Ces deux-là sont liés, par une rencontre inopinée dans le désert de la vallée des rois. Après qu'Abram eut vaincu les quatre rois qui avaient ravagé les propriétés de Lot son neveu, Melchisedech, qui est nommé simplement "prêtre du Très haut", (étymologiquement son nom signifie : roi de justice et il est "roi de Salem", roi de paix) vint à lui, comme de nulle part,"sans père, sans mère, sans généalogie"dit l’Épître aux Hébreux, mais apportant du pain et du vin pour offrir le sacrifice, et recevant, avec l'autorité que lui donne sa sainteté, la dîme du butin d'Abram, qui par ailleurs ne garda rien pour lui et restitua tout à son neveu. Voilà l'histoire de la rencontre. Une rencontre, rien avant et puis plus rien ?
En tout cas, il n'est plus question de Melchisedech dans l'ancien Testament sinon à une reprise dans le psaume 109, psaume qui annonce le Messie : "Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisedech". Pour le psalmiste, cette parole étrange signifie que le Messie, issu de la tribu de Judas et non de celle de Levi, sera prêtre sans être lévite, non pas selon l'ordre d''Aaron, le frère de Moïse, chef de la tribu des Lévites, mais selon un autre ordre, plus majestueux parce qu'il demeure "à jamais", n'étant pas dévolu seulement aux prières terrestres, ni à une identité terrestre (le peuple juif) mais prêtre pour tous et pour toujours. Voici maintenant comment l'auteur de l’Épître aux Hébreux commente ce verset du psaume : "Le messie est devenu pour tous ceux qui lui obéisse principe de salut éternel, puisqu'il est salué par Dieu du titre de grand prêtre, pour toujours selon l'ordre de Melchisedech" (5, 9 et 10). Ce prêtre pour toujours, c'est évidemment notre Seigneur Jésus Christ qui portant un nouveau sacerdoce, incarne une nouvelle alliance ; " En parlant d'une alliance nouvelle, Dieu a rendu ancienne la première. Or ce qui devient ancien est près de disparaître" (Hébr. 8, 13).
Il y a quelque chose de prodigieux dans ces vieux textes : quoi ! Ce Melchisedech qui fait l'effet d'une sorte de météorite biblique, c'est lui, parce qu'il sacrifie avec le pain et le vin qui porte un sacerdoce plus noble que celui d'Aaron, plus noble que ceux qui se dérouleront, selon la loi de Moïse, à travers les sacrifices de mouton ou d'agneau. Finis les sacrifices d'animaux. Le Messie offrira en effet un sacrifice fait de pain et de vin et transsubstantié, surnaturalisé, divinisé : le sacrifice de la messe.
Quant à Abraham, il n'est pas prêtre puisqu'il offre la dîme de son butin à Melchisedech, prêtre du Très haut. Mais Dieu lui commande, comme il commande à chacun de ceux qui croient en lui, d'offrir un sacrifice, qui représente un vrai don, don total ou abandon, en l'occurrence le don de son fils Isaac, qui est l'enfant de la promesse, le premier être à concrétiser cette "descendance aussi nombreuse que les étoiles du Ciel" qui lui a pourtant été promise.
L'épître aux Hébreux présente les choses ainsi dans le magnifique panégyrique qu'elle dresse de la foi à travers les âges : "Par la foi Abraham, mis à l'épreuve, a offert Isaac et c'est son fils unique qu'il offrait en sacrifice, lui qui était le dépositaire des promesses, lui de qui il avait été dit : C'est par Isaac que tu auras une postérité. Dieu pensait-il est capable même de ressusciter les morts. C'est pour cela qu'il recouvra son fils et ce fut une parabole" (Hébr. 11, 17-20). Ce qui caractérise Abraham si ce n'est pas le sacerdoce ? La foi, la foi confiance, la foi inconditionnelle, qui le fait croire en la résurrection, celle de son fils Isaac semble nous dire l'auteur de l'Epître aux Hébreux, celle de tous les hommes possiblement, mais d'abord celle du Ressuscité par excellence. N'est-ce pas ce que Jésus dit en énigme aux Juifs au chapitre 8 de saint Jean ; "Abraham a vu mon jour et il s'est réjoui". La foi d'Abraham n'est pas seulement, n'en déplaise au Kierkegaard de crainte et tremblement, un nième avatar de la foi confiance. Il voit plus loin que tous il voit la vie éternelle terme du voyage, il voit "l'auteur du salut", il voit ce qui dépasse infiniment notre nature animal : "Abraham, votre Père, exulta à la pensée de voir mon jour et il a vu mon jour et il s'est réjoui" (Jean 8, 26).
Le sacrifice de Melchisedec comporte l'énigme du pain et du vin. Abraham lui consomme le sacrifice, il va jusqu'au bout, offrant à Dieu sa propre promesse. Ce faisant il est bien le seul à anticiper vraiment le Christ, à "voir son jour", en offrant à Dieu tout ce qu'il pouvait offrir : Isaac, la promesse elle-même. Saint Paul, quant à lui, au chapitre 4 de l’Épître aux Romains traite d'Abraham enfantant Isaac : cet enfantement même est une résurrection : "C'est d'une foi sans défaillance qu'il considéra son corps déjà mort - il avait quelque cent ans - et le sein de Sara, mort également" (Rom. 4, 19). A ces deux corps devenus stériles avec l'âge, Dieu offre de transmettre la vie : "Appuyé sur les promesses de Dieu, sans hésitation ni incrédulité mais avec une foi puissante, il rendit gloire à Dieu, certain que tout ce que Dieu a promis il est assez puissant pour l'accomplir".
Telle est la foi d'Abraham, foi dans la promesse que Dieu n'a pas laissé au hasard et qui accomplit le sacrifice, en le rendant agréable à Dieu.
Récapitulons et revenons sur ces trois personnages cités au Canon de la messe : Abel signifie l'innocence qui est en tout homme mais que le péché étouffe. Melchisédech signifie l'énigme ou le mystère du pain et du vin. Abraham signifie la foi qui accomplit le sacrifice d'Isaac de la même manière qu'elle lui avait donné naissance. L'innocence, le mystère, la foi, voilà, encore aujourd'hui les trois conditions du sacrifice agréé par Dieu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire