Le sacrifice de l'eucharistie est l'accomplissement de tous les sacrifices à travers lesquels Dieu est aimé et servi, puisqu'en lui le Christ est l'offrande en même temps qu'il est l'offrant, le sacrificateur. Cajétan a une très belle expression à ce sujet : le sacrifice de la messe, dit-il, sacrifice diffusé dans l'espace temps, qui est à la fois humain (comme sacrifice de l'Eglise) et divin (comme sacrifice du Christ) est perfectivum omnium sacrificiorum. Il réalise tout ce que tentent les sacrifices, les oblations, les offrandes des hommes. Il est le sacrifice unique parce qu'il accomplit tous les autres.
Mais, dans l'histoire de l'humanité, ce sacrifice unique et décisif, alliance définitive entre Dieu et les hommes de bonne volonté, a été annoncé et comme présignifié dès l'origine. Alors que le péché d'Adam et Eve avait chassé l'humanité du paradis terrestre, établissant cet abîme entre Dieu et l'homme, abîme qui est la conséquence du péché originel, néanmoins, Dieu accepte le sacrifice du fils d'Adam, Abel. L’Épître aux Hébreux en cherche les raisons et en tire toutes les conséquences, les raisons autour de la foi et les conséquences autour de la justice et de l'immortalité : "Par la foi, Abel offrit à Dieu un sacrifice de plus grande valeur que celui de Caïn. Aussi ce dernier, - Dieu ayant rendu témoignage à ses dons - fut-il proclamé juste. Par sa foi, bien que mort, il parle encore" (Hébr. 11, 4).
Comment Abel parle-t-il ? Cette dernière formule peut paraître énigmatique; Il me semble qu'une autre allusion à Abel, au chapitre 12 de la même Epître aux Hébreux,, peut contribuer à expliquer cette éloquence post-mortem : "Jésus qui est le médiateur d'une alliance nouvelle et d'un sang purificateur plus éloquent que celui d'Abel". Mort, Abel parle avec une certaine éloquence, parce que, par sa mort, il préfigure le sacrifice du Christ : faisant partie de ces hommes sanctifiés par leur foi, il est objectivement christique avant le Christ, et c'est pourquoi il est déclaré juste, vivant de l'esprit du Christ avant que le Christ ne vienne sur la terre.
C'est en méditant sur Abel le juste que saint Grégoire le grand (pape entre 599 et 610) propose l'expression : Ecclesia ab Abel justo. L'Eglise existe depuis Abel le juste, depuis que le sacrifice d'Abel a été agréé par Dieu et a rendu juste le sacrificateur. C'est toute une conception de l'Eglise qui en ressort : l'Eglise n'est pas seulement une institution ou une superstructure, qui aurait, dans l'ordre spirituel, un rôle analogue à celui de l'Etat dans l'ordre temporel. Elle est cela certes pour le meilleur et parfois pour le pire, mais elle est d'abord une réalité mystique (le corps mystique du Christ dit saint Paul), qui existe depuis l'origine de l'humanité et au sein de laquelle d'une manière exceptionnelle comme Abel ou d'une manière ordinaire comme nous tous après le Christ, nous pouvons offrir des sacrifices agréables à Dieu, des oblations qui touchent le cœur de Dieu.
Voisinant le moment sacré de la consécration, l'allusion à Abel et aux origines mêmes de l'humanité marque l'universalité du sacrifice de la messe et nous fait comprendre que l'Eglise elle-même est construite sur l'autel des sacrifices où se consomme l'amour de Dieu. Cet autel des sacrifices n'est pas fait de mains d'hommes, comme nous le verrons bientôt.
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