Jésus est vraiment mort sur la croix et il est mort pour vivre cette agonie, cette lutte, cette tragédie en quoi consiste toujours notre mort, à nous ses créatures, il est mort pour nous montrer combien la mort est violente et combien malgré l'avis de quelque philosophe perdu dans ses concepts, l'homme n'est pas un être pour la mort. Il est mort d'une mort humaine lui le Créateur de l'Univers, l'Eternel, pour nous montrer combien en lui comme en nous, la mort est une horreur ; il a accepté, il a pris sur lui l'horreur du supplice et l'horreur d'un cadavre, le sien, pour que nous ayons moins peur de vivre notre mort, pour que nous ne craignions pas la poussière d'où nous provenons et où nous retournons.
Théologiquement, il est mort d'une mort humaine parce qu'il s'est fait parfaitement homme, et que dans l'unité de sa Personne divine tout ce qui touche l'humanité de Jésus est attribuable à l'unique sujet divin. Je ne veut pas dire que le Je suis qui constitue le Christ, ce Je suis divin, s'en soit trouvé modifié. Qu'est-ce qui peut modifier Dieu ? A force de réfléchir sur ce Dieu qui se trouverait modifié par sa mort sur une croix, qui se serait en quelque sorte vidé de sa puissance (c'est étymologiquement ce que l'on appelle la kénose dans la théologie orientale), qui se trouverait vulnérable, comme un homme ordinaire l'est face à la puissance du mal, on peut mesurer ce qu'est "la folie de la croix", ainsi que saint Paul la désigne au chapitre 2 de la Première épître aux Corinthiens. Folie ? Comme le dit avec beaucoup de force le Père Chardon, au premier chapitre de son livre La Croix de Jésus, Dieu, allant jusqu'à connaître dans son humanité, la mort d'un supplicié "a préféré qu'on doute de sa sagesse que de sa bonté". le vieux cantique l'affirme avec force : "En expirant sur ce bois il nous aima plus que lui-même". Telle est, exactement formulée, la folie d'amour du Fils de Dieu. Comment peut-on aimer d'avantage ces animaux plus ou moins raisonnables que nous sommes tous, plutôt que cette merveille créée et incréée tout à la fois qu'est le Fils de Dieu fait homme ?
Il faut chercher à la même profondeur le sens du célèbre verset de saint Jean (13, 1) : "Comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin". Grec ; eis telos. Jusqu'à l'accomplissement, l'achèvement, la perfection. Mais quelle est cette perfection ? Le même évangéliste l'affirme : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis"(Jean 15, 13). Voilà, d'après l'Evangéliste saint Jean la bonne nouvelle que le Christ est venu nous apprendre, la science d'amour qu'on chanté trouvères et troubadour,, le "gai savoir" : il n'y a d'amour manifesté que dans le sacrifice de soi.
Non pas le sacrifice de ce qu'on est vraiment, car l'amour de l'autre nous fait toujours advenir à ce que nous sommes. Mais assurément le sacrifice de cette potiche, de cette idole qui n'est qu'un tigre de papier : le Moi. Pour lui donner de l'importance on le nomme souvent en latin : l'ego. Ce n'est que le vaste piège que nous tend notre imagination, comme l'ont bien compris les lacaniens. "Le moi est haïssable" ? Non si par "moi" on entend les forces vives de la personne, mais oui si l'on comprend que le moi,, la plupart du temps, se réduit à une construction sociale, à un rôle professionnel, à un jeu de rôle attendu dans le couple. Sacrifier le moi, pris dans ce sens là, signifie parvenir à sauvegarder les vraies richesses de la personne, en jetant à la mer la construction à laquelle nous voulons que nos amis, nos proches, nos connaissances ou même le monde entier rende un culte : le moi. En ce sens, on peut dire non seulement qu'il n'y a pas d'amour sans sacrifice, mais qu'il n'y a pas de vérité sans l'apprentissage du sacrifice de soi. La croix, la mort sur la croix, est la voie d'accès obligée à la vérité de notre condition. Mais attention ! C'est la vraie croix qu'il nous faut embrasser. Il n'y a pas de vraie croix sans amour ! Le sacrifice pour le sacrifice est une diminution des forces vives de la personne. Il est parfaitement stérile. Le sacrifice pour le sacrifice est haïssable.
Aussi bien regardons le sacrifice du Christ : a-t-il été vain ? Il a mené, par l'amour à la victoire de la vie. Il a donné la vie à tous ceux et à toutes celles qui la désiraient.
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