vendredi 18 juillet 2014

Nicolas Malebranche ? Ce n'est pas un extraterrestre

Je suis comme d'habitude en cette période de l'année... au frais derrière les murs épais du petit manoir de mes parents en Bretagne. Et après avoir bouffé les semaines précédentes du Spinoza et du Leibniz, j'en suis à Malebranche : quel génie! Et quelle langue, oui, quel français! Notre benoîte maîtresse d'école - avec laquelle figurez-vous je me suis récemment découvert un breton cousinage dans une bonne brasserie parisienne où nous avons continué nos échanges - n'y trouverait rien à redire, tant le rythme des mots et celui de la pensée s'identifient, toujours vivace, allegro. Oh! Ca ne vaut pas Thérèse d'Avila (publiée en Pléiade il y a un an ou deux)... Mais quelle puissance pour désigner ce que tant et tant de chercheurs ont voulu découvrir : "l'essence" du christianisme. Et quelle fièvre de philosopher, comme s'il pressentait l'avènement des Lumières, qui éteindrait bientôt toutes les évidences de sa philosophie. Ou plutôt qui tenterait d'y parvenir... Né en 1638, mort en 1715, Nicolas Malebranche est le presque exact contemporain de Louis XIV. Il y a de la grandeur dans sa philosophie.

Denis Diderot, qui ne l'aimait pas, reconnaissait sa puissance spéculative de façon paradoxale: "Une page de Locke contient plus de vérité que tous les volumes de Malebranche ; mais une ligne de celui-ci montre plus de subtilité, d'imagination, de finesse et de génie peut-être que tout le gros livre de Locke". Locke, rappelons-le, est celui qui tenta de ramener l'entendement humain au domaine des vérités sensibles, ce qui représente l'exact opposé de la démarche de Malebranche, prêtre, oratorien et champion de l'esprit, de sa clarté et de sa lumière. Il a fallu mettre "les" Lumières, au pluriel, pour faire oublier Malebranche... Mais au fait, quel est ce pluriel? Naturellement nous rappellent les auteurs du Grand siècle, Descartes, Pascal ou Malebranche, notre lumière est celle de l'esprit. Nous n'en avons pas d'autre à portée de la main. La lumière de la foi? Elle est surnaturelle.

Mais c'est d'elle que je voudrais laisser Malebranche nous parler. J'ai trouvé un beau texte de ce très grand chrétien, souvent incompris par ses adversaires, dans le Quatorzième entretien sur la Métaphysique. Oui... Il me transporte. Je vous l'offre tel quel: antilibéral, c'est vrai, mais aussi profondément compréhensif puisque le néant lui suffit pour constater que se font des enfants de Dieu.
"Il n'y a que les chrétiens à qui il soit permis d'ouvrir la bouche et de louer divinement le Seigneur. Il n'y a qu'eux qui aient accès auprès de sa souveraine Majesté. C'est qu'il se comptent véritablement pour rien, eux et tout le reste de l'univers, par rapport à Dieu, lorsqu'ils protestent que ce n'est que par Jésus-Christ qu'ils prétendent avoir avec lui quelque rapport. Cet anéantissement où leur foi les réduit leur donne devant Dieu une véritable réalité. Ce jugement qu'ils prononcent d'accord avec Dieu même donne à tot leur culte un proix infini. Tout est profane par rapport à Dieu et doit être consacré par la divinité du Fils pour être digne de la sainteté du Père, pour mériter sa complaisance et sa bienveillance. Voilà le fondement inébranlable de notre sainte Religion".
Pour ceux qui aiment chiner, je suggère que c'est sans doute en de tels textes que Bonald, grand lecteur de Malebranche, a dû découvrir la nécessité de son principe de ternarité. Entre le Fini de notre expérience et l'Infini où nous entraîne nécessairement "la lumière naturelle de notre raison" , il faut un médiateur. Il nous est donné (et il ne peut que nous être DONNE) dans le Christ. "Nul ne vient au Père que par moi" dit Jésus en saint Jean... C'est ce que nous explique Malebranche en en tirant toutes les conséquences logiques: pour accepter de venir au Père par le Fils, il faut d'abord que l'homme accède à son néant et c'est dans cette accès -véritable accession- qu'il trouve sa vérité et... en même temps en quelque sorte la vérité du christianisme : "cet anéantissement où la foi dans le Christ nous réduit nous donne (seul) devant Dieu une véritable réalité"

8 commentaires:

  1. Malebranche , oratorien, et en étant convaincu de ce que vous écrivez sur lui, comment se fait-il qu'il n'ait pas mieux marqué son ordre , voire le catholicisme du XVIIIème siècle et combattre mieux les idées nouvelles et pernicieuses qui engendreront la Révolution de 1789 et ses massacres où on est ahuri de constater parmi les sanguinaires la présence ...d'oratoriens .

    RépondreSupprimer
  2. merci de manger, de déguster, de mastiquer, de manduquer et pas de" bouffer"...Miroul

    RépondreSupprimer
  3. Au risque de malmener les "certitudes" de l'abbé de Tanouärn, l'Eglise fait parti des "adversaires" de Malebranche. Sans doute pour l'avoir "mal compris"...
    Ouvrages de Nicolas Malebranche mis à l'Index :
    - Défense de l'auteur de la recherche de la vérité contre l'accusation de Mr. De la Ville.
    - Traité de la nature et de la grâce. 1689.
    - Lettres à un de ses amis dans lesquelles il répond aux philosophiques et théologiques de Mr. Arnauld . 1689
    - Lettres, touchant celles de Mr. Arnaud
    - De la recherche de la vérité, où l'on traite de la nature de l'esprit de l'homme et de l'usage qu'il en doit faire pour éviter l'erreur dans les sciences. 1707
    - Entretiens sur la métaphysique et sur la religion. 1712
    - Traité de morale. 1712.

    RépondreSupprimer
  4. l'humaniste n'est pas d'accord : l'homme créé par Dieu, dans Son Amour, n'est pas par essence : du néant. Chaque être est aimé de Lui parce ayant de la valeur à ses yeux, valeur dite de création : l'homme, ce petit Dieu, créé, à l'mage de son maitre, mais ne l'oublions pas : humain, purement humain.
    Le profane est ce qui, par définition n'est pas Dieu, d'accord mais après disons environ trois siècles : L'Eglise et Dieu ont progressé si j'ose dire : ledit profane sous entendant dans ce texte ancien : NOUS UNIQUEMENT, me parait choquant, et d'ailleurs n'émane que d'un auteur et non de la l'Evangile et SA Vérité Christique : développée au XXe Siècle, et à vrai dire datant de tous les temps : les HORS l'EGLISE ont leur place : à chacun selon son dû, son vécu, que Dieu voir seul : ce que l'on appelle : le COEUR de l'HOMME, existant en chacun de nous, et non délimité dans les églises et chapelles. Sincèrement vôtre.

    RépondreSupprimer
  5. Le « fondement inébranlable « de la sainte religion de Malebranche , que fait qu´il dit : « il n´y a que des chrétiens à qui il soit permis d´ouvrir la bouche et de louer divinement le Seigneur » le fait oublier (ou non penser ?) avec cela que :
    1. Si un enfant d`autre religion de dix ans, n´a pas connu le christianisme, ou même un adulte dans les mêmes conditions, seront perdus, vont à l ´enfer. (même s´ils sont saints dans leur comportament devant Dieu).
    2. Il y a des chrétiens qui peuvent louer le Seigneur avec la bouche, mas si le coeur est mauvais... (Ils louent Dieu avec leurs bouches, mais leurs coeurs seront durcies).
    Heureusement, cet homme est dans le passé, près de Louis XIV, comme dites vous.
    Bien dit Jésus : « J´ai des brebis qui ne sont pas de cette bergerie » (quelques non-chrétiens, peut-être ? Il n á pas précisé). Et aussi il a parlé des sépulcres blanchis, mais qui sont pleins de pourriture à l ´intérieur...
    Il me semble que Dieu voit le coeur plus que les formes. Qu´il voit l ´essence plus que l ´attachement aux formes...

    RépondreSupprimer
  6. @ l’humaniste:
    « L’homme ce petit Dieu créé à l’image de son maître… » Et patati et patata…(Déjà, je commence mal et me voilà maîtresse d’école que je n’ai jamais été, Dieu m’a préservé de l’E.N. Qu’on me pardonne !) Voyez-vous cher humaniste, toutes les idéologies depuis la Révolution française (et même bien avant !) jusqu’au XXème siècle se basent exactement sur cette idée-là : «… et Dieu créa l’homme à son image ». Alors ce petit dieu se demanda pourquoi il ne pourrait pas lui-même fabriquer de ses propres mains, et la Parousie et le Paradis. On sait ce qu’il en coûta de sang coulé et de victimes immolées pour un bonheur et une paix qui s’éloignaient au fur et à mesure qu’on voulait s’en rapprocher. Il fallait toujours des victimes médiatrices entre la fin de l’histoire et la terre, des christs humains en quelque sorte. Oui, nous sommes allés jusque là et c’est très grave, mais la source de ces égarements se trouve pourtant là et pas ailleurs.
    C’est pourquoi je crois pouvoir dire, benoîtement peut-être mais fermement que cet axiome tiré de l’ancien Testament, est faux. Dieu n’a pas « créé » l’homme à son image. La création suppose en effet une séparation d’avec le créateur et une « objectivation » de ce qui est créé. La Vérité se trouve dans le prologue de Jean : « tout fut par Lui et rien sans Lui ne fut. Ce qui fut en Lui était la Vie » Il y a :
    1- une notion d’être et non de création. (fut)
    2- l’affirmation que tout était « en » Dieu. Aucune séparation, ni d’avec Dieu, ni du reste de l’univers. Tout participait du même Esprit et de la même matière. Tout ce qui est en Dieu est Vie. (pas un arbre seulement mais la totalité de l’univers)
    C’est cette unité que le Christ a restaurée en disant :
    « En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et que je suis en vous. »(Jean, 14_20)
    Oui l’homme du péché originel est néant. Il n’est rien, il n’a pas la vie en lui car il n’est plus en Dieu. La création n’est pas en Dieu par nature mais parce qu’elle a été restaurée par le Christ. L’anéantissement, c’est nous qui l’avons créé donc il est logique de le reconnaître au moins une fois dans sa vie et de s’anéantir en pensée, par simple humilité. C’est la définition du chrétien. C’est pourquoi on peut dire que Malebranche ne peut pas avoir tort mais c’est dans l’âme que ça se joue et non dans l’appartenance à une Eglise comme on le serait à un parti. Le Christ est plus grand que son Eglise !
    Que Malebranche ai été mis à l’index est une raison de plus pour le lire. Il sera toujours moins hérétique que certains théologiens modernes qui n’ont jamais été et ne seront jamais condamnés !




    RépondreSupprimer

  7. L’Abbé de Tanoüarn est imprudent. Pour nommer la délicieuse demeure où il passe des vacances bien méritées il a utilisé un mot, à connotation aristocratique certaine, mais qui pourrait fort déplaire au ministre de la justice actuel. Et l’on sait ce que cela peut coûter aujourd’hui.

    Dans une prochaine livraison nous communiquerons, au nom du principe de précaution, les zaïcismes se rattachant à celui utilisé par notre Abbé.

    RépondreSupprimer
  8. Je crois, au contraire, que l'Eglise l'a bien compris et que Descartes et Malebranche n'ont pas réussi à effacer la pensée d'Aristote.
    Dante, dans son ascension, a eu besoin de Virgile.

    RépondreSupprimer