lundi 29 juin 2009

Crise des vocations: la contribution involontaire de leFigaro.fr

Le hasard faisant parfois bien les choses, deux articles se sont retrouvés juxtaposés sur la page d'accueil du site du Figaro. Une image, deux titres - cela suffit pour suggérer un début de solution au problème posé.

L'abbé Laguérie : 30 ans de sacerdoce

Voici le canevas du sermon que j'ai prononcé en l'église Saint Eloi, hier à cette occasion.

Cher M. l'abbé,

"A tout prendre écriviez-vous en juin 1985, dans la première décennie de votre sacerdoce, il n'y a que deux sortes d'homme : ceux qui scrutent les oeuvres de Dieu pour savoir s'ils daigneront lui faire confiance, et ceux qui font d'abord confiance à Dieu pour qu'Il daigne leur donner l'intelligence".

Cher M. l'abbé, le très jeune curé parisien que vous étiez alors, comme tous les prêtres sentinelle avancée, sentinelle isolée, aux prises avec le terrible mystère du mal, aux prises avec la puissance du mal dans les coeurs comme dans la société, avait fait de son confessional une guérite où accomplir chaque jour le merveilleux travail de passeur d'âme, un passeur très compatissant à la misère, non un peseur d'âme scrupuleux, exact et décourageant, un passeur rassurant qui travaille pour la vie, qui est fait pour sauver et non pour détruire à l'exemple de son Maître le Christ,un passeur qui se pose peu de questions sur lui-même, malgré les bleus à l'âme qu'il contracte dans son ministère, parce qu'il a décidé, une fois pour toutes, de faire confiance.

Son arme, c'est la confiance ! Un trait, cher M. l'abbé, que retrouve dans votre physionomie quiconque accepte de l'y chercher. Un trait qui caractérise votre vie de découvreur. Jeune curé, ne refusant jamais une confession, vous avez été un découvreur d'âmes. Combien de fidèles vous doivent, ici, dans cette église, d'avoir retrouvé la confiance en eux-mêmes - ou la confiance en Dieu, mais c'est la même chose car Dieu est si proche de nous ! - d'avoir compris quel était leur potentiel. Et combien de jeunes prêtres, ayant servi sous vos ordres,, vous doivent leur confiance crâne dans la puissance de leur sacerdoce.

A Saint Nicolas du Chardonnet, il y avait la guérite du confessional. Combien de temps y passions nous chaque dimanche. Il ne se passait pas de dimanche sans qu'il nous soit donné d'assister à un retour à Dieu après 30 ou 40 ans d'oubli de Dieu. Rien de tel pour former des coeurs de prêtres. Mais il y avait aussi l'autel, le Mont Thabor où nous montions pour tutoyer Dieu en latin, toujours seuls face à lui, même lorsque, derrière, les fidèles se comptaient par milliers. La puissance de notre sacerdoce, vous en renouveliez l'expérience pendant quatorze ans chaque jour, elle est liée intrinsèquement à la puissance non pareille de ce rite vraiment extraordinaire que Benoît XVI aime appeler le rite classique. C'est le saint Sacrifice de la messe qui donnait à votre parole en chaire, malgré votre jeunesse, ce je ne sais quoi d'autorité et de force qui fit bientôt partie de votre personnage.

Il me faut évoquer aussi les repas entre prêtres, ces moments où nous touchions du doigt la fraternité sacerdotale. Rien à voir avec une vie de communauté compassée parce qu'obligatoire. Souvent vous mettiez sur le tapis un sujet et vous laissiez vicaires, recteur ou directeur en discuter à perte de vue. Et puis bien sûr, vous proposiez votre arbitrage à la fin de repas, qui parfois empiètaient sur l'après midi. La théologie devenait ainsi un merveilleux "gai savoir" !

Mais la vie ne s'arrête jamais. En 1998, vous voici à Bordeaux, avec un défi en tête : recommencer ici Saint Nicolas du Chardonnet. Pour cela, il fallait une église. Il y en aura deux. D'abord Sainte-Colombe, à Saintes, un hangar pour peintres en bâtiment, dont vous faites redécouvrir à tous la splendeur XVIème siècle, ensevelie sous les alluvions et les outrages du temps.Ensuite, à Bordeaux, Saint Eloi, défiguré par 20 ans d'abandon et de squatt, Saint Eloi qui à travers vos mains de tailleur de pierres - car vous vous êtes fait tailleur de pierres pour la circonstance, un talent à ajouter à tant d'autres, à tous ces dons que le bon Dieu vous a fait à profusion - a retrouvé sa dignité séculaire au coeur de la ville.

Il faut bien le dire, ces réussites qui incontestablement sont les vôtres, cette faculté de rebondir et de transformer à vos mesures le théâtre des opérations, cela inquiète vos supérieurs. Devrais-je le dire ? Votre supériorité par rapport à l'événement, vos supérieurs auraient tendance à la prendre comme une menace. Sainte Colombe à Saintes ? Inutile, vous dit-on et même nuisible parce que cela perturbe l'apostolat en place. Saint-Eloi à Bordeaux ? Incroyable et vaguement inquiétant pour l'avenir.

C'est à ce moment, M. l'abbé, que l'on voit saillir encore ce trait essentiel de votre personnalité sacerdotale : la confiance. Vous l'avez donnée aux autres, aux fidèles et aux prêtres. Mais elle est aussi votre carburant personnel. Vous avancez à la confiance. et la confiance que vous aviez mise avec tant d'entièreté en Mgr Marcel Lefebvre, qui fut pour vous non seulement l'évêque rovidentiel maisl'homme unique - un père et un tuteur dans votre sacerdoce - cette confiance disparut peu à peu. La confiance était un peu votre musique intérieure, votre rythme d'actions à l'extérieur. Et vous avez peu à peu découvert, vous qui êtes aussi musicien, que l'on voulait vous faire jouer une musique incompréhensible. l'autorité qui fait confiance devient l'autorité qui soupçonne. L'autorité qui construit devient l'autorité qui détruit. Corruptio optimi pessima, j'abandonne ce jgement peut-être un peu sévère à ceux qui comprennent le latin.
Alors intervient le divorce, non pas parce que vous auriez changé, non pas parce que vous vous seriez lassé. Ce n'est pas un divorce avec la cause, c'est un divorce avec les hommes qui entendent incarner la cause. Vous vous tournez alors tout naturellement vers Rome, pour retrouver la confiance que vous avez voulu faire à Dieu dès le début et que vous avez toujours placée concrètement dans l'autorité religieuse à laquelle vous vous donniez.

Commence alors l'aventure la plus extraordinaire de votre existence. Incrédulité des journalistes. Stupeur de vos meilleurs ennemis. A peine quittée la FSSPX, voilà que vous créez avec quelques amis prêtres, l'Institut du Bon Pasteur dont vous rédigez les statuts. Vous recevez de Rome le pouvoir de faire des enfants, je veux dire de treansmettre votre sacerdoce, en appelant aux ordres ceux que vous aurez choisi. 8 septembre 2006, fête de la Nativité de Marie, jour où vous signez, avec le cardinal Castrillon Hoyos, le jour qui pèse le plus lourd dans votre existence de prêtre.

Qu'est-ce que l'Institut du Bon Pasteur ? Un clone de la FSSPX ? Un jumeau tardillon de la FSSP ? Un rival de l'Institut du Christ Roi ? Rien de tout cela ! Autre chose ! Des chevau-légers, uniquement déterminés par leur tâche pastorale. des prêtres animés par la confiance dans leur sacerdoce. Dans l'Eglise. dans le Christ. A votre image. Pas des fonctionnaires de Dieu, qui distribuent les sacrements à heure fixe ! Des battants imaginatifs et prêts à tout. Vous avez, me glisse-t-on à l'oreille, une expression pour dire cela : des grenadiers voltigeurs.

La différence de l'IBP, c'est vous, c'est nous, ce sont les fidèles de Saint Eloi, qui ont pesé lourd dans la balance au moment de la création de l'Institut. Vous voulez aujourd'hui vous consacrer tout entier à votre tâche de supérieur général, en venant à Paris. Nos prières vous accompagnent. Et nos voeux pour la prochaine décennie de votre jeunesse sacerdotale.

mercredi 24 juin 2009

Une poussée de fièvre plutôt rassurante

Mgr Marc Aillet a dit sa réprobation de la Gay Pride organisée à Biarritz:
«Les revendications tapageuses de groupes pour la plupart étrangers à la ville de Biarritz ne représentent pas, et de loin, la conviction profonde qui anime les personnes homosexuelles. Il suffit de lire tel ou tel témoignage pour comprendre à quel point celles-ci sont en souffrance. Outre le fait que la jeunesse, particulièrement les enfants, n’a pas besoin de voir affichées des revendications aussi agressives, une telle licence sexuelle exposée sur la voie publique ne peut avoir que des effets négatifs sur la moralité sociale et le bon sens de la majorité de nos concitoyens.»
Il l’a écrit à Didier Borotra («Je tenais à vous communiquer en toute simplicité ces quelques réflexions») qui est maire de Biarritz. Lequel n’a pas apprécié la prise de position de l’évêque («j’ai eu honte à la lecture de votre lettre») et le lui fait savoir :
«En tant qu’homme politique, je ne me mêle jamais des affaires de l’Eglise et je vous conseille d’en faire autant.»
… et aussi :
«De toute évidence, vous ignorez les lois de la République»
On peut argumenter que les lois de la République, justement, autorisent le citoyen Marc Aillet à exprimer son avis, même négatif, même concernant un élu local. Mais je ne crois pas que ce soit cela qui est en cause.

Ce qui est en cause ce n’est pas qu’un évêque ou un prêtre prenne position. Personne n’a jamais reproché aux évêques de France de s’exprimer sur les sujets les plus divers - ils ne s'en privent d'ailleurs pas: «le développement de l’Union européenne a été un facteur de paix et de prospérité», «les événements qui se déroulent depuis plusieurs semaines à Gaza sont effroyables» ou encore «dans la France d’aujourd’hui, serait-il moins risqué de frapper sa femme que son chien?». Personne n'a jamais reproché non plus à l'abbé Pierre de s'intéresser à des questions sociales.

Ce qui est insupportable à la France de 2009 c’est que Mgr Marc Aillet aille contre le courant. Qu’il s’exprime comme tout le monde (paix=bien, violence=mal) et c’est bien volontiers qu’on lui passera le micro. Qu'il aille dans le sens général, et on rendra hommage à son courage. Mais que sur d’autres sujets il ne chante pas en chœur, et c’est la levée de bouclier sur l'air de «de quoi se même-t-il?!». Hargne, quolibets et trépignements. Ces poussées de fièvres (Benoît XVI et les capotes, Mgr Aillet et la Gay Pride) seront d’autant plus fréquentes que la société se déchristianisera, et que l’Eglise fera entendre son message.

Il n’y a pas à s’en inquiéter. C’est même plutôt rassurant. Le Saint Père l’a redit, «Jésus a été en fait ‘un signe de contradiction’ (Lc 2, 34), et il continue à l’être, même de nos jours».

mardi 23 juin 2009

La sainteté "light" et le désir de Dieu

Il y a des anglicismes qui n'ont pas d'équivalents en français, celui-là par exemple, que l'on peut facilement rapprocher d'un autre : soft, par exemple dans l'expression si bien trouvée soft idéologie qui caractérise notre aujourd'hui. Les idéologies ont perdu leur mordant, c'est incontestable. Elles n'ont rien perdu de leur prégnance. Nous restons englués dans une vision du monde où le positionnement idéologique (devenu virtuel pourtant et quasi vide de signification) a plus d'importance sociale que la pensée personnelle. On peut penser que c'est moins grave, l'idéologie, parce que c'est soft : plus d'Auschwitz, plus de Goulags. Mais toujours moins de force vitale. Toujours moins de pensée. Toujours moins de responsabilités personnelles. Toujours plus de confort. Toujours plus de consensus. toujours plus conformité collective et de conformisme.

Ce conformisme, saint Paul nous l'interdit : Nolite conformari huic saeculo, ne vous conformez pas à ce siècle. Quand il y a unanimité quelque part sur un pb moral ou spirituel, c'est mauvais signe ! Ne vous conformez pas, ne rentrez pas dans la logique de l'imitation, qui, comme l'explique René Girard est celle de l'envie. Ou alors - toujours saint Paul - "Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ".

La seule imitation qui n'est pas mortifère est celle du Christ. Pourquoi ? Bérulle, le grand cardinal de la dévotion française l'explique à l'envi, cette imitation-là n'est pas de notre fait, elle se réalise en nous par lui. Il le dit et le répète : "Jésus est le vrai peintre de soi-même". Son éclat se reproduit sur nos âmes comme sur des miroirs, sans que nous y prenions garde. C'est lui qui s'imite en nous. Ou alors c'est artificiel. Ou alors nous essayons de l'imiter sans beaucoup de succès.

Est-ce à dire que nous sommes purement passifs et que les quiétistes ont raison ? Non ! Pour que le Christ s'imite en nous, encore faut-il que nous l'admirions, que nous nous tournions vers lui, que nous désirions comprendre son image. Un miroir ne reflète rien s'il est mal orienté. Si nous ne nous orientons pas de toute notre liberté vers le Christ, le Christ ne peut pas s'imiter en nous.

Nous, c'est vrai, nous aimerions imiter ce que nous comprenons de lui. Pour l'un ce sera son humilité. Pour l'autre, sa puissance sur les foules. Pour un troisième sa proximité merveilleuse avec le Père. Si nous n'aimons pas assez le Christ, si notre amour n'est pas assez actif, s'il n'est pas vraiment inconditionnel, alors nous choisissons tel ou tel aspect du Christ, tel ou tel enseignement du christianisme.

Celui qui est vraiment actif, non seulement il choisit tout, mais il est prêt à tout, à n'importe quel moment de sa vie, sans souci de cursus ou de ses préférences personnelles. Cette "indifférence", caractérisée génialement par saint Ignace dans ses Exercices, n'a rien à voir avec la passivité du fatalisme. Cette indifférence est le propre de celui qui, littéralement est prêt à tout. La sainteté c'est cela : être prêt à tout pour Dieu et avec Dieu.

Dans toute sainteté, il y a une forme de radicalisme. Pas de demi mesure. Pas de demi foi. La sainteté disait sainte Thérèse d'Avila, c'est quelque chose de viril : "Soyez viriles mes filles". La sainteté ne procède pas seulement du choix de Dieu, mais du désir qui nous oriente vers lui. Sans ce désir, rien ne se passe.

C'est ce qui me choque dans certains portraits de saints ou de saintes, qui ont illustré les années 60, autrement dit les fameuses Glorieuses dont parle Fourastier. Je viens de lire Pauvre et saint curé d'Ars de Mgr Pézeril : c'est un peu cela. Le géant devient surtout un gentil. Oui : gentil curé d'Ars. Rémi Soulier l'avait remarqué en son temps. On gomme les aspérités du personnages ou alors on les fait servir à une démythification du bonhomme, dépressif, cyclothymique, comme nous tous ! Idem pour sainte Thérèse de l'Enfant Jésus racontée par Jean François Six : une jeune fille trop imaginative et qui le paiera cher... Le bouquet, c'est le relooking du Père de Foucault : ce mauvais garçon, qui fonda un bordel militaire et passa sa vie à faire pénitence, on en fait une sorte de feignasse, donneur de leçons retiré de tout, spécialiste de l'inculturation et de l'enfouissement, dont on tâche d'oublier le martyre. La Congrégation des petits frères et des petites sœurs paiera cher une telle erreur de lecture.

Il n'y a pas de sainteté light. La sainteté est une conversion du désir. Jamais son abolition. C'est la raison pour laquelle, même si les saints peuvent avoir leur déséquilibre, la sainteté qui commence par ce désir éperdu de Dieu et de l'image du Christ en nous, suppose, en tant que désir réalisé, une intégration psychologique et un équilibre, qui se réalise sans doute à des hauteurs dont on n'a pas l'habitude, mais qui ne peut pas se réaliser dans l'abandon, le mal de vivre ou une ataraxie quelconque, qu'elle soit subie ou suscitée.

Le désir de Dieu, désir de vérité et donc désir vrai ou vrai désir, nous met debout et nous fait vivre, avec "une puissance" comme dirait saint Paul, une intensité que nous ne réalisons pas tant que nous restons étrangers à l'aventure. Pas de déséquilibrés parmi les saints. La sainteté est un équilibre, parce qu'elle est un désir qui trouve son objet et s'y complaît.

Si ce désir vous prend ou vous a pris le cœur, ne croyez pas que vous le satisferez de manière light, en restant dans le monde. Il ne vous laissera pas en paix, vous prendra et vous reprendra, tant que vous n'aurez pas trouvé moyen de tout (lui) donner.

samedi 20 juin 2009

[Ktotv / "Portrait de Prêtre"] Abbé René-Sébastien Fournié

Dans sa série de portraits de prêtres, Ktotv a posé quelques questions à l'abbé René-Sébastien Fournié, qui dirige à Rome un convict de séminariste de l'IBP.
Durée: 5:00 minutes
Publication: 19 juin 2009

Pour voir la vidéo, cliquer sur l'image.

Aujourd'hui l'image du prêtre

En vacances au Portugal, mon papa se fait alpaguer par un groupe de religieuses en quête d'une bénédiction. Forcément: avec son imper bleu marine, ses chaussures tristounettes et son veston trop sage... les sœurs, de leur oeil exercé, l'avaient pris pour un prêtre.

Le grand public est moins subtil. Il ne voit guère d'autres prêtres que ceux que lui montre la société du spectacle, pour lui vendre un camembert de tradition ou le divertir. Il faut alors que ces prêtres soient immédiatement identifiables: soutane et col romain. Paradoxe: pour que son cerveau imprime 'prêtre', le spectateur a besoin d'une image sans lien avec celle de 99% d'entre eux.

Une bonne illustration valant mieux qu'un mauvais laïus, je vous en mets deux. La première vend des pâtes. (La société Panzani, ai-je lu, proposait de financer la visite de Jean Paul II à Lyon - ils demandaient qu'en échange Don Patillo descende en parachute sur le stade Gerland, au moment où Sa Sainteté arriverait en voiture. Lard ou cochon? Heureusement, proposition non retenue.)

La seconde est un instantané du plus grand show de France: le JT de TF1. Il s'agissait d'illustrer quelques propos sur les prêtres (80% des Français pensent que ces hommes dont ils ignorent tout devraient se marier. Étonnant attachement à cette noble institution: statistiquement la moitié des sondés ne se marieront pourtant jamais - la moitié de l'autre moitié divorcera.) Quelle meilleure image du prêtre que la messe, et quelle meilleure image de la messe que le rite tridentin? Bref, les gens du JT ont choisi une photo de l'abbé de Tanoüarn célébrant au Centre Saint Paul.

jeudi 18 juin 2009

Demain l'année du prêtre

C'est le 19 juin que le Saint Père lance l'année du prêtre. Une initiative qui aurait pu rester parfaitement vide ou formelle si vous voulez, sans l'image du Curé d'Ars qui s'y trouve associée, puisque Benoît XVI déclarera cette année patron de tous les prêtres du monde ce petit prêtre aux traits anguleux, alors que l'on célèbre en 2009 le 150ème anniversaire de son décès.

Associer le curé d'Ars et l'année du prêtre, déclarer le curé d'Ars patron de tous les prêtres, c'est un trait de génie.

Je voudrais vous raconter un souvenir personnel. J'étais en 4ème au milieu des années 70. Nous avions en catéchèse (sic) un fort bon prêtre l'abbé Ruffier. Il se promenait parfois en soutane au collège (à l'époque je n'en avais jamais vu que de loin), en nous disant à nous les gosses, avec une expression indéfinissable qui devait être de la tristesse : il faut user les vieux vêtements ! Sa catéchèse était... très in, pourtant. Je me souviens d'un forum pour ou contre la peine de mort, à propos de Patrick henry assassin d'un petit garçon pour lequel il avait obtenu une rançon. Le débat pour ou contre la peine de mort avait bien duré un mois. Une autre fois, il avait décidé de nous commenter un texte du cardinal Marty qui venait de paraître et qui s'intitulait : "le prêtre à la recherche de son identité". Et l'on avait tellement l'impression - j'en ai gardé un sentiment poignant - que c'était lui le prêtre à la recherche de son identité, que cette recherche lui pesait tellement qu'il l'imposait à des gosses complètement dépassés par la question et que... oui... il était un peu perdu.

Sans doute ne savait-il plus très bien quoi croire. Je me souviens aussi de son Commentaire sur les récits de la Nativité : "Oh ! Les anges, c'est le cinéma de saint Matthieu".

Ca marque un enfant attentif ces choses là. En le voyant (il m'invitait prendre le thé, avec une maladresse extraordinairement touchante), je me suis juré que si j'étais prêtre, je ne serai jamais à la recherche de mon identité...

Eh bien ! L'image du Curé d'Ars... C'est bien cela. Benoît XVI ne souhaite pas promulguer une année de recherche sur l'identité sacerdotale. Il a trouvé un antidote à la recherche stérile : le Curé d'Ars. Isabelle de Gaulmyn est choquée dans la Croix que ce soit un prêtre antéconciliaire et elle s'essaie à conciliariser Jean Marie vianney ("un pauvre prêtre avec ses faiblesse etc. C'était déjà le refrain de l'abbé Daniel Pézeril dans Pauvre et saint Curé d'Ars) : encore une qui n'a rien compris à l'herméneutique de continuité ! Il ne s'agit pas de réinterpréter le passé ou de réécrire l'histoire de l'Eglise dans une sorte de révisionnisme plus ou moins conscient, mais d'accepter cette histoire et de la vivre au présent.

Comme dit Claire Thomas dans le dernier Monde et vie, la Contre réforme du 21ème siècle a déjà commencé. La question du sacerdoce est cruciale, comme l'avait bien vu un certain Mgr Lefebvre. Benoît XVI l'a résolu... Grâce au Curé d'Ars, désormais le prêtre modèle porte soutane. Et même le rabas dit gallican !

samedi 13 juin 2009

Les visages de l'amitié

Très belle question d'un anonyme dans le précédent post qui titrait sur l'amitié française. L'expression suscite la critique de mon interlocuteur. Pourquoi ? Il y a les amitiés libanaises, les amitiés viet-namiennes. Pourquoi pas les amitiés françaises ?

L'argument mis en avant par l'anonyme est que l'amitié doit être universelle.

Première réponse : l'amitié, quelle qu'elle soit, suppose une forme de choix. On peut décider d'aimer tout le monde, mais on ne peut pas être l'ami de tous. Même le Père de Foucault n'y a pas prétendu, alors qu'il s'est approché très près de cette amitié universelle en se voulant lui-même "le frère universel". Frère ? non pas par sa propre décision, mais en tant que membre du corps mystique auquel tous les hommes sont appelés. Le Père de Foucault peut dire qu'il est le frère de tous en Jésus Christ, qui formellement est le seul "frère universel". Mais il ne peut pas dire sans mentir qu'il est "l'ami universel", car toute amitié suppose un choix. On la veut. On la poursuit. On la réalise l'amitié. Oui : on la fait. Celui qui n'a pas d'ami ? A-t-il essayé - vraiment - de s'en FAIRE?

Peut-être mon critique, en employant cet adjectif "universel" veut-il dire non pas qu'on doit être actuellement l'ami de tout le monde (cela est impossible et contraire à l'amitié), mais qu'on doit POUVOIR DEVENIR l'ami de toute personne, même la plus éloignée apparemment. Cette considération est belle, mais il faut pouvoir distinguer.

J'invoquerai ici Aristote aux livres VIII et IX de l'Ethique à Nicomaque, qui forme l'un des plus beau ensemble qui existe sur l'amitié. Aristote souligne que l'amitié doit aller de pair avec une forme de communauté : grec koinônia. Dans le latin de saint Thomas, cela donne : communicatio. Pas d'amitié sans communauté.

Mais il existe différents types de communauté, la communauté naturelle et la communauté personnelle. On peut dire, pour tailler le pb à la serpe, qu'au Livre VIII, Aristote traite essentiellement de l'amitié en rapport avec les communautés naturelles et les groupes sociaux : amitié entre l'homme et la femme dans le mariage, amitié entre le maître et l'esclave, amitié entre les citoyens, amitié entre les hoplites, entre les marins etc. Aristote ne pense pas qu'une appartenance commune soit un obstacle à l'amitié, au contraire. Et de fait l'amitié politique (dont saint Thomas parle lui aussi à la question 100 de la IaIIae) est un bel idéal de vie politique. Dans cette perspective, l'amitié française, l'amitié qui existe au sein de la plus vieille nation du monde et qui unit des gens dans un même amour de leur héritage culturel et politique, n'a rien de choquant.

Je dirais même que ce qui est choquant aujourd'hui c'est que l'on ne cherche plus à réaliser cette solidarité sociale, cette amitié politique qui est à la source de la véritable justice sociale... C'est que nous passons lentement de ce qu'Alain Peyrefitte appelait les sociétés de confiance à des sociétés de défiance au sein desquelles la seule chose qui compte c'est l'individu.

Cela dit, il serait absurde de réduire toute amitié à une solidarité civique quelle qu'elle soit. Aristote au Livre IX de l'Ethique à Nicomaque envisage la Koinônia non plus comme la matrice de l'amitié, mais au contraire comme son résultat. L'amitié cherche l'union. L'amitié cherche la ressemblance des pensées, des goûts et des occupations. Elle réalise sinon une fusion, en tout cas une ressemblance entre les amis. Cette amitié, en droit, peut naître indépendamment de toute communauté, par le choix libre par la préférence exprimée de deux individus, "parce que c'était lui, parce que c'était moi" disait je crois Montaigne de La Boëtie et de leur amitié qui a frappé les contemporains.

Inutile de préciser que l'amitié qui crée la communauté est rare. Le plus souvent, l'amitié est engendrée par la communauté (d'où l'utilité de la notion d'amitié française). On peut penser que pour beaucoup d'entre nous, c'est le schéma psychologique du Livre VIII et non le schéma psychologique du Livre IX de l'Ethique à Nicomaque qui s'applique.

Si le nationalisme est cette amitié, selon une tradition qui, après saint Thomas remonte à Louis de Bonald, en quoi est-il condamnable. Le nationalisme condamnable n'est pas celui qui développe l'amitié au sein d'une communauté nationale, mais celui qui juge d'un homme en fonction de son appartenance ou de sa non appartenance à un corps national donné. Oui ce nationalitarisme là est condamnable. Mais pas l'autre.

Quant à l'actualité de cette amitié française, nous voyons bien que cet amour des Français entre eux, au nom d'un même amour de la France, est le seul antidote aux régressions communautaristes, qui finiront toujours, volens nolens, en guerre des communautés.

vendredi 12 juin 2009

Chez les militants de l'amitié française

Conférence hier au Centre Charlier sur Jonas. Un rendez-vous d'amitié, oui d'amitié française. Mon hôte, Bernard Antony, accent mais aussi chaleur méridionale, insiste beaucoup sur le manque de virilité d'un certain catholicisme, comme en écho à l'idée que je développe dans Jonas : "Il faut sauver le désir".

D'où vient la crise de la conscience chrétienne ? D'où vient la féminisation du christianisme ? Je propose de considérer que, soupçonnant tout désir, même les meilleurs, Fénelon invente le "pur amour", un concept plein de bonnes intentions, mais qui autorise la première dissociation (dissociation contre nature !) entre amour de Dieu et désir de Dieu. Cet amour sans désir est largement à l'origine, me semble-t-il, du moralisme catholique et de ce que Bernard nomme le manque de virilité des chrétiens.

Au lieu de la morale négative qui nous enferme dans une sorte d'étrange nihilisme du bien ("Tu ne feras pas..."), il faut promouvoir la morale évangélique des talents : désir du bien, désir des belles œuvres, ce qui reste dans l'universel vacuité : Heureux les morts qui sont morts dans le Seigneur car leurs œuvres les suivent (Apocalypse).

Qu'est-ce qu'oppose le christianisme à ce que Freud nomme la pulsion de mort dominant et couronnant l'Eros ? - Les œuvres. Le chrétien devient ce qu'il fait : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées" (Jean 3). Miracle du Bien et de la métamorphose (de la conversion) qu'il opère en chacun de nous. Et symétriquement, j'y reviendrai, impossibilité de toute banalisation du mal, parce que l'on devient le mal qu'on fait.

jeudi 11 juin 2009

Peut-on banaliser le mal ?

Je pose la question en m'inspirant de la distinction que fait opportunément l'anonyme qui intervient en commentaire du post sur Auschwitz et la culture.

Dans le langage courant, une voiture banalisée c'est une voiture de police que rien ne distingue des autres voitures, une voiture de marque française, de couleur blanche etc. La plus ordinaire.

Eh bien ! La banalisation du mal est souverainement dangereuse. Il s'agit de faire comme si le mal n'était pas le mal, comme s'il s'agissait de la chose la plus naturelle du monde etc. Cette banalisation du mal est sans doute la suprême ruse du diable, qui, quand il ne sait plus quoi inventer se banalise et, comme dirait Baudelaire, fait croire qu'il n'existe pas. Elle est tellement dangereuse que l'on peut se demander (c'est ce que j'avais fait en quelques lignes) si elle est possible sans un fond de mauvaise foi.

Expliquer Auschwitz et la terreur bolchevique par la banalité du mal, c'est au fond renoncer au scandale du mal, c'est accepter que le mal puisse se banaliser. Je crois que les analyses de Sartre sur la mauvaise foi (cette faculté qu'a l'homme de se mentir à lui-même) seraient de circonstance. Il me semble que parler de la banalité du mal, c'est accepter qu'on le maquille... comme on maquille une voiture volée ou comme se maquille une fille qui a trop servi pour jouer encore les produits d'appel.

Le Christ dans l'Évangile vient nous révéler non pas la banalité mais la gravité du mal. C'est dans la mesure où nous comprenons cette gravité que nous aspirons à la rédemption. Au contraire, si nous consentons à la banalité du mal (version Arendt au Procès Eichmann ou version Polnareff "On ira tous au paradis, on ira"), nous nous ôtons toute chance de considérer que le salut est proche de nous ou que, comme dit saint Paul "là où le péché a abondé, la grâce surabonde".

Aussi étonnant que cela puisse paraître aux Pharisiens, c'est le péché qui descelle les verrous de l'âme et l'ouvre à la grâce. Le péché, si vous l'extrayez à la hâte d'un catalogue, peut être parfaitement banal. Mais si vous avez le courage de reconnaître votre péché comme un acte personnel, qui dénote telle faiblesse ou telle faille, si vous avez le courage, ce péché, de le regarder un instant, non seulement il n'est pas banal mais toujours atroce, mais il devient salutaire parce que la conscience de notre faiblesse nous pousse dans les Bras de Dieu.

Ne cédons jamais à la mauvaise foi qui nous fait banaliser le mal lorsqu'il vient de nous et parce qu'il vient de nous.

Ne cédons pas non plus au péché d'orgueil en nous permettant de juger des péchés des autres sur les apparences, comme si le mal n'était pas toujours au-delà des apparences, dans les intentions. N'oublions pas qu'en dehors de nous et plus exactement que nous même pour nous mêmes, le seul juge est Jésus Christ, à qui "le jugement a été remis" (Jean 5). La banalisation des jugements téméraires, de la diabolisation et des foules lyncheuses est le piège ultime.

mardi 9 juin 2009

Auschwitz et la culture

Je viens de terminer un magnifique recueil de conférences, signé Imre Kertèsz et publié chez Actes sud, qui s'intitule, sans qu'il soit besoin de plus ample commentaire L'Holocauste comme culture. Et je me dis, sans faux jeu de mots, qu'il y a dans ce livre de quoi rendre le problème de la culture un peu plus brûlant, un peu plus crucial qu'on ne le ressent ordinairement.

La thèse de Kertèsz est simple : Auschwitz n'est pas seulement une exception monstrueuse, mais un aboutissement de la crise de la culture et de la crise de la conscience européenne. Différence entre le nazisme et le communisme (contre les thèses d'Ernst Nolte sur la Guerre civile européenne) ? Le communisme promulgue la barbarie comme moyen pour établir le paradis sur la terre. Son histoire est "le passé d'une illusion" selon la formule de François Furet. Quant au nazisme, il ne se cache pas de vouloir pour elle même une barbarie discriminatoire, dans laquelle l'idée même de nature humaine est déclarée périmée. La culture occidentale se trouve ainsi niée dans son fondement profond. Ainsi s'explique la fameuse formule attribuée à Goering, vraisemblablement prononcée par von Schirach, objet de tant de citations plus ou moins controuvées : "Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver".

La question qu'il importe de se poser et qui rend le problème d'Auschwitz encore pendant, non forclos jusqu'aujourd'hui, c'est : pourquoi, dans l'un des pays les plus cultivés d'Europe une telle négation des fondements élémentaires d'une culture humaine ?

Annah Arendt a soutenu, on le sait, l'idée (foncièrement anti chrétienne me semble-t-il) d'une banalité du mal. S'il y a eu Auschwitz, explique-t-elle en substance dans Le Procès Eichmann à Jérusalem, c'est parce que ce monstre politique qu'est l'Etat moderne a médiatisé le mal, l'a dilué dans l'obéissance et l'a rendu... épouvantablement banal.

Je dis que cette idée de la banalité du mal est anti chrétienne parce que jamais un chrétien n'acceptera de voir diluée sa responsabilité personnelle dans aucun brouet politique ou métaphysique. Dans le Royaume des cieux, chaque homme est une personne et chaque personne est responsable... On peut abdiquer sa responsabilité. C'est un peu comme si l'on abdiquait sa vie... C'est une forme de suicide moral.

Ce que nous montre Auschwitz ? C'est que la culture n'est jamais facultative pour aucune personne. Le personnage de Jonathan Littell, l'Obersturmführer Aue, qui prétend au plus grand raffinement humain tout en vivant personnellement, au bord des fosses communes la barbarie nazie est un personnage impossible. Un personnage à la limite, une sorte de Borderline psychologique, ce que l'on appelait autrefois un P4 grave.

La question est de savoir si la culture occidentale n'a pas entretenu jusqu'en son sein cette schizophrénie entre raffinement et barbarie, la virtuosité que donne la culture servant avant tout, dans cette hypothèse, à se détacher de toutes les formes de la responsabilité. La barbarie, si notre hypothèse se vérifie, ne naît pas malgré la culture, mais grâce à la virtuosité qu'elle confère et au nihilisme qu'elle engendre et dont elle se nourrit.

"Je pense que la culture sans le culte tourne au déchet" disait le romancier allemand Hermann Hesse. Il me semble qu'Auschwitz est le déchet monstrueux d'une des cultures les plus raffinées du monde, qui, ayant oublié le culte, a utilisé son raffinement et sa virtuosité, comme Max Aue, à promouvoir l'agnosticisme, c'est-à-dire l'indifférence (au bien et au mal) et donc la schizophrénie...

samedi 6 juin 2009

Le Saint Esprit et l'ennéagramme

"Tout ce qui est excessif est insignifiant" laissait tomber avec mépris (ce mépris dont il faut paraît il être économe à cause du grand nombre des nécessiteux) le prince de Bénévent, le Duc de Dino, autrement nommé Charles Maurice de Talleyrand Périgord. Le Saint Esprit et l'ennéagramme... C'est excessif comme rapprochement. Et donc...

Session ennéagramme aujourd'hui au Centre Saint Paul, lumineuse et très suivie. Quelques uns d'entre vous, venus uniquement grâce au Blog, je les salue. Notre travail d'aujourd'hui a été animé, avec son aisance habituelle, sa simplicité toujours accessible et ce sourire qui vient de l'âme, par notre formateur préféré.

Je n'avais pas voix au chapitre, me contentant d'écouter. Sur la fin, pourtant, une question me fut directement adressée : quel rapport entre l'ennéagramme et le Saint Esprit ? Quel rapport entre l'ennéagramme et la vie spirituelle ? D'autres sur ce Blog, sans doute par ignorance, ont posé la même question voici quelques semaines, mais sur un mode agressif. Cette fois, Madame de M., ayant assisté à la formation, sachant de quoi elle parlait, a posé la question sans l'once d'une aggressivité. Par curiosité chrétienne simplement. Qu'elle en soit remerciée.

C'est tellement plus simple quand on ne soupçonne pas l'autre d'être le diable ! Si je n'avais pas peur de tomber sous le coup de mon propre raisonnement, je dirai que le propre du diable c'est de diaboliser...

Et puis, tant que j'y suis : c'est tellement beau (et trop rare) la curiosité chrétienne, cette volonté de savoir, ce désir de comprendre par la foi et dans la foi, sans jamais considérer, comme tant de chrétiens congénitalement paresseux, que la foi dispense de la recherche et de la connaissance.

Mais ne nous égarons pas ! Revenons à cette question, qui me fait établir un rapport (excessif diront certains) entre l'ennéagramme et le Saint Esprit.

J'ai réfléchi toute la semaine à ce que l'on pourrait appeler "une anthropologie de la Pentecôte". L'homme, corps et âme, étant, par lui-même un être fini, quelle est la place du Saint Esprit dans le bazar.

L'ennéagramme peut-il nous éclairer ? Justement, cette méthode au nom barbare nous apprend à nous repérer dans ce bazar intérieur dans lequel nous vivons, à ne pas écraser la porcelaine, à ne pas casser ce qui est fragile en nous, à estimer ce qui est fort, bref à faire l'inventaire du magasin. Ou, si vous préférez, à regarder sous le capot, sans se contenter de frimer avec des effets de moteur ou des crissements de pneus (comme ceux qui croient qu'il n'est pas nécessaire de se connaître soi-même et qui friment sans jamais oser se regarder dans un miroir).

A quoi sert la connaissance de soi ? Cela représente un grand progrès pour chacun de savoir un peu ce qu'il a reçu en dotation. Nous pouvons ainsi mieux comprendre non seulement la nature, la loi naturelle, les lois morales qui nous guident, mais notre nature individuelle, âme et corps, qui existe aussi comme le souligne saint Thomas dans le De ente et essentia, contre les platoniciens. Chacun d'entre nous, nous possédons une nature individuelle, qu'il est inutile de violenter, qu'il faut respecter, mais qui ne doit pas nous asservir à ses caprices ni à ses manières d'être. La meilleure manière d'en être esclave, c'est de refuser de la connaître.

Cela étant dit, force est de reconnaître que l'ennéagramme ne nous dit rien (mais alors RIEN) du Saint Esprit en nous. Le rapprochement, initié au début de ce post, est décidément trop exorbitant pour être honnête.

Certains diabolisateurs, au vu de ce constat, froidement asséné, vont jubiler : "Si l'ennéagramme ne dit rien de l'Esprit saint, c'est donc qu'il pousse à ne pas y croire. On vous disait bien etc.".

La réalité me semble un peu plus complexe. Réfléchissons une seconde : une nature (même une nature individuelle) ne suffit pas à définir un homme. Le naturalisme du XVIIIème siècle (pour des raisons religieuses ou antireligieuses en fin de compte) a voulu nous faire croire le contraire. L'homme, dans l'esprit des Lumières, est adéquatement défini par sa nature individuelle. Résultat : il faut supprimer tout ceux qui, à cause de leur mauvaise nature, s'opposent au bien en marche dans l'histoire, les ennemis du peuple et tous ceux dans les veines desquels coule un sang impur. Ils sont irrécupérables. N'oublions pas que, comme le répète Reynald Secher, qui n'a jamais été valablement contredit à ce jour, c'est la Révolution française qui a inventé la dépopulation, seule apte à permettre une véritable régénération de la nature de l'homme... On emploie aujourd'hui le terme de génocide.

Un chrétien, lui refusera toujours de réduire l'homme aux déterminismes issus de sa nature. A travers les natures individuelles, il saisit des sujets en acte, c'est-à-dire des personnes, faisant exister d'une manière ou d'une autre (mais toujours librement) les déterminismes, les blocages, les limites mais aussi les qualités, les dons inhérents à leur nature. L'homme ne se réduit pas à une nature. Comme Cajétan, le premier l'a laissé entendre, il est une existence, une liberté, un sujet une personne. C'est en tant que tel qu'il est jugé, faillible mais toujours perfectible, jamais parfait mais jamais non plus, jusqu'à son dernier souffle, déterminé au mal.

C'est dans cet ordre de l'existence et de la liberté qu'intervient l'Esprit saint. Et, comme y insiste à plusieurs reprises la cérémonie magnifique du baptême des adultes, si ce n'est pas l'Esprit saint qui fait agir l'homme pour le bien et pour l'amour, c'est un autre esprit : Exi immunde Spiritus et da locum Spiritui sancto Paraclito.

Différence entre les Esprits ? L'Esprit saint est le défenseur (c'est la signification de Paraclet), le conservateur des richesses de l'être. Plus encore... Avec toute la prudence requise, il est le banquier qui nous permet de vivre à crédit, au dessus de nos moyens naturels, fiers et droits comme des fils et des filles de Dieu, sans jamais faire faillite, parce que cette banque là... banque de la grâce et de la miséricorde, elle n'est pas comme Lehmann Brothers et toutes les banques humaines... Elle ne risque pas la banqueroute.

L'Esprit immonde est le destructeur, le manipulateur, parce qu'il est Menteur depuis le commencement. Sa logique à lui, ce n'est pas l'amour vivant dans tous les vrais désirs de l'homme, c'est le désir phagocitant l'amour et se substituant à lui, le désir qui fait croire à l'infini et produit en série des caniches, prêts à disparaître dans le néant...

Qui dira que ce dilemme n'existe pas ?

Ce dilemme est celui de notre existence, de notre destinée. L'ennéagramme concerne notre essence individuelle. Son rôle ? Nous permettre, dans le vertige qui nous saisit lorsque nous réfléchissons aux deux termes du dilemme, de garder, avec la tête froide, ce que j'ai appelé à l'instant la prudence. Inutile la prudence ? C'est sainte Catherine de Sienne, cette divine imprudente dont la fougue ramena le pape à Rome contre tous les pronostics et toutes les raisons des experts de l'époque, qui dit que la charité sans la prudence se détruit elle-même.

Alors l'Ennéagramme et le Saint Esprit ? C'est comme la prudence et la charité : ça va ensemble, même si ça n'a rien à voir.

mercredi 3 juin 2009

Dialogue sur la joie

- LUI : Parler de la joie, c'est une gageure. Ou un passe temps d'adolescent. On peut se demander si, lorsqu'on parle de la joie, ce n'est pas surtout parce qu'on ne la connaît pas. On en parle ou on en parlerait pour la faire advenir, pour la capter dans l'incantation du langage. La joie, on l'a ou on ne l'a pas. Alors... à quoi bon... y réfléchir ?

- MOI : A quoi bon ? Croyez-vous vraiment ? Ce langage signifierait que nous n'avons rien à découvrir de nous-mêmes, que nous sommes entièrement dans l'instant qui nous porte, que nous n'avons aucune épaisseur. Ce langage instantanéiste du j'y suis, j'y suis pas, du je m'éclate ou je m'emm... signifierait que l'idée même de vie intérieure (ce dialogue permanent de soi avec soi qui nous constitue nous-mêmes) serait périmée... Notre vie intérieure serait-elle devenue inaccessible ? Ne serait-ce plus qu'un mot que l'on prononcerait uniquement pour se donner bonne conscience ?

- LUI : Eh bien oui ! A quoi bon la vie intérieure ? La conscience qui revient sur elle-même est toujours malheureuse. Essayer de comprendre, c'est toujours se préparer à souffrir. Vraiment très peu pour moi. je vis beaucoup mieux sans me poser de questions.

- MOI : Beaucoup mieux ? Nous sommes effectivement dans la société de l'euphorie obligatoire. L'essentiel est d'afficher en toute circonstance le sourire "Cheese" qui va bien (qui n'attire pas l'attention), quitte à consommer pour cela quelques pilules, remboursées par la Sécurité sociale. Nous vivons dans une sorte de fuite en avant vers le bonheur, qui, il faut bien le reconnaître, malgré les apparences publicitaires et les paradis artificiels, constitue comme le contraire de la joie. Ce bonheur (qui n'est qu'un banal bien être) se consomme, tout en surface. la joie, elle, vient toujours de la vie intérieure. La joie vient de loin ! C'est pour cela du reste que, contrairement au bonheur, que l'on peut apprendre dans les Manuels du Savoir vivre républicain, la joie ne s'apprend pas dans les livres... Pour réaliser le bonheur républicain, il suffit de descendre, avec son sourire bien accroché, à la fête des voisins. "Tous ensemble, tous ensemble... Fra-ter-ni-té". le bonheur se décrète, au niveau personnel et même au niveau social ou politique. La joie ? C'est plus compliqué.

- LUI : Vous le voyez, j'avais raison de dire que parler de la joie ne sert à rien. Vous reconnaissez vous-même que la joie ne s'apprend pas dans les livres et que ce n'est pas en en parlant qu'on en découvre le mode d'emploi...

- MOI : La joie ne s'apprend pas dans les livres, elle s'apprend à travers un effort persévérant pour une véritable connaissance de soi. Je viens de prononcer le mot clé : "véritable". La joie ne fait jamais l'économie de la vérité et la vérité dont elle naît, c'est d'abord cette vérité personnelle que l'on nomme connaissance de soi.

- LUI : C'est curieux, je pensais qu'en tant que prêtre, vous alliez dire, comme vous l'avez déjà écrit ici ou là : "la joie c'est le regard sur Dieu".

- MOI : J'aime beaucoup cette formule de Dom Augustin Guillerand, qui continue : "Et la tristesse, c'est le regard sur soi"...

- LUI : Décidément vous nagez dans la contradiction. Vous venez de dire qu'il n'y a pas de joie sans connaissance de soi et maintenant vous excluez tout regard sur soi. il faut savoir ce que vous dites... Vous êtes dans une évolution permanente !

- MOI : Mes amis me le reprochent parfois. Je pense surtout que le réel est compliqué et qu'il faut, comme dit Pascal, "tenir les deux bouts de la chaîne". Comment les faire tenir, ces deux bouts, en une seule phrase ? Disons que la joie ne va jamais sans la connaissance de soi et de sa propre vérité intérieure (allez, disons le : de ses défauts) ; mais cette connaissance de soi ne polarise pas notre regard sur l'image que nous nous faisons de nous-même. Au contraire, en appaisant notre inquiétude, elle nous débarrasse de ce souci de soi dans lequel s'enferment parfois même les meilleurs, et elle nous rend ainsi disponible à la grâce.
Je ne crois pas que l'on trouve Dieu en descendant en soi-même, mais je pense que, sans la connaissance de soi, même les joies apparemment les plus spirituelles pourraient bien relever de l'illusion.

- LUI : Vous voulez dire que le regard sur soi ne saisit jamais qu'une image et un terrible jeu de miroir. Dont acte. Mais alors, je repose ma question autrement, qu'est-ce que la connaissance de soi ?

- MOI : Le Christ dans l'Evangile répond directement à cette question, lorsqu'il dit (c'était dans la messe d'hier, mardi ce me semble) : "Celui qui fait la vérité vient à la lumière". la première condition pour se connaître soi même, c'est de ne pas affectionner l'obscurité, de ne pas craindre la lumière, où "nos oeuvres sont manifestées". Se connaître soi-même, ce n'est pas descendre en soi (on risque le jeu de miroir que vous évoquiez fort bien à l'instant). Se connaître soi même, c'est accepter de porter toutes ses oeuvres à la lumière... En termes plus modernes : c'est jouer cartes sur table. Il n'y a pas de joie pour ceux qui se complaisent dans le secret (ou dans le complot). "Ce que vous avez entendu à l'oreille dit l'Evangile, criez le sur les toits".
Voilà une condition nécessaire de la joie : s'affranchir du secret. La joie procède non d'une improbable spéléologie intérieure, mais de ce désir inextinguible de vérité, qui, nous dit saint Thomas dans la Contra gentes, doit nous mener jusqu'à Dieu.

LUI : Si je vous comprends bien, lorsque vous parliez tout à l'heure de vie intérieure, lorsque vous évoquiez l'épaisseur et le retrait, vous cherchiez simplement à donner du temps à votre approche de la lumière. la joie ne serait-elle pas dans l'acceptation d'un délai ? La joie ne serait-elle pas tout entière dans cette vertu du délai qu'on appelle l'espérance ? Ce que nous avons à découvrir de nous mêmes n'est pas à l'intérieur, comme vous tentiez de le dire, mais en avant...

Dans ce dialogue MOI et LUI sont évidemment un seul et même imbécile.

lundi 1 juin 2009

Demain : Jonas

Le professeur Jean Louis Harrouel devait venir nous parler, au Centre Saint Paul, de l'art contemporain et de la mystification qu'il comporte. Sa conférence est reportée au 23 juin. En lieu et place, je vais jouer les bouche-trou et vous parler de Jonas et son désir, en convoquant, pour ce faire, les spécialistes profanes, Freud, Lacan et Girard et en montrant comment l'Evangile seul offre au désir de l'homme un objet qui ne se périme pas... Du pain sur la planche ! Avec vous ? En tout cas, toutes vos questions, contradictions, remarques, reprises etc. seront les bienvenues. -- Coordonnées du Centre St Paul