Nous avons d'abord - avant la consécration - prié pour les vivants, c'est le premier Memento. Nous prions - après la consécration - pour les défunts, dont les prénoms étaient écrits sur des tablettes, comme ceux des vivants. De fait, "c'est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés" lit-on au IIème livre des Macchabées, alors que le vaillant Judas organise une collecte pour offrir des sacrifices pour les péchés des morts (cf. 2 Macch. 12, 43-46, texte repris par l'Eglise pour les messes anniversaire des défunts). Il y a une solidarité naturelle de toutes les âmes créées, des vivants avec les morts et des morts avec les vivants et, de part et d'autre du voile, nous prions les uns pour les autres. Comment trouver les mots ? La prière n'est pas si facile qu'on le dit ou qu'on le fait croire. A-t-on si facilement le cœur de prier pour des gens qui nous sont particulièrement proches et qui se sont éloignés dans la mort ? Comment savons-nous si nous sommes exaucés ?
La messe est la plus belle prière pour les morts qui soit, car c'est le Christ lui-même qui trouve les mots et qui porte nos intentions. Sa prière ? Ceci est mon corps, pour lui ; ceci est mon sang versé pour elle. C'est une prière infaillible, prière de Dieu à Dieu en quelque sorte, prière que le Fils de Dieu offre à son Père pour tel ou telle d'entre nous qu'il enveloppe de son amour. C'est aussi la seule consolation que nous ayons face à cette déchirure apparemment irréparable que constitue la mort d'un être cher. C'est encore pour ceux qui ont demandé des messes avant de mourir une sorte de sécurité surnaturelle avant le grand saut.
J'aime la mention dans certains faire part de décès : Ni fleurs ni couronnes, des prières. La vie en fleurs, de fait, c'était avant. La mort est le moment de voir quels sont les fruits ; "Un bon arbre est celui qui porte" non pas les fleurs d'une destinée épanouie mais les fruits d'un destin transformé par le souci du don de soi, la messe étant le don suprême et en quelque sorte l'école du don, parce que c'est le don du Fils.
Qu'est-ce qui nous attend de l'autre côté ? Nul ne le sait. La liturgie emploie trois mots : locum refrigerii, lucis et pacis : un lieu d'ombre et de rafraîchissement, un lieu de lumière et un lieu de paix. Qu'y a-t-il de plus agréable que l'ombre dans les pays chaud ? Qu'y a-t-il de plus désirable que la lumière pour nous qui ne parvenons pas à comprendre notre condition ? La paix, tranquilité de l'ordre, nous établit dans un ordre que nous ne soupçonnions même pas, qui nous apaise et qui nous comble...
Qui est concerné par ce bonheur que le liturgiste de l'époque n'a pas cherché à intellectualiser ou à théologiser ? A qui est donné ce bonheur ? A "Ceux qui nous ont précédé avec un signe de foi". Certains préfèreront traduire : "avec le signe de la foi" qui est le baptême. Il me semble que devant le mystère de la mort d'un être cher ou de sa propre mort, on peut laisser Dieu décider dans sa miséricorde, sans en faire un distributeur automatique de récompenses : baptisé, oui. Non baptisé : non. Dans la prière suivante, "pour nous pécheurs", nous prions Dieu "non estimator meriti sed veniae largitor" : un Dieu qui n'est pas un "compteur de mérites" mais un "dispensateur d'indulgence". C'est le même Dieu que nous invoquons pour nous les vivants et pour les morts.
Le fait est, en tout cas que la foi est absolument nécessaire pour que s'accomplisse un destin, quel qu'il soit, et que la raison ne nous permet, à travers ses démonstrations, que la répétition de l'identité, sans nous faire accéder à aucun salut, à aucune amplification, à aucune réponse, à aucune oeuvre d'art - bref à aucun accomplissement. L'accomplissement vient du cœur car "c'est le cœur qui sent Dieu, non la raison". Quel meilleur point d'observation que le mystère de la mort pour en prendre conscience ?
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