- LUI : Parler de la joie, c'est une gageure. Ou un passe temps d'adolescent. On peut se demander si, lorsqu'on parle de la joie, ce n'est pas surtout parce qu'on ne la connaît pas. On en parle ou on en parlerait pour la faire advenir, pour la capter dans l'incantation du langage. La joie, on l'a ou on ne l'a pas. Alors... à quoi bon... y réfléchir ?
- MOI : A quoi bon ? Croyez-vous vraiment ? Ce langage signifierait que nous n'avons rien à découvrir de nous-mêmes, que nous sommes entièrement dans l'instant qui nous porte, que nous n'avons aucune épaisseur. Ce langage instantanéiste du j'y suis, j'y suis pas, du je m'éclate ou je m'emm... signifierait que l'idée même de vie intérieure (ce dialogue permanent de soi avec soi qui nous constitue nous-mêmes) serait périmée... Notre vie intérieure serait-elle devenue inaccessible ? Ne serait-ce plus qu'un mot que l'on prononcerait uniquement pour se donner bonne conscience ?
- LUI : Eh bien oui ! A quoi bon la vie intérieure ? La conscience qui revient sur elle-même est toujours malheureuse. Essayer de comprendre, c'est toujours se préparer à souffrir. Vraiment très peu pour moi. je vis beaucoup mieux sans me poser de questions.
- MOI : Beaucoup mieux ? Nous sommes effectivement dans la société de l'euphorie obligatoire. L'essentiel est d'afficher en toute circonstance le sourire "Cheese" qui va bien (qui n'attire pas l'attention), quitte à consommer pour cela quelques pilules, remboursées par la Sécurité sociale. Nous vivons dans une sorte de fuite en avant vers le bonheur, qui, il faut bien le reconnaître, malgré les apparences publicitaires et les paradis artificiels, constitue comme le contraire de la joie. Ce bonheur (qui n'est qu'un banal bien être) se consomme, tout en surface. la joie, elle, vient toujours de la vie intérieure. La joie vient de loin ! C'est pour cela du reste que, contrairement au bonheur, que l'on peut apprendre dans les Manuels du Savoir vivre républicain, la joie ne s'apprend pas dans les livres... Pour réaliser le bonheur républicain, il suffit de descendre, avec son sourire bien accroché, à la fête des voisins. "Tous ensemble, tous ensemble... Fra-ter-ni-té". le bonheur se décrète, au niveau personnel et même au niveau social ou politique. La joie ? C'est plus compliqué.
- LUI : Vous le voyez, j'avais raison de dire que parler de la joie ne sert à rien. Vous reconnaissez vous-même que la joie ne s'apprend pas dans les livres et que ce n'est pas en en parlant qu'on en découvre le mode d'emploi...
- MOI : La joie ne s'apprend pas dans les livres, elle s'apprend à travers un effort persévérant pour une véritable connaissance de soi. Je viens de prononcer le mot clé : "véritable". La joie ne fait jamais l'économie de la vérité et la vérité dont elle naît, c'est d'abord cette vérité personnelle que l'on nomme connaissance de soi.
- LUI : C'est curieux, je pensais qu'en tant que prêtre, vous alliez dire, comme vous l'avez déjà écrit ici ou là : "la joie c'est le regard sur Dieu".
- MOI : J'aime beaucoup cette formule de Dom Augustin Guillerand, qui continue : "Et la tristesse, c'est le regard sur soi"...
- LUI : Décidément vous nagez dans la contradiction. Vous venez de dire qu'il n'y a pas de joie sans connaissance de soi et maintenant vous excluez tout regard sur soi. il faut savoir ce que vous dites... Vous êtes dans une évolution permanente !
- MOI : Mes amis me le reprochent parfois. Je pense surtout que le réel est compliqué et qu'il faut, comme dit Pascal, "tenir les deux bouts de la chaîne". Comment les faire tenir, ces deux bouts, en une seule phrase ? Disons que la joie ne va jamais sans la connaissance de soi et de sa propre vérité intérieure (allez, disons le : de ses défauts) ; mais cette connaissance de soi ne polarise pas notre regard sur l'image que nous nous faisons de nous-même. Au contraire, en appaisant notre inquiétude, elle nous débarrasse de ce souci de soi dans lequel s'enferment parfois même les meilleurs, et elle nous rend ainsi disponible à la grâce.
Je ne crois pas que l'on trouve Dieu en descendant en soi-même, mais je pense que, sans la connaissance de soi, même les joies apparemment les plus spirituelles pourraient bien relever de l'illusion.
- LUI : Vous voulez dire que le regard sur soi ne saisit jamais qu'une image et un terrible jeu de miroir. Dont acte. Mais alors, je repose ma question autrement, qu'est-ce que la connaissance de soi ?
- MOI : Le Christ dans l'Evangile répond directement à cette question, lorsqu'il dit (c'était dans la messe d'hier, mardi ce me semble) : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière". la première condition pour se connaître soi même, c'est de ne pas affectionner l'obscurité, de ne pas craindre la lumière, où "nos oeuvres sont manifestées". Se connaître soi-même, ce n'est pas descendre en soi (on risque le jeu de miroir que vous évoquiez fort bien à l'instant). Se connaître soi même, c'est accepter de porter toutes ses oeuvres à la lumière... En termes plus modernes : c'est jouer cartes sur table. Il n'y a pas de joie pour ceux qui se complaisent dans le secret (ou dans le complot). "Ce que vous avez entendu à l'oreille dit l'Evangile, criez le sur les toits".
Voilà une condition nécessaire de la joie : s'affranchir du secret. La joie procède non d'une improbable spéléologie intérieure, mais de ce désir inextinguible de vérité, qui, nous dit saint Thomas dans la Contra gentes, doit nous mener jusqu'à Dieu.
LUI : Si je vous comprends bien, lorsque vous parliez tout à l'heure de vie intérieure, lorsque vous évoquiez l'épaisseur et le retrait, vous cherchiez simplement à donner du temps à votre approche de la lumière. la joie ne serait-elle pas dans l'acceptation d'un délai ? La joie ne serait-elle pas tout entière dans cette vertu du délai qu'on appelle l'espérance ? Ce que nous avons à découvrir de nous mêmes n'est pas à l'intérieur, comme vous tentiez de le dire, mais en avant...
Dans ce dialogue MOI et LUI sont évidemment un seul et même imbécile.
- MOI : A quoi bon ? Croyez-vous vraiment ? Ce langage signifierait que nous n'avons rien à découvrir de nous-mêmes, que nous sommes entièrement dans l'instant qui nous porte, que nous n'avons aucune épaisseur. Ce langage instantanéiste du j'y suis, j'y suis pas, du je m'éclate ou je m'emm... signifierait que l'idée même de vie intérieure (ce dialogue permanent de soi avec soi qui nous constitue nous-mêmes) serait périmée... Notre vie intérieure serait-elle devenue inaccessible ? Ne serait-ce plus qu'un mot que l'on prononcerait uniquement pour se donner bonne conscience ?
- LUI : Eh bien oui ! A quoi bon la vie intérieure ? La conscience qui revient sur elle-même est toujours malheureuse. Essayer de comprendre, c'est toujours se préparer à souffrir. Vraiment très peu pour moi. je vis beaucoup mieux sans me poser de questions.
- MOI : Beaucoup mieux ? Nous sommes effectivement dans la société de l'euphorie obligatoire. L'essentiel est d'afficher en toute circonstance le sourire "Cheese" qui va bien (qui n'attire pas l'attention), quitte à consommer pour cela quelques pilules, remboursées par la Sécurité sociale. Nous vivons dans une sorte de fuite en avant vers le bonheur, qui, il faut bien le reconnaître, malgré les apparences publicitaires et les paradis artificiels, constitue comme le contraire de la joie. Ce bonheur (qui n'est qu'un banal bien être) se consomme, tout en surface. la joie, elle, vient toujours de la vie intérieure. La joie vient de loin ! C'est pour cela du reste que, contrairement au bonheur, que l'on peut apprendre dans les Manuels du Savoir vivre républicain, la joie ne s'apprend pas dans les livres... Pour réaliser le bonheur républicain, il suffit de descendre, avec son sourire bien accroché, à la fête des voisins. "Tous ensemble, tous ensemble... Fra-ter-ni-té". le bonheur se décrète, au niveau personnel et même au niveau social ou politique. La joie ? C'est plus compliqué.
- LUI : Vous le voyez, j'avais raison de dire que parler de la joie ne sert à rien. Vous reconnaissez vous-même que la joie ne s'apprend pas dans les livres et que ce n'est pas en en parlant qu'on en découvre le mode d'emploi...
- MOI : La joie ne s'apprend pas dans les livres, elle s'apprend à travers un effort persévérant pour une véritable connaissance de soi. Je viens de prononcer le mot clé : "véritable". La joie ne fait jamais l'économie de la vérité et la vérité dont elle naît, c'est d'abord cette vérité personnelle que l'on nomme connaissance de soi.
- LUI : C'est curieux, je pensais qu'en tant que prêtre, vous alliez dire, comme vous l'avez déjà écrit ici ou là : "la joie c'est le regard sur Dieu".
- MOI : J'aime beaucoup cette formule de Dom Augustin Guillerand, qui continue : "Et la tristesse, c'est le regard sur soi"...
- LUI : Décidément vous nagez dans la contradiction. Vous venez de dire qu'il n'y a pas de joie sans connaissance de soi et maintenant vous excluez tout regard sur soi. il faut savoir ce que vous dites... Vous êtes dans une évolution permanente !
- MOI : Mes amis me le reprochent parfois. Je pense surtout que le réel est compliqué et qu'il faut, comme dit Pascal, "tenir les deux bouts de la chaîne". Comment les faire tenir, ces deux bouts, en une seule phrase ? Disons que la joie ne va jamais sans la connaissance de soi et de sa propre vérité intérieure (allez, disons le : de ses défauts) ; mais cette connaissance de soi ne polarise pas notre regard sur l'image que nous nous faisons de nous-même. Au contraire, en appaisant notre inquiétude, elle nous débarrasse de ce souci de soi dans lequel s'enferment parfois même les meilleurs, et elle nous rend ainsi disponible à la grâce.
Je ne crois pas que l'on trouve Dieu en descendant en soi-même, mais je pense que, sans la connaissance de soi, même les joies apparemment les plus spirituelles pourraient bien relever de l'illusion.
- LUI : Vous voulez dire que le regard sur soi ne saisit jamais qu'une image et un terrible jeu de miroir. Dont acte. Mais alors, je repose ma question autrement, qu'est-ce que la connaissance de soi ?
- MOI : Le Christ dans l'Evangile répond directement à cette question, lorsqu'il dit (c'était dans la messe d'hier, mardi ce me semble) : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière". la première condition pour se connaître soi même, c'est de ne pas affectionner l'obscurité, de ne pas craindre la lumière, où "nos oeuvres sont manifestées". Se connaître soi-même, ce n'est pas descendre en soi (on risque le jeu de miroir que vous évoquiez fort bien à l'instant). Se connaître soi même, c'est accepter de porter toutes ses oeuvres à la lumière... En termes plus modernes : c'est jouer cartes sur table. Il n'y a pas de joie pour ceux qui se complaisent dans le secret (ou dans le complot). "Ce que vous avez entendu à l'oreille dit l'Evangile, criez le sur les toits".
Voilà une condition nécessaire de la joie : s'affranchir du secret. La joie procède non d'une improbable spéléologie intérieure, mais de ce désir inextinguible de vérité, qui, nous dit saint Thomas dans la Contra gentes, doit nous mener jusqu'à Dieu.
LUI : Si je vous comprends bien, lorsque vous parliez tout à l'heure de vie intérieure, lorsque vous évoquiez l'épaisseur et le retrait, vous cherchiez simplement à donner du temps à votre approche de la lumière. la joie ne serait-elle pas dans l'acceptation d'un délai ? La joie ne serait-elle pas tout entière dans cette vertu du délai qu'on appelle l'espérance ? Ce que nous avons à découvrir de nous mêmes n'est pas à l'intérieur, comme vous tentiez de le dire, mais en avant...
Dans ce dialogue MOI et LUI sont évidemment un seul et même imbécile.
La joie est-elle l’apanage du chrétien ?
RépondreSupprimerChez le profane (pas n’importe quel profane, « celui qui croit de tout son athéisme», selon Gustave Thibon), la joie, accord de soi avec la beauté du monde, est déjà vive. Cet accord mélodique, pour n’être pas livré aux caprices de l’humeur, suppose bel et bien une connaissance par chacun de la gamme personnelle de son âme, qui accueille cette musique sans la créer vraiment. En effet, pas plus que le piano n’écrit la sonate, le fond de l’âme ne produit la joie de toutes pièces, mais un bon fonctionnement du piano est nécessaire au jeu de la sonate. Il n’est de joie comme de spiritualité qu’incarnées.
Quant au chrétien conscient de ces conditions propres à sa nature, il dispose d’un avantage sur le profane « thibonien », dans la mesure où il peut saisir dans la beauté du monde la bonté de son Créateur. Ce qui lui permet de donner en réponse plus d’ampleur à sa quête.
Par ailleurs, la joie et le secret s’opposent-ils ? Oui, si le secret en question est dissimilation (envers soi-même et envers les autres). Mais, dans une perspective différente, celle de la distance intérieure ouverte sur le don, il peut s’agir de la simple réserve que Chesterton attribue au Christ, portant constamment au fond de lui une puissante allégresse. Au-delà des variantes que ces formes représentent, le vin des convives de Cana, le Magnificat de Marie et la joie calme et profonde du Christ sont-elles les expressions d’une même réalité.
Pour le commun des mortels : autant de personnalités, autant de formes de joie. Ainsi de la diversité d’attitudes des santons de la crèche, communiant tous dans une même Espérance. Le ravi n’est pas moins joyeux que le tambourinaire. Cette allégorie populaire du mystère de la personne ne contribue-t-elle pas d’ailleurs souvent à la joie de Noël ? Dans la réalité ordinaire, un tel, face à la vie, a la joie discrète du jardinier, muet d’une admiration renouvelée devant la floraison de mai. Telle autre, à la personnalité magnifiquement solaire, en annonçant à ses amis la nouvelle d’un heureux évènement familial, exprime-t-elle d’une manière radieuse et communicative une joie vive qu’un autre membre de la famille dira encore selon sa propre voie.
Quelles que soient leurs formes, les joies authentiques se distinguent désormais aisément. A l’heure où la société de défiance, triste par nature, domine provisoirement, s’est en effet établie une industrie efficace de fausses joies en tous genres. Dont il faut rire !