samedi 1 février 2014

C'est le péché qui convertit

Chers amis metablogueurs, je vous mets sous les yeux un entretien sur mon dernier livre paru dans le numéro de janvier de Monde et Vie...
M. l’abbé, vous venez de publier Une histoire du mal, aux éditions Via romana. J’ai cru comprendre que, sous ce titre, vous entendiez traiter du problème du mal. Mais sur un tel sujet – un sujet aussi rebattu - vous avez vraiment du nouveau à apporter ?
Je crois qu’il y a moyen de proposer au lecteur une approche enfin radicale de la question. 

Aujourd’hui les théologiens, à la suite du Père Jean-Miguel Garrigues, sont très soucieux d’insister sur le fait que Dieu est innocent du mal, dont il n’aurait même pas connaissance. On est dans une culture de l'excuse ! Mon postulat de départ est exactement inverse : c’est le péché de l’homme qui a entraîné Dieu à se faire homme et à vouloir mourir sur la Croix, pour partager avec nous tout le mal du monde. Il aurait pu nous racheter autrement. Il a pris au sérieux, il a pris au tragique l’existence du mal, il en a pris... sa part de responsabilité au point de vouloir en subir les affres dans son humanité. Voilà la réponse chrétienne, telle qu’elle est enseignée par Thomas d’Aquin. 

Duns Scot et tant d’autres, eux, veulent faire du mal une simple question académique, une « problématique » consciencieusement posée, qui ne change rien à rien, suscite au mieux l’indifférence, au pire le scandale, par des « explications » toutes marginales. En contraste avec les finasseries des théologiens, la réponse christique est la seule qui apparaisse à la hauteur de la question. Sur ce point les philosophes aussi se sont égarés, un Platon disant que le mal est « seulement une ignorance », un Spinoza expliquant que le bien et le mal ont la même nécessité et que l’Etat peut ordonner le mal sans qu’on ait le moindre droit de désobéir.
Votre livre, excusez-moi, ce n’est pas une histoire du mal, c’est un cours de morale que vous nous administrez ?
Aristote a longuement expliqué à Platon que la morale ne s’enseigne pas. Je n’en ferai donc pas un cours mais une histoire, l’histoire du mal, qui, à tout moment, peut se changer en bien. Quand le mal n’a plus d’histoire, c’est l’enfer, l’immobilisation, la pétrification définitive  dans le mal. La Bible, Ancien et Nouveau Testament, nous offre une longue histoire du mal et nous présente les moyens à prendre pour s’en délivrer. 

Pourquoi les cours de morale ne servent à rien ? Parce que l’homme ne maîtrise jamais la connaissance du bien et du mal. Il découvre le bien et le mal en quelque sorte à l’instinct, et, comme le disait déjà Aristote, dans une sorte de divination (Rhétorique 1, 13). Comment voulez-vous donner un cours de divination ? Le Serpent a prétendu donner ce cours à Eve ; on sait ce qu’il est advenu quand elle a commencé à goûter de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et à en offrir à Adam… « Leurs yeux se sont ouverts et ils ont vu qu’ils étaient nus… ». 

Bref c’est le début des « emmerdements », auxquels ils réagissent en se faisant immédiatement des vêtements avec ce qu’ils ont sous la main : les feuilles de figuier. Ainsi, dès l’origine, le calcul, la volonté de « savoir » déchaîne non pas la sexualité qui est naturelle, mais une violence sexuelle, qui oblige Adam et Eve à la pudeur… Vous me reprochez de donner un cours de morale ? Alors il est vrai que je fais l’éloge de la pudeur, cette passion proche de la peur, qui intercède pour l’humanité de l’homme et qui exprime la fragilité de l’esprit face aux emballements de la chair.
Est-ce que ce livre constitue une parenthèse dans votre travail ou bien s’inscrit-il dans la suite logique de vos précédents ouvrages ?
Je me situe dans la perspective ouverte dans mon livre précédent Parier avec Pascal, dont le dernier chapitre aborde le problème du mal, en en faisant la clé du Pari. Il faut parier, oui, parier sur Dieu c’est évident, ne serait-ce que pour être meilleur, pour ne pas nous laisser déborder par l'étrange puissance du mal, ne serait-ce que pour échapper à la médiocrité de nos calculs à la petite semaine. 

Par ailleurs, dans le Cajétan comme dans le Pascal, j’avais étudié ce que Bruno Pinchard appelle le dédoublement de la raison. C’est un fil rouge que je continue à dévider ici. Il ne faut pas réduire l’intelligence à la raison. La raison procède par identification ou par identités successives : a = b ; b = c ; donc a = c. Mais il y a beaucoup de domaines de l’existence, à commencer par les plus quotidiens, dans lesquels on ne peut rien mesurer. Il est donc impossible, en l'absence de mesure d’établir la moindre identité, la moindre égalité. L'intelligence est-elle sans ressource quand elle ne peut plus établir l'identité entre deux choses ou entre deux idées, pour obtenir une démonstration ? Non ! Reste à procéder par des ressemblances, des analogies. L’intelligence analogique est la seule capable de s’intéresser à l’immense domaine spirituel. 

Prenons un exemple : quelle réponse la raison (avec son identité et ses démonstrations) peut-elle apporter à la grande question du bien et du mal ? Aucune. Pour répondre, nous devons convoquer l’intelligence méditative et, selon l’ordre de Pascal à sa sœur Gilberte, « ne jamais perdre pendant un temps trop long la grande pensée de la ressemblance ». Le bien ne se démontre pas. Il s'estime. Le mal ne se prouve pas, il se ressent. La volonté de savoir dans le domaine de la morale ne parvient jamais à ses fins. D’où la nécessité pratique de la foi ! Et de l'amour : mais qu'on le veuille ou non, c'est la même chose.
Pourquoi le Caïn de Coypel sur la couverture de votre Histoire du mal ?
Regardez bien son regard et vous comprendrez tout. Caïn fratricide obtient la miséricorde et la protection de Yahvé. Ses yeux se sont ouverts. Ils sont éperdus de reconnaissance et encore mouillés de peur. Son horrible péché, son fratricide l’a converti !
(Propos recueillis par Louise Labrunie)


Guillaume de Tanoüarn, Une histoire du mal, éd. Via romana 2014, 278 pp. 24 euros (à commander franco de port au Centre Saint Paul, 12 rue Saint Joseph 75 002 Paris)

Merci à Louise Labrunie dont les critiques m'ont permis d'améliorer ce texte !

5 commentaires:

  1. Si valetis, valeo, Mr l'abbé, vous avez raison c'est le péché qui converti... je me suis convertis à l'Islam ... parce que j'ai été l'enfant prodigue. aprés être passé adevant le juge des enfants et de confession en confession que j'ai decidé d'appeller la Mosquée de Marcouville pour reciter la profession de foi (shaada).

    RépondreSupprimer
  2. Je me suis affolé, car je croyais que quelqu'un avait usurpé mon identité. Je n'avais pas lu que "comte" s'écrivait sans "p" et, quand j'ai vérifié l'adresse mail de l'utilisateur, qu'il ne s'appelait pas comme moi. Ca fait tout drôle de penser qu'on peut perdre son âme en un clic. Merci, mon Dieu! Personne n'a usurpé mon identité et je ne suis pas as allé jusqu'à l'égarement de ce qui, de ma part, eût été une pochade indigne, mais de conséquence, sauf la Miséricorde de Dieu; mais de ce qui, de la part de notre frère en détresse, est sans doute un appel au secours. Prions pour lui et tendons-lui la main !

    RépondreSupprimer
  3. Certains philosophes se sont trompés, dites-vous. Certains théologiens aussi. Le docteur angélique lui, résiste toujours à la critique. Pourtant, après 2000 ans d’histoire chrétienne, la problématique du mal n’est pas résolue, ni celle du péché originel. En effet, si la compréhension de ce dernier était si claire et si clairement énoncée dans la Genèse, on aurait tous compris, au moins ! Pour ma part tout me choque : les conclusions des uns et des autres. La pensée la plus orthodoxe sur cette question frôle l’intolérable (j’ai bien dit, la plus orthodoxe !). Même la votre, MAG2T : Dieu aurait pu nous sauver autrement… voilà le leitmotiv. Partant de ce postulat, on imagine Dieu usant de son libre arbitre, et en personne « responsable » choisir entre un panel de solutions, la pire ! Pourquoi, au contraire ne pas partir de notre péché ? Pourquoi est-il si difficile de dire et de penser que la Croix serait proportionnelle au péché lui-même ? Cela décale d’un cran le postulat établi et nous pourrions enfin admettre que l’humanité en tant que porteuse de ce péché, est responsable de la Crucifixion. Nous avons crucifié Dieu en la personne de son Fils. Nous, nous, nous… Essayons de le concevoir vraiment, ne serait-ce que quelques secondes…crucifier Dieu : C’est inimaginable, inconcevable et pourtant, il n’y a pas de doute, nous l’avons fait, par notre péché. Nous avons porté Dieu jusqu’au bois de la Croix. C’est à dessein que je répète mots et phrases, car il est plus facile de concevoir un Dieu « responsabilisé » comme vous le dites plutôt qu’un Dieu qui, malgré l’inconcevable de notre péché, donne « tout », lui-même, pour ressusciter ce que nous avions tué. Comme je l’ai souvent exprimé sur ce blog, si nous butons sur le vrai sens de la Croix, c’est que nous butons obligatoirement sur le péché originel. En effet la genèse ne nous dit rien sur le Royaume de Dieu d’où nous sommes issus. Le Paradis n’y est que terrestre, humain, trop humain, ainsi que serpents et pommiers. Je ne dis pas que cela est faux, je dis que le paradis en question ne peut être qu’un lieu postérieur à la chute première. Qui voudrait de ce paradis ? Je vous le laisse, si vous tenez à y retourner. Notre Sauveur nous promet bien autre chose. Non décidément, il y a quelque chose qui ne colle pas. La thèse de R. Girard nous emmène déjà plus loin. : Le meurtre primordial. Mais cela ne peut pas être tout à fait le premier moteur de la chute. Le second peut-être. Pourtant, il est certain que nous humains, nous avons crucifié quelque chose ou quelqu’un. Et Pourquoi Platon aurait-il tort ? Lui reprocherait-on aussi de ne pas être Thomiste ? Pourquoi ne pas envisager que l’homme ait chuté de palier en palier ? Nous sommes sortis (ex-ister) de la Lumière de Dieu et de la Vie, puis (tout comme aujourd’hui), nous nous sommes enfoncés jusqu’à l’inconcevable de ce monde. Le Père Garrigues que je ne connais pas n’a pas forçément tort non plus. Dieu ne peut pas avoir connaissance du mal sinon cela voudrait dire que celui-ci existe dans son Royaume. Une fois de plus ce paradis, je vous le laisse. D’ailleurs la vie chrétienne ne vaut que pour un Royaume étranger à tout mal, sinon rien n’en vaut la chandelle. Quant à la sexualité, mais que vient-elle faire dans cette galère ? Chouraqui (le traducteur de la Bible) suppose que le serpent de la Genèse pourrait avoir eu raison : Nous sommes nus, déshabillés de la Lumière de Dieu !



    RépondreSupprimer
  4. Cher MAG2T, voilà que j’ai commencé votre ouvrage intitulé : »une histoire du mal ». Je m’arrête à toutes les pages, ce qui ralentit étrangement ma lecture. Vous devinez que je ne suis pas vraiment d’accord avec vous. Vous dites, pourtant à juste titre, et après le docteur angélique, que l’Eglise, gardienne de la Foi, possède « l’Ecriture canonique », la Tradition ou en somme, l’interprétation infaillible. Pour rentrer rapidement dans le vif du sujet, l’Eglise n’a pas encore « tout » révélé. Il reste les mystérieux « Mystères », de la Foi, de la Croix, de la Rédemption, de la Miséricorde, de l’Immaculée Conception, mais aussi du mal, du démon etc., lesquels Mystères sont autant de « trous noirs » dans lesquels tous les théologiens se sont engouffrés pour y aller de leurs interprétations. L’Eglise a choisi les siens comme référents. Pourtant le XXème siècle connaît encore de nouvelles thèses et comme vous le dîtes aussi, Vatican II bouleverse ladite Tradition. Je ne discuterai pas du contenu de ces interprétations car je n’en ai pas la science. J’ajouterai cependant que c’est l’Eglise qui nous donnera, en son temps, la clé de ces mystères et que en attendant, rien n’interdit la discussion. D’ailleurs à quoi bon écrire une « histoire du mal » 2000 ans après la Mission Rédemptrice si le sujet est épuisé ! J’ai toujours cru et avancé que la claire compréhension du Mystère de la Croix nous donnerait une vision plus réelle sur le péché originel car ce sont les deux pôles de la même problématique. En vous lisant, je crois à présent que c’est le contraire qui risque d’arriver. L’origine de notre condition ici-bas dévoilera le dernier mystère, celui de la Rédemption par la Croix, et tant qu’on se prendra les pieds dans la Genèse, rien ne viendra vraiment illuminer ce Mystère. D’autre part, ce que vous avancez sur ce que vous appelez « la Science » majusculaire » est décevant, car faux. Non, la notion de « commencement du monde » n’est pas imagée. Il s’agit du commencement de « notre » monde, celui que nous connaissons. La science voyage dans la matière, dans l’infiniment petit. Elle remonte au début de « cet » univers. Elle a d’ailleurs déjà dépassé le Big Bang et rien ne dit que nous n’en avons pas d’autres à découvrir. Les trous noirs nous révèlent aussi que ce monde-ci n’est pas aussi réel que nous le croyons et que ce que nous nommons « réalité concrète » n’est, en fait que de l’information. Nous savons maintenant aussi que l’univers est habité par plus de matière noire que de matière visible qui ne représente que 4% de la matière totale. Et que dire de la découverte du Boson de Higgs sur la gravitation ! Non, MAG2T, vous ne pouvez pas tenir un discours qui daterait encore du début du XXème siècle. Pie XII a donné à cette communauté scientifique, un saint patron, Albert le grand et cela en 1941, un an avant la première pile atomique (réaction nucléaire en chaine). Autrement dit, il a mis la communauté scientifique sous la protection de l’Eglise. Contrairement à ce que vous dites (p.30), l’homme « peut échapper à l’image » et rentrer dans le réel. La science est ce moyen par lequel il se nettoie de son imaginaire. La foi et la science doivent se rejoindre et elles le feront, comme elles l’ont déjà fait par le passé. Sinon, le risque est de tourner en rond, indéfiniment.

    RépondreSupprimer