J'avoue que je trouve certaines de vos interventions (oh ! pas toutes) un peu crispées, tendues, revanchardes (mais de quelle revanche ?). Alors ce soir je fais un appel aux amis de la poésie, en invoquant un grand penseur méconnu, qui n'est pas un poète, mais auquel les éditions du Cerf viennent de consacrer un précieux recueil intitulé Théologie de l'histoire et crise de civilisation. De quoi vous mettre l'eau à la bouche ! Je résume : Dieu et la crise. Voilà une bonne question ! Que vous dire encore ? Je me suis plongé ce matin dans la passionnante préface d'Arnaud Imatz... Oui l'auteur préfacé par Arnaud Imatz doit être espagnol. Vous brûlez. Non il n'est pas question de phalange ou de phalangistes. C'est un auteur du XIXème siècle, une pensée tellement céleste que notre temps a eu vite fait de la loger dans l'enfer de ses bibliothèques... Il s'agit de Donoso Cortès.
Ce conservateur, nous apprend Imatz, n'était pas un carliste, malgré sa réputation de traditionaliste. Dans le conflit dynastique qui fit couler tant de sang espagnol, il était pour la légitimité représentée par Marie Christine et par sa fille Isabelle... Ainsi poursuivit-il une brillante carrière diplomatique (ambassadeur d'Espagne en France) et politique. Son oeuvre de philosophe politique et de chrétien en reçoit une acuité particulière.
Mais avant de savoir si cette acuité peut nous servir dans la crise politique dans laquelle nous sommes, je voudrais justifier mon titre. Ami de la poésie ? Voici une formule de Donoso, tirée de son Discours sur la Bible, qui m'a particulièrement frappé :
"Il y a dans l'homme trois sentiments poétiques par excellence : l'amour de Dieu, l'amour de la femme et l'amour de la patrie, le sentiment religieux, le sentiment humain et le sentiment politique. Partout où la connaissance de Dieu s'obscurcit, partout où le visage de la femme est recouvert d'un voile, partout où les nations sont esclaves, la poésie est une flamme qui s'éteint, faute d'aliment"
Cette idée qu'il faut rapprocher les trois amours dans une seule intelligence (bien supérieure à la raison, "cette petite chose à la surface de nous-mêmes" comme disait Barrès) me paraît prodigieusement féconde. Vous l'aviez déjà, vous cette idée ? Moi pas. Je crois que le drame historique du rationalisme, que nous avons hérité du XVIIIème siècle, c'est, en nous éloignant de toute intelligence de Dieu de nous couper de toute compréhension de la vie - donc de l'amour et de la politique. En lieu et place de l'amour, on se contente d'optimiser le choix de ses partenaires ; en guise de politique, on peine à gérer les besoins du Gros animal politique dans une perpétuelle négociation du moindre mal. Il n'y a plus ni amour ni politique réelle (politique du peuple pour le peuple) là où il n'y a plus ni Dieu ni religion. Que manque-t-il ? La foi. Foi en Dieu, foi en l'autre, foi en l'avenir du peuple dont on est issu (et donc foi en son propre avenir). Cette foi qui provient d'une intelligence de la vie peut être appelée poésie (comme le fait ici Donoso Cortès) dans la mesure où elle procède d'un regard d'ensemble, d'une perspective globale, d'un jugement plus que d'une appréhension (de l'esprit de finesse plus que de l'esprit de géométrie dirait Pascal). Je retiens cette idée que voiler les femmes est l'acte concret le plus antipoétique qui soit, puisque l'on se fait fort ainsi de couper à la source toute vraie... représentativité des femmes dans la vie humaine.
Je voudrais qu'il vous reste de l'attention pour la deuxième formule que j'ai retenue pour vous. Elle est tirée du célèbre Discours sur la dictature de Donoso, discours dans lequel un Carl Schmitt voyait l'un des sommets rhétoriques de la culture humaine. Voici cet extrait :
"Il n'y a Messieurs que deux répressions possibles, l'une intérieure, l'autre extérieure : la répression religieuse et la répression politique. Elles sont de telle nature que lorsque le thermomètre religieux s'élève, le thermomètre de la répression baisse et que, réciproquement, lorsque le thermomètre religieux baisse, le thermomètre politique, la répression politique, la tyrannie monte. C'est une loi de l'humanité, une loi de l'histoire".
Connaissez-vous plus belle critique du laïcisme ? Moi pas. Cela étant, un tel texte exige de nous que nous soyons capable de faire un effort d'imagination. Il faut réfléchir avec Donoso, ici en 1849, comme si le système républicain n'existait pas.
Il est tout à fait vrai que parce que, dans le système laïciste imaginé par Jean Jacques Rousseau, on ne prend pas en compte l'intériorité humaine, on est obligé de réfléchir à une contrainte extérieure permanente. Dans son système de force, la vie intérieure des personnes est ignorée, les motivations intellectuelles des décisions sont ignorées. Seule demeure l'unanimité présumée des citoyens (le contrat social) forcément plus forte que toutes les minorités qui pourraient s'élever contre elle, et plus forte aussi (au nom des institutions républicaine) que n'importe quelle majorité (non républicaine) de citoyens. Si la République inventée par Rousseau se défend si bien, c'est qu'elle n'a jamais qu'elle ne peut pas avoir d'état d'âme et que le calcul des forces politique est toujours en sa faveur, l'unanimité (présumée) valant plus que tous les autres groupes politiques organisés dans le Pays.
On peut se demander d'ailleurs (avec Tocqueville par exemple) si ce Système de contrôle prodigieusement efficace qui a nom République (et pas démocratie, notez le bien) n'est pas la reprise du système bourbonien inventé par Louis XIV et qu'il avait appelé "le droit divin". L'oeuvre des révolutionnaires de 89 aurait simplement consisté à expliquer au Roi (Louis XVI en l'occurrence) que loin de représenter la nation, comme son arrière grand père l'avait enseigné à ses descendant, après en avoir convaincu son peuple, le roi devait rendre des comptes à la nation. A partir de 1789, le droit divin n'est plus en lui mais en elle, ce qui créera (en 1793 et 94) quelques violences, tranquillement endossées par le droit divin de la République (que l'on appelle aussi laïcité à partir de la fin du XIXème siècle). C'est sans doute pour cela que Charles Péguy parlait de "la République, notre beau royaume de France". Il est le premier à succomber à la tentation de tous les jacobins blancs... avec Jacques Bainville peut-être.
Voilà le système qui nous empêche d'être sensible à se qu'écrivait Donoso Cortès en... 1849, à une époque où la Deuxième République, sorte de populisme mystique dont le poète Lamartine se voulait le grand-prêtre (il se voulait même le futur président de la République), n'avait pas encore redécouvert le Système de Rousseau, ce que ne manquera pas de faire la IIIème, à partir de 1876, à la fin de la République des Ducs. Les républicains en exil durant le Second Empire, ont très bien compris l'échec de 1848 : sans république, sans absolutisme républicain, sans Contrat social, il n'y aura jamais de démocratie en France ; toutes les démocraties françaises (n'est-ce pas M. Giscard d'Estaing) sont des utopies sans lendemain. La démocratie a chez nous besoin du carcan de l'absolutisme pour s'installer. Elle a besoin d'entrer en guerre avec la religion pour éprouver son droit divin. La France, depuis deux siècle, est essentiellement républicaine, comme le remarquait encore Donoso Cortès, le francophile, le terriblement sagace Donoso Cortès. C'est le seul système qui marche. Contre nous chrétiens ? C'est ce que nous apprend l'histoire du XVIIIème au XXème siècle, des Massacres de Septembre aux Inventaires ou à l'Affaire des fiches.
Un jeune gadzart assassiné, un gosse de dix-neuf ans tué par des ''extrémistes'', ça fait du bien de vous lire Monsieur l'abbé. Louis.
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RépondreSupprimerLoin de moi la crispation, la tension et la revanche. D’autant que je vous suis les yeux fermés quand il s’agit de la nature de la Trinité, de la multiplication des pains ou de la structure non granulaire du temps. Mais vous ne me ferez jamais croire que le régime des Capets, parents et alliés, est préférable à celui du président Moijeu, et autres.
Je pense qu’il nous faut imaginer autre chose. Par exemple confier le pouvoir à des hommes qui ne le désirent pas. Est-ce utopique ? Dans une nation où on va bientôt vous imposer de marier un homme avec un homme et une femme avec une femme tout est possible.
Contrairement à ce qu'un vainpeuple pense la Duxième a été une grande période. C'est à elle et à surtout à Dufaure que l'on doit les premières grandes lois sociales et à l'affirmation de droits sociaux alors qu'auparavant on en était resté à un régime de charité. Si nous avons (pour combien de temps encore) un système de sécurité sociale c'est à la République deuxième du nom que nous le devons.
RépondreSupprimerJ'ai aussi une pensée émue pour Pierre Mauroy qui vient de nous quitter et qui y croyait aux droits sociaux.
(Première partie)
RépondreSupprimerMerci au commentateur qui l'a exprimée de sa pensée émue pour Pierre Mauroy, socialiste sincère.
Quant à ce billet, Monsieur l'abbé, autant je reçois presque entièrement la seconde citation que vous nous faites de donoso cortès, bien que tout système qui aboutit à confondre les thermomètres religieux et politique me paraisse suspect, autant votre première citation m'inspire ce résumé amer:
En somme, il s'agit de garder la patrie pour garder la femme, gardienne de l'enfant, et il s'agit de garder la patrie au Nom de Dieu... Que si les intérêts de la patrie qu'on garde pour l'amour de la femme et les intérêts de l'enfant que garde celle-ci en tant que mère viennent à diverger, on statuera dans l'intérêt de la patrie et, comme eût dit Prévert en verve polémique contre tous les carbuccia et tous les Chiappe, on mettra des enfants au monde dans l'intérêt de la famille, desquels on fera de la chair à canon dans l'intérêt de la patrie.
Maintenant, faut-il instrumentaliser l'intériorité à des fins politiques et sonder "les motivations intérieures" de nos prises de position extérieures?
L'"unanimité présumée" est une faute contre la conscience, mais l'immiction d'un impérialisme religieux dans ce sanctuaire de l'intériorité n'est pas, lui non plus, dénué d'intentions idéologiques.
En commentaire à votre refus du "Contrat universel", Benoîte a fait part du conseil que je lui avais donné de lire "La déclaration universelle des droits de l'homme". Je n'en fais pas la même lecture enthousiaste qu'elle. Car ce quiy est exprimé, c'est la souscription par tous les Etats d'un contrat social individuel obligatoire, dont la défense de la famille n'est qu'un alibi patrimonial et que le dernier article cité par benoîte referme sur lui-même comme une idéologie, huis clos de la pensée selon Hannah Arendt, en interdisant en l'occurrence, pour notre Déclaration, toute activité susceptible de contrevenir aux droits de l'homme, lesquels doivent encore être promus par l'éducation qui est un "droit obligatoir", encore un bel oxymore ! Un droit que les familles n'ont aucune latitude de contrôler en dehors d'une espèce de liberté pédagogique: elles peuvent choisir le "genre d'éducation" dispensé à leurs enfants, mais nullement le contenu de cette éducation, qui doit faire l'apologie des droits de l'homme et du système de nations individualistes qu'ils véhiculent.
(Seconde partie)
RépondreSupprimerAi-je été revenchard de ne pas souffrir votre compromission avec les oxymores de béatrice Bourges, dont la précision qu'elle appelle à un combat non violent tient seulement à ce que la loi interdit l'apologie de la violence, moyennant quoi il ne reste que la transgression. Le mariage gay, combien de morts? Dominique venner et Clément Méric, pour ne citer que ceux-là. Et à part ça, il n'y aurait eu aucune violence d'après Béatrice bourges?Mais je ne fais pas de la non violence un absolu qui serait le contraire de l'amour -en dehors de son envergure intellectuelle que je suis loin d'avoir, je ne suis pas René girard-, car l'amour est violent. C'est une violence qu'on fait à soi en pensant à autre chose, et c'est une violence qu'on fait à l'autre, en le rendant comptables de nous être oubliés pour lui. Le Christ nous fait aussi cette violence, Lui Qui nous demande que nous Lui concevions de la gratitude de ce qu'Il se Soit livré pour nous sans que nous Lui en ayons donné mandat...
Redevenons sérieux et résumons-nous. Il faut sortir des idéologies : ni l'individualisme des droits de l'homme, ni le républicanisme de la laïcité et son "unanimité présumée", ni l'impérialisme religieux défendu par vous-même ou par Béatrice Bourges, impérialisme religieux qui garde les institutions protectrices de la femme en tuant au besoin ses enfants. L'alternative à tout cela? L'humilité d'une démocratie sans contenu idéologique latent, sans "religion civile", simple forme de gouvernement qui cherche à prendre le pouls d'une société, quitte à ce qu'elle fasse un mauvais choix, pourvu que la recherche de ce que pense la majorité l'aide, sinon à trouver le consensus, du moins à gouverner avec le minimum de contrainte.