Beaucoup se demandent de quoi sera fait le
prochain Synode sur la famille. Dans l'avion qui le ramenait des Etats-unis, le pape, répondant à Jean-Marie Guénois, journaliste religieux au Figaro, a invité les fidèles à se référer à l'Instrumentum laboris, paru depuis le 20 juin dernier. Cet "instrument de travail" propose en effet comme un sommaire des questions qui seront discutées au Synode et indique déjà de quelle manière elles pourront trouver une solution. La Croix a fait paraître sa propre
traduction du n°123 de l'Instrumentum laboris, faisant le point sur l’épineuse question des divorcés
remariés. Je la cite.
On y distingue comme deux camps : « Les uns suggère un
parcours de prise de conscience de l’échec et des blessures qu’il a produites,
avec repentance, une éventuelle vérification de nullité de mariage, un
engagement à la communion spirituelle et la décision de vivre dans la
continence. D’autres par voie pénitentielle, entendent un processus de
clarification et de nouvelle orientation, après l’échec vécu, accompagné d’un
prêtre ainsi délégué. Ce processus devrait conduire l’intéressé à un jugement
honnête sur sa propre condition, sur laquelle le prêtre puisse aussi mûrir son
évaluation, afin de faire usage de son pouvoir de lier ou de dissoudre, selon
la situation ».
La première position apparaît déjà comme caricaturale,
puisque l’on ne dit rien de l’accélération (nécessaire) des procédures de
nullité et que l’on ne précise pas que « la décision de vivre dans la
continence » permet aux époux séparés de recevoir la communion sacramentelle.
L’exposé de la deuxième position n’est pas beaucoup plus
clair. L'Instrumentum insiste sur « une évaluation du prêtre », qui du coup
« pourra faire usage de son pouvoir de lier ou de dissoudre ». Quel
pouvoir ? Qu’on dise, comme les orthodoxes, que l’évêque, successeur des
apôtres, a le pouvoir de lier ou de délier (cf. Matth. 18, 18), passe
encore ! Mais que l’on confère ce pouvoir au simple prêtre, qui aura pu
« évaluer » son client… C’est dérisoire !
Evidemment les tenants d'une évolution nette de la pastorale du mariage diront
très haut : je ne touche pas à la Loi du mariage, elle reste intangible, elle sera toujours enseignée à ceux qui veulent se marier. Mais en
faisant appel au simple prêtre délégué, on donnera un droit à l’exception et, tout en paraissant ne pas y toucher, on
videra la règle de sa signification… Là encore, cela se fera au mépris de ces laïcs chrétiens
qui se sont efforcés quoi qu’il en coûte de vivre leur foi dans le cadre de la
discipline traditionnelle de l’Eglise, issue directement et sans faux col de la Parole du Christ.
On avait beaucoup dit que la réaction forte des cardinaux
conservateurs allait épargner à l’Eglise de nouveaux déchirements lors du
deuxième synode sur la famille en octobre prochain. La publication précise de
l’Instrumentum laboris indique tout le contraire. Ecoutez le pape et lisez-le !
(Une première version de cet article est parue dans le numéro d'été de Monde et Vie. Je n'ai malheureusement pas eu besoin de beaucoup le modifier ici)
Monsieur l'abbé, Que pensez-vous des rassemblements devant la nonciature les 3, 10, et 17 octobre organisés par Civitas pour donner un avis simplement catholique? Est-ce de l'activisme malséant ou inopérant? J'aimerais avoir votre point de vue.
RépondreSupprimerInstrumentum laboris ne veut pas dire "instrument de travail" mais "document de travail". Il fut un temps où l'on apprenait cela au séminaire.
RépondreSupprimerUne petite précision: ce n'est pas au séminaire mais dans les facultés de droit que l'on apprend qu'un instrumentum, dans son sens français, est "le contrat au sens matériel, c’est-à-dire l’ensemble des documents contractuels" (etc etc). C'est ce que vous nommez un peu largement un "document".
SupprimerDans les séminaires, c'est moins le droit des affaires que le latin qui est enseigné. Instrumentum y est alors pris dans son sens... latin, c'est-à-dire d'instrument. Synonyme: utensilia.
Monsieur l'abbé,
RépondreSupprimerJ'espère ne pas faire une lecture superficielle de votre article en interjetant les quatre remarques suivantes:
1. De quelque côté que l'on regarde, un chemin pénitentiel est toujours proposé pour l'accès éventuel à l'eucharistie des divorcés remariés. En son temps, vous avez critiqué sévèrement celui du cal Kasper que vous trouviez minimaliste. Il me semblait au contraire que la reconnaissance du péché entourant l'échec des divorcés remariés y était particulièrement mise en relief, avec un chemin de retour à la communion sacramentelle et avec la communauté de l'Eglise qui n'était pas sans rappeler le retour public que devaient faire les baptisés convaincus de péché public avant que n'existe la confession auriculaire. Sans vous chercher systématiquement querelle, je me demande si vous n'avez pas critiqué ce chemin pénitentiel par réflexe conditionné contre un prélat à qui vous reprochiez d'être un grand promoteur de l'oecuménisme. Mais surtout je me demande si la critique traditionaliste très acerbe contre le cardinal Kasper n'a pas abouti comme souvent à l'effet inverse du but recherché, à savoir qu'on fait à présent une proposition encore plus minimaliste que ce chemin pénitentiel exigeant un haut degré de repentance. Cela a d'ailleurs commencé, en amont du synode et pour lui donner le ton de la volonté du pape, par le bradage des procès en nullité qui se feront plus vite que le prononcé du divorce civil et avec un certain mépris de la réalité des relations au nom de la maturité requise pour qu'un amour soit vrai et indissoluble.
2. Il y a un curieux paradoxe à assister, aussi bien dans le motu proprio de Benoît XVI visant la libéralisation de la célébration de la messe de Saint-Pie V que dans cet instrumentum laboris, au retour du curé dans sa charge apostolique et pastorale au moment même où, au nom de la collégialité sous le pontificat de françois, dans les faits sous Benoît XVI, le rôle propre du curé comme "empereur en sa paroisse" s'était vu confisquer par les évêques et par les conférences épiscopales, évêques qui ont fait capoter le motu proprio de benoît XVI par une pratique très dirigiste de l'administration des sacrements dans les diocèses.
3. Au cas où le second schéma serait retenu par le synode, c'est-à-dire celui qui donnerait le dernier mot de la discipline du Sacrement eucharistique au curé pour les divorcés remariés, cela ne ferait qu'entériner en l'officialisant une pratique que j'ai toujours vue être observée, depuis au moins la fin des années 1970 où j'ai commencé à m'intéresser au sujet. En pratique, un pénitent divorcé va voir son curé, et c'est lui qui prend sur lui de lui permettre ou non de communier. Et la permission lui est généralement accordée par le curé au nom de la tradition miséricordieuse de l'Eglise.
4. Je voudrais enfin dire un mot de la Miséricorde elle-même.
Le chrétien ne mesure pas sa grandeur. La Miséricorde ne consiste en effet pas seulement à ce que Dieu mette loin de lui son péché, c'est-à-dire loin de sa conscience immédiate pour ne pas asphyxier la psychologie du pécheur; mais Dieu efface et oublie le péché.
Or au lieu d'entrer dans le pardon et dans l'oubli de dieu de son péché, le chrétien continue de le ressasser en regardant en arrière avec une certaine complaisance au mal. Or il est encouragé dans cette complaisance à ne pas renaître parce que l'Eglise lui suggère qu'il doit s'assurer lui-même qu'il est en état de Grâce et non de péché grave ou mortel. Le pécheur pardonné vit dans une tension existentielle qui efface le pardon de Dieu et qui est d'autant plus déséquilibrée que le chrétien n'est pas son propre juge. Il faudrait sans doute nuancer ce dernier propos avec ce qui se passera au Jugement dernier, mais il est globalement conforme à ce que la Révélation nous enseigne.
Bravo Julien !
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