lundi 29 juin 2009

L'abbé Laguérie : 30 ans de sacerdoce

Voici le canevas du sermon que j'ai prononcé en l'église Saint Eloi, hier à cette occasion.

Cher M. l'abbé,

"A tout prendre écriviez-vous en juin 1985, dans la première décennie de votre sacerdoce, il n'y a que deux sortes d'homme : ceux qui scrutent les oeuvres de Dieu pour savoir s'ils daigneront lui faire confiance, et ceux qui font d'abord confiance à Dieu pour qu'Il daigne leur donner l'intelligence".

Cher M. l'abbé, le très jeune curé parisien que vous étiez alors, comme tous les prêtres sentinelle avancée, sentinelle isolée, aux prises avec le terrible mystère du mal, aux prises avec la puissance du mal dans les coeurs comme dans la société, avait fait de son confessional une guérite où accomplir chaque jour le merveilleux travail de passeur d'âme, un passeur très compatissant à la misère, non un peseur d'âme scrupuleux, exact et décourageant, un passeur rassurant qui travaille pour la vie, qui est fait pour sauver et non pour détruire à l'exemple de son Maître le Christ,un passeur qui se pose peu de questions sur lui-même, malgré les bleus à l'âme qu'il contracte dans son ministère, parce qu'il a décidé, une fois pour toutes, de faire confiance.

Son arme, c'est la confiance ! Un trait, cher M. l'abbé, que retrouve dans votre physionomie quiconque accepte de l'y chercher. Un trait qui caractérise votre vie de découvreur. Jeune curé, ne refusant jamais une confession, vous avez été un découvreur d'âmes. Combien de fidèles vous doivent, ici, dans cette église, d'avoir retrouvé la confiance en eux-mêmes - ou la confiance en Dieu, mais c'est la même chose car Dieu est si proche de nous ! - d'avoir compris quel était leur potentiel. Et combien de jeunes prêtres, ayant servi sous vos ordres,, vous doivent leur confiance crâne dans la puissance de leur sacerdoce.

A Saint Nicolas du Chardonnet, il y avait la guérite du confessional. Combien de temps y passions nous chaque dimanche. Il ne se passait pas de dimanche sans qu'il nous soit donné d'assister à un retour à Dieu après 30 ou 40 ans d'oubli de Dieu. Rien de tel pour former des coeurs de prêtres. Mais il y avait aussi l'autel, le Mont Thabor où nous montions pour tutoyer Dieu en latin, toujours seuls face à lui, même lorsque, derrière, les fidèles se comptaient par milliers. La puissance de notre sacerdoce, vous en renouveliez l'expérience pendant quatorze ans chaque jour, elle est liée intrinsèquement à la puissance non pareille de ce rite vraiment extraordinaire que Benoît XVI aime appeler le rite classique. C'est le saint Sacrifice de la messe qui donnait à votre parole en chaire, malgré votre jeunesse, ce je ne sais quoi d'autorité et de force qui fit bientôt partie de votre personnage.

Il me faut évoquer aussi les repas entre prêtres, ces moments où nous touchions du doigt la fraternité sacerdotale. Rien à voir avec une vie de communauté compassée parce qu'obligatoire. Souvent vous mettiez sur le tapis un sujet et vous laissiez vicaires, recteur ou directeur en discuter à perte de vue. Et puis bien sûr, vous proposiez votre arbitrage à la fin de repas, qui parfois empiètaient sur l'après midi. La théologie devenait ainsi un merveilleux "gai savoir" !

Mais la vie ne s'arrête jamais. En 1998, vous voici à Bordeaux, avec un défi en tête : recommencer ici Saint Nicolas du Chardonnet. Pour cela, il fallait une église. Il y en aura deux. D'abord Sainte-Colombe, à Saintes, un hangar pour peintres en bâtiment, dont vous faites redécouvrir à tous la splendeur XVIème siècle, ensevelie sous les alluvions et les outrages du temps.Ensuite, à Bordeaux, Saint Eloi, défiguré par 20 ans d'abandon et de squatt, Saint Eloi qui à travers vos mains de tailleur de pierres - car vous vous êtes fait tailleur de pierres pour la circonstance, un talent à ajouter à tant d'autres, à tous ces dons que le bon Dieu vous a fait à profusion - a retrouvé sa dignité séculaire au coeur de la ville.

Il faut bien le dire, ces réussites qui incontestablement sont les vôtres, cette faculté de rebondir et de transformer à vos mesures le théâtre des opérations, cela inquiète vos supérieurs. Devrais-je le dire ? Votre supériorité par rapport à l'événement, vos supérieurs auraient tendance à la prendre comme une menace. Sainte Colombe à Saintes ? Inutile, vous dit-on et même nuisible parce que cela perturbe l'apostolat en place. Saint-Eloi à Bordeaux ? Incroyable et vaguement inquiétant pour l'avenir.

C'est à ce moment, M. l'abbé, que l'on voit saillir encore ce trait essentiel de votre personnalité sacerdotale : la confiance. Vous l'avez donnée aux autres, aux fidèles et aux prêtres. Mais elle est aussi votre carburant personnel. Vous avancez à la confiance. et la confiance que vous aviez mise avec tant d'entièreté en Mgr Marcel Lefebvre, qui fut pour vous non seulement l'évêque rovidentiel maisl'homme unique - un père et un tuteur dans votre sacerdoce - cette confiance disparut peu à peu. La confiance était un peu votre musique intérieure, votre rythme d'actions à l'extérieur. Et vous avez peu à peu découvert, vous qui êtes aussi musicien, que l'on voulait vous faire jouer une musique incompréhensible. l'autorité qui fait confiance devient l'autorité qui soupçonne. L'autorité qui construit devient l'autorité qui détruit. Corruptio optimi pessima, j'abandonne ce jgement peut-être un peu sévère à ceux qui comprennent le latin.
Alors intervient le divorce, non pas parce que vous auriez changé, non pas parce que vous vous seriez lassé. Ce n'est pas un divorce avec la cause, c'est un divorce avec les hommes qui entendent incarner la cause. Vous vous tournez alors tout naturellement vers Rome, pour retrouver la confiance que vous avez voulu faire à Dieu dès le début et que vous avez toujours placée concrètement dans l'autorité religieuse à laquelle vous vous donniez.

Commence alors l'aventure la plus extraordinaire de votre existence. Incrédulité des journalistes. Stupeur de vos meilleurs ennemis. A peine quittée la FSSPX, voilà que vous créez avec quelques amis prêtres, l'Institut du Bon Pasteur dont vous rédigez les statuts. Vous recevez de Rome le pouvoir de faire des enfants, je veux dire de treansmettre votre sacerdoce, en appelant aux ordres ceux que vous aurez choisi. 8 septembre 2006, fête de la Nativité de Marie, jour où vous signez, avec le cardinal Castrillon Hoyos, le jour qui pèse le plus lourd dans votre existence de prêtre.

Qu'est-ce que l'Institut du Bon Pasteur ? Un clone de la FSSPX ? Un jumeau tardillon de la FSSP ? Un rival de l'Institut du Christ Roi ? Rien de tout cela ! Autre chose ! Des chevau-légers, uniquement déterminés par leur tâche pastorale. des prêtres animés par la confiance dans leur sacerdoce. Dans l'Eglise. dans le Christ. A votre image. Pas des fonctionnaires de Dieu, qui distribuent les sacrements à heure fixe ! Des battants imaginatifs et prêts à tout. Vous avez, me glisse-t-on à l'oreille, une expression pour dire cela : des grenadiers voltigeurs.

La différence de l'IBP, c'est vous, c'est nous, ce sont les fidèles de Saint Eloi, qui ont pesé lourd dans la balance au moment de la création de l'Institut. Vous voulez aujourd'hui vous consacrer tout entier à votre tâche de supérieur général, en venant à Paris. Nos prières vous accompagnent. Et nos voeux pour la prochaine décennie de votre jeunesse sacerdotale.

3 commentaires:

  1. Excellent, comme à votre habitude !

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  2. Perso, je trouve toujours dérangeantes ces séances de congratulations hagiographiques !...

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  3. moi aussi; pas tant "dérangeantes", mais surtout assez ennuyeuses et pas vraiment utiles : que gagne-t-on à se congratuler ainsi sur la place publique ?

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