cœur, car la seule loi qui compte, ce n’est pas la loi extérieure qui norme les comportements, c’est la loi du cœur. Dans son De continentia, saint Augustin insiste beaucoup d'entrée de jeu sur le fait que l'organe de la continence... c'est le coeur. Il est une fois de plus dans le plus pur esprit de l'Evangile.
Jésus commandant l’amour des ennemis, insiste de la même façon sur la droiture du cœur, sur la bonté intérieure qui ne fait pas acception des personnes, qui ne juge pas différemment un ami et un ennemi.

8 commentaires:

  1. C’est lumineux merci Monsieur l’Abbé Ce passage de l’Evangile de Mathieu m’avait toujours quelque peu « interpellé » et je m’étais dit que tous les hommes, nous les premiers, commettions aussi le péché d’adultère en pensée et que personne n’en était indemne, s’il fouillait sa conscience, nous les premiers ! . Comment sortir de cette ambiguïté et de conclure finalement à un certain relativisme ? Car le fait de ne passer à l’action, de ne pas satisfaire notre désir, dévoilait plus parfois notre impuissance qu’autre chose ,et que même dans ce cas nous pouvions cultiver des regrets d’avoir été timorés, et nous repaître de frustrations inavouées ou non.
    En portant l’attention et en dirigeant notre regard sur le cœur et …. son trésor , vous remettez les pendules à l’heure . Ce n’est pas l’attrait naturel, qui est condamné, c’est de ne pas vouloir voir plus loin , de ne pas faire le travail sur nous même, quand nous sommes confrontés à ce qui est, avouons le , difficile d’éviter dans le monde et celui là particulièrement.

    RépondreSupprimer
  2. D'où l'absurdité d'une expression comme "écouter son coeur", qui revient tout simplement à: "écouter son désir", pour employer votre vocabulaire. Dans le même genre, m'insupporte que l'on parle de "refaire sa vie". Car comme le disait le P. Xavier de Chalendar dans une formule angoissante, "nous écrivons notre vie à l'encre indélébile". "Refaire sa vie", c'est croire que nous pouvons (ou qu'il suffit de) tourner la page. De même que nous disposons d'une seule vie, notre vie n'est pas un livre, mais un tableau au fusin. Il n'y a qu'une seule trame, une seule trace, une seule toile, une seule page... à graver. Pas besoin de se prendre au sérieux, mais l'affaire est grave!

    RépondreSupprimer
  3. Et bien vivement le 15 Juin!
    Et si ce petit bouquin est aussi merveilleux que "40 paroles d'Evangile" pour le carême ( ce qui est pratiquement sûr!) , le départ en vacances loin de notre bonne chapelle St Joseph sera adouci!
    Un grand merci par avance cher monsieur l'Abbé!

    RépondreSupprimer
  4. Si l’organe de la continence est le cœur, c’est uniquement parce que le chaste regard est une Grâce et ne peut venir que de Dieu. De soi-même on ne peut rien. On peut se policer, mais gare au retour du refoulé qui reviendrait sous une autre forme, comme par exemple dans l’extase religieuse (c’est juste un exemple, le refoulé est comme la Gorgone, il n’a pas de limite !). Le regard désirant peut aussi se situer « avant » que le sujet en prenne conscience : On regarde une silhouette, de la tête aux pieds, ou on est plus précis… mais avant que cela n’arrive à la conscience, tout est consommé. Rappelons nous ce que Ste Thérèse raconte lorsqu’à 15 ans elle part pour Rome en train. Les séminaristes (ou prêtres, je ne sais plus) la dévisagent drôlement, et la future sainte ne s’y trompe pas. Si Dieu donne la Grâce de la chasteté, le regard purifié servira de barrière contre le regard de l’autre. Il faut être clair avec ça, mais travailler sur soi comme dirait Henri, je n’y crois pas un instant. De même que d’affirmer que l’attrait est naturel, mais de quelle « nature » parle t-on ?

    RépondreSupprimer
  5. Je persiste et je signe : "il faut travailler sur soi et nous purifier parce que nous sommes pécheurs ;et trouver notre véritable trésor. Maintenant le pécheur, justement parce qu'il est pécheur , a souvent sur la grâce qu'il a négligé un regard plus percutant que ceux qui ont déja un regard purifié ou croient l'avoir! . On n'est jamais à l'abri de la tentation et prémuni une fois pour toute!
    Quant à Julien il a raison comme souvent ; on ne peut tourner la page si facilement comme cela, cela nous est malheureusement impossible, et nous le ressentons bien que nos actes nous suivent, mais Dieu n'est il pas plus grand que notre coeur et que l'encre indélibile et ce qui est impossible à l'homme ou au "jeune homme riche" est..possible .à ...... C'est à nous de le découvrir et la femme frivole peut avoir un mot christique, de quête d'un instant encore de grâce, pour s'y abandonner, " encore un instant Monsieur le Bourreau , qui nous dépasse nous comme notre vie qui ne prendra son vrai visage justement qu'à cet instant et balayera ce qui est indélibile.

    RépondreSupprimer
  6. "Le regard purifié sert de barrière" c'est vrai
    "Il faut travailler sur soi" c'est vrai et c'est même obligatoire. La vie chrétienne est une vigilance permanente. Tout doit être utile à l'âme, même si les chûtes et rechutes sont trop nombreuses .Au collège ,il y a fort longtemps , un de nos professeurs , frère des écoles chrétiennes, nous incitait à éviter au maximum lectures et images pernicieuses, nous mettant en garde:" avec cela , vous engrangez de la dynamite et cela vous détruira dans un moment de faiblesse.
    La jeune et chaste Maria Goretti fût béatifiée par Pie XII, son assassin repenti assista à la cérémonie.Il avait à l'époque expliqué son geste par une obsession provoquée par une grande complaisance aux images impures.
    Choses banales aujourd'hui, mais le danger persiste.

    RépondreSupprimer
  7. @Henri: Dieu est plus grand que l'encre indélébile, c'est très beau, je n'"achète" pas (car je déteste cette expression), mais je retiens, en vous offrant en prime un proverbe que nous récitait souvent l'abbé Itty, le prêtre âgé qui nous préparait à la profession de Foi quand déjà, je ne voulais pas la faire -c'était un rescapé des camps-: "La beauté attire, la bonté retient."

    Votre observation, "Dieu est plus grand que l'encre indélébile", non seulement est belle, non seulement est bonne et fait du bien, mais je crois qu'elle définit la Miséricorde divine, la Miséricorde de notre Créateur Qui a vu que ce qu'Il a fait été bon, et l'a retenu par-dessus tout, y compris les eaux du déluge qui ont emporté Sa repentance jusqu'à une Alliance avec tout être vivant pour la durée de la Création!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @julien, Merci , mais cette expression " Dieu est plus grand " m'a été donnée par une bergère de l'Emmanuel à une époque lointaine où nous fréquentions ce groupe , mon épouse et moi à Saint François Xavier à Paris, il y a donc vingt cinq ans ! Et je retiens la vôtre venant de l'abbé Itty " la beauté attire, la bonté retient "

      Supprimer