Après avoir donné à Jésus les titres à travers lesquels on peut essayer de comprendre son mystère divino-humain, le Credo remonte, avant même sa naissance à sa conception dans le sein de sa mère. Toute naissance est un miracle, mais, ordinairement, la conception, que l'on appelle aussi procréation, parce que le Créateur a donné à ses créatures un blanc seing pour croître et se multiplier, est le fait d'un homme et d'une femme. Cette fois, unique entre toutes les fois, parce que Marie a voulu rester vierge, c'est-à-dire rester disponible pour l'amour de son Seigneur, Dieu, respectant infiniment cette aspiration de sa créature, a modifié l'ordre habituel des choses. "Ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois aux affaires de mon Père ?" avait dit l'Enfant à Marie et Joseph, médusés après sa fugue au Temple. L'ange de Dieu avait garanti ce point au jour de l'Annonciation : il n'y a pas contradiction entre son projet de virginité et la volonté divine selon laquelle Marie doit être la mère du Messie. Gabriel le lui a dit clairement : "L'Esprit saint surviendra sur toi et la puissance du très Haut te couvrira de son ombre, c'est pourquoi l'être saint qui naîtra de toi sera appelé Fils du Très Haut".
Ce goût de la chasteté qu'entretient Marie, ce voeu de virginité qu'elle a mystérieusement porté devant Dieu, on le note - il crève les yeux -dans son extraordinaire dialogue avec l'ange au jour de l'annonciation : Lorsque l'évangéliste saint Luc fait les présentations, il nous dit que Marie est "fiancée [ou promise] à Joseph; Lorsque l'ange lui annonce que sa postérité sera appelé "fils de David", alors que ce Joseph - les généalogies évangéliques nous le montrent en Matth.1 et Luc 3 - est justement descendant en ligne directe de David par les mâles (elle ne peut pas l'ignorer), mais elle répond sûre d'elle-même : "Comment en sera-t-il ainsi, comment serai-je mère, puisque je ne connais point d'homme ?". Dans la bouche de Marie cela signifie "Je ne veux pas en connaître". Il n'y a pas d'autre solution pour comprendre le texte.
C'est à ce moment que l'ange lui certifie que Dieu même prend en compte son désir de virginité, qu'elle concevra du Saint-Esprit. "L'Esprit saint surviendra sur toi et la puissance du très haut te couvrira de son ombre".
Pourquoi cette volonté de virginité dans le coeur de Marie ? Non pas parce que la sexualité aurait, dans le mariage quelque chose d'impur, au contraire : les époux dans l'acte sexuel participent quoi que de façon aléatoire à la création. Je crois qu'il y a deux raisons dans le coeur de Marie : d'abord, elle est habitée par Dieu, par la beauté et par la joie de Dieu. Le chant du Magnificat montre que comme dit Luther, "Marie a fait l'expérience de la joie", d'une joie qui vous remplit à mesure que vous vous consacrez à elle et qui s'éloigne si vous vous éloignez d'elle. Deuxième raison : son coeur est trop large pour se contenter de sa progéniture physique. Elle a été créée - c'est sa vocation de toujours - elle a été annoncée comme la nouvelle Eve, la mère de tous les humains (cf. Genèse 3, 15 et Apoc. 12, 5). Ce n'est pas pour réduire son coeur à un amour maternel, si beau soit-il. D'instinct, Marie (la première chrétienne dixit Luther, une chrétienne avant le Christ, à l'image de ses pauvres de Yahvé parmi lesquels elle a grandi)) a besoin de plus que d'une intimité purement charnelle avec quelques rejetons. Son coeur est universel.
N'est-ce pas le message que fait passer Jésus à sa mère de son côté : "Qui sont ma mère et mes frères ? Ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent". Marie n'était pas faite pour mettre au monde une portée de mouflets. Elle est mère du Christ, dans des conditions très particulières. Elle est aussi notre mère à tous, comme nous le révèle le chapitre 12 de l'Apocalypse, évoquant au verset 17, "le reste de la descendance de la femme".
Je garde une surprise lexicale pour la fin : dans Apoc 12, 17, l'original grec du mot descendance est sperma. Curieux d'affubler une femme d''un sperma. Cette curiosité on la trouve déjà, comme par hasard, dans Genèse 3, 15, texte auquel nous avons déjà fait référence, texte qui annonce la nouvelle Eve, ennemie personnelle du diable : Dieu dit au Serpent (qui est Satan) : "Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ton sperma de petits démons et son sperma, son germe rédempteur". Ces deux textes que l'on ne peut pas ne pas rapprocher l'un de l'autre (Gen. 3, 15 et Apoc 12, 17), nous montrent la fécondité de Marie dans son propos de virginité. Elle porte à tous les humains, qui constituent le reste de sa descendance, la semence recréatrice. Celle qui a conçu du Saint Esprit jouit d'une fécondité infinie, qui laisse comprendre et sa virginité dans l'enfantement du Messie et sa maternité sans limite, parce que c'est une maternité selon l'esprit, qui ne connaît pas les limites de la chair. Une maternité christique.
Je vous laisse méditer sur un rapprochement : Jeanne d'Arc a fait très tôt un voeu de virginité, à 13 ans dit-on. Parce qu'elle avait été fiancée à un jeune homme, elle a dû, toute jeune encore elle-même, soutenir un procès qui lui était fait de la part de ce jeune homme qui ne pouvait pas se résoudre à la perdre (on le comprend). En même temps son dévouement à la communauté des hommes était sans limite. Son coeur, à l'image de celui de Marie, n'avait pas de limite, elle l'a montré le jour de son brûlement. A son grand dam, l'Anglais qui était préposé à brûler totalement le corps de Jeanne ne put pas brûler son coeur. Il dut se contenter de le jeter dans la Seine. Que reste-t-il, jusqu'au bout de Jeanne la Pucelle, comme elle se nommait elle-même fièrement ? Son coeur que le feu dut laisser intact.
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