vendredi 27 décembre 2013

La morale de l'islam

Il faut suivre attentivement la collection Studia arabica publiée par les éditions de Paris. Vingt et un volumes de recherches sur le monde arabo-musulman et les religions en général. Cette collection est dirigée par Marie-Thérèse Urvoy, prof à Toulouse et son mari Dominique est souvent son complice. Elle publie beaucoup de collectifs et n'a pas peur d'affronter les questions difficiles. Vingt et unième volume : La morale au crible des religions. L'intitulé m'a semblé passionnant.

Et puis tout à l'heure en discutant avec mon ami N, qui vit au Liban et qui a trouvé un peu faible mon entretien avec Nicolas Gauthier, après le débat avec Tarek Obrou, nous en arrivons  cette fameuse question de la morale en islam. Peut-on dire qu'il n'y a pas de morale naturelle, dont les impératifs sont connaissables et reconnaissables par tous (au sens de Kant) ? Peut-on dire que la doctrine morale coranique permet de légaliser les violences qui ont lieu aussi bien en Syrie (où sont les 13 moniales de Maaloula ? Quel calvaire ont-elle gravi ?) qu'en Centrafrique (où les catholiques sont, chez eux, en état de légitime défense, comme on ne nous l'explique pas à la télé) ? Je me dis : ce livre va m'offrir des éléments scientifiques... Et je ne suis pas déçu.

 C'est Marie-Thérèse Urvoy elle-même qui s'est collé à l'article de fond : remarquable ! A lui tout seul vaut qu'on se procure le livre (32 euros). Elle montre bien l'ambiguïté mystico-politique de cette morale.

"On observe que les commentaires coraniques soulignent chacun de son angle de vue le caractère purement extrinsèque de la préférence divine. La liberté d'agir et de choisir n'engendre pas véritablement l'acte, car Dieu seul est le créateur des actes humains selon la plupart des doctrines islamiques (excepté les Mu'tazillites). De fait la vertu dans la morale coranique est ramenée à une dénomination extrinsèque qui n'est que la répercussion sur l'homme de la préférence (tafdil) divine. L'homme ne s'enrichit pas de vertu par ses actes, mais au contraire, ce sont les actes que Dieu fait perdurer pour leur accorder une récompense qui est sans proportion avec eux : devenus sujets de la préférence divine, ils constituent la véritable vertu de l'homme presque au-delà de lui-même. La vertu islamique n'est pas une parure intérieure de l'âme, elle est l'état d'une âme dépouillée d'elle-même dans ses actes d'obéissance, toute abandonnée à Dieu, exhaussée au dessus d'elle-même par son identification au don gratuit et disproportionné des récompenses que Dieu avait promis par un acte pur de la volonté et qu'il accorde généreusement au seul croyant fidèle. Dans ce sens la morale coranique débouche sur la mystique. L'affirmation qu'iul n'y a pas de morale en islam, en ce qu'elle a d'abrupt, n'est pas un paradoxe".

Je ne peux pas citer tout l'article qui comble un vide. Mais je remarque cette ambivalence entre la mystique et la politique, qui est au fond la grande constante du Coran. A la fois le guerrier islamiste y trouve son compte : ceux qui se battent pour Allah sont supérieurs aux autres hommes (cf. Coran IV, 95), ils ont ordre de tuer les infidèles (IX), ils peuvent donc et doivent répandre le sang. Et à la fois on peut dire que cette absence de morale qui fait triompher les versets colériques du Coran dans l'âme de ses lecteurs, provient d'une lecture mystique de la destinée humaine fondée sur une prédestination que ni Calvin ni les jansénistes extrémistes à la Martin de Barcos n'avaient osé conceptualiser : le Coran enseigne la prédestination du moindre acte bon, qui est avant tout créé par Dieu, pré-fabriqué, sans que l'on se soucie (comme le font les chrétiens) d'envisager le rôle de la liberté humaine là dedans.

Pour mettre l'eau à la bouche de mes lecteurs, je souligne que l'on trouve aussi dans ce livre un article passionnant sur Taqiyya et restriction mentale d'Hugues Didier. On sait que les jésuites avaient théorisé la restriction mentale au grand scandale de Pascal. Il s'agissait, pour les disciples de saint Ignace, d'entrer dans le point de vue d'autrui pour l'amener au nôtre", quitte à mentir. Reste que les chrétiens n'ont pas le droit de renier leur foi, les musulmans, si, explicitement dans le Coran (cf. Coran XVI, 106).

3 commentaires:

  1. Pour un musulman, penser que l’homme est libre est un blasphème puisque cela porte atteinte à la souveraineté de Dieu. Il n’y a pas de responsabilité morale !! Tout est « écrit » et ce faisant, on cherche à soumettre le monde à la volonté de Dieu …On pourrait discuter éternellement de la chose autour d’une tasse de thé, avec une bonne galette des rois ou assis en tailleur, fumant le calumet ou mieux encore, sous un baobab. Tout cela est vain si l’on omet de rester connecté au réel. En effet après la lecture de ce billet, cher AG2T, je me demande où se cache la question essentielle. Est-ce une énigme ? Ne l’aurais-je point devinée ? En effet où se trouve la cause première (le premier moteur !!) de cette religion, dans l’histoire ou dans le Coran ? Nous connaissons l’histoire : Ismaël, fils de la servante égyptienne Agar est chassée par la femme légitime Sarah: Sarah a vu Ismaël rire et elle dit à Abraham : ``Renvoie la servante et son fils parce qu'il n'héritera pas avec mon fils Isaac(Gen. XXI, 8-12) ( Ismaël meurt en Arabie après avoir donné naissance à 12 fils dont Nebajoth et Kédar qui s’établirent à la Mecque et dont une des tribus engendrera Mahomet). Ismaël rit de son frère car bien qu’illégitime, il est l’aîné et réclame sa part d’héritage, l’Arabie et Hébron, ville de son Père Abraham et qui désigne le « lieu de l’alliance » (… de l’alliance faite à nos pères en faveur d’Abraham et de sa descendance à jamais.) Comment passer sous silence cette rivalité entre les deux frères qui se situe 1900 ans avant J.C et qui aujourd’hui encore se perpétue sur la terre d’Israël ? Après plus de 2000 ans (570- 632), un prophète surgit « del’nulla » et reçoit comme ordre de Dieu la réalisation de cette vengeance, enrobée d’une Loi, car pour conquérir des territoires et un ou plusieurs peuples (ici juifs et chrétiens), tout le monde sait qu’il faut des mœurs irréprochables. La théologie est une science moderne. La révélation biblique se situe sur un autre plan, celui de la prophétie jusqu’au Christ qui lui est la réalisation de toute prophétie digne de ce nom. Est-il juste de « théologiser » sur l’Islam ? J’en doute fort. N’oublions pas l’apport de R.Girard sur le sujet du désir qui est toujours désir de l’autre, de ce qu’il possède. Dans la Bible, ainsi que dans l’histoire, maints exemples nous prouvent que des frères deviennent pour cette cause, ennemis mortels. Les tribus du désert ont toujours été des tribus conquérantes et ce n’est pas moi qui l’invente. Le Coran, s’il n’était qu’une Loi et non un instrument de guerre serait crédible. Mais dans sa perspective de vengeance, son sacré est une imposture. Dans mon dernier commentaire sur ce sujet, je faisais remarquer que le droit à la dignité humaine était refusée à la plus grande majorité des musulmans, les femmes (il nait en effet plus de femmes que d’hommes). Pardonnez-moi, il est temps de quitter la philosophie de salon serait-elle savamment étudiée par de « very very » doctes personnes ! Et, dixit ce Pape pourtant si décrié, celui qui ne prie pas le Christ, prie le diable !

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  2. Monsieur l'abbé, quand vous saisissez un sujet, vous saisissez un sujet. Bravo !

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  3. Je vais prendre le temps de relire cet article et donc ce commentaire est nul et non avenue, sinon que, dans la "confusion mentale" qu'on me connaît (à ne pas confondre avec la "restriction mentale" des jésuites), il traduit une espèce de surprise: il me semble lire, dans ce qu'explique Marie-thérèse Urvoy, beaucoup moins la description du prétendu volontarisme juridique des musulmans, que ce qui pourrait être un décalque de nos débats sur "la Grâce", toujours "efficace", mais plus ou moins "suffisante", selon qu'on est janséniste ou jésuite. Les musulmans seraient juste un peu plus fatalistes en tenant avec humilité dieu pour seul Responsable de leurs bonnes actions et en s'en croyant, le cas échéant, moins pécheurs quand ils "ratent leur cible".

    Nous avons un vernis de liberté auquel nous tenons davantage. Mais encore? L'humilité ne réclame-t-elle pas que nous nous dépouillions de cet excès d'honneurs et de mérites? Et quand nous nous chargeons, nous rendons nos âmes tellement scandaleuses et scrupuleuses qu'elles ne sont propres à rien.

    Alors, je le dis tout net: les chrétiens n'ont que les mots d'"amour" et de "liberté" à la bouche, mais où les situent-ils et qu'en font-ils? En sachant qu' la question que pose dieu à Adam porte moins sur sa rectitude que constamment sur sa situation morale et spirituelle:
    "Où es-tu?"

    D'une façon quelque peu parodique, j'ai envie de terminer ainsi:
    "Mort, où est ta victoire et homme, où est ta liberté?"

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