Lu dans Monde et Vie, cet intéressant écho du Synode sur la parole de Dieu, dont je n'ai vu trace nulle part ailleurs : "Parmi les 55 propositions des Pères synodaux, notons que l'une d'entre elles réclame que dans la liturgie catholique, on se conforme désormais à la tradition juive qui veut que l'on ne prononce pas le nom de Dieu, Yahvé, et que le tétragramme sacré soit rendu par des périphrases comme Adonaï, le Seigneur...". Dire le Seigneur chaque fois qu'il est écrit Yahvé, cela ne paraît pas un grand mal. Et puis cela montre que les chrétiens ont à coeur de respecter les coutumes juives dans la lecture des volumes de la Bibliothèques hébraïque. Après tout pourquoi pas ?
Cette proposition des Pères, qui se trouve encore à l'état de simple voeu, me paraît, à moi, aller beaucoup plus loin qu'une simple politesse rendue à nos frères aimés. Elle avalise une lecture particulière de la Bible, qui n'est d'ailleurs qu'une Tradition (certes vénérable) chez les juifs, et qui ne relève en rien du commandement interdisant de vénérer les images taillées. Aucun commandement ne nous enjoint de taire le nom de Dieu. Si les juifs le taisent, c'est dans la perspective d'une théologie purement négative, où Dieu ne peut être que le tout autre, c'est à dire... autrement que l'être.
Jean Luc Marion, récemment élu à l'Académie Française en remplacement du cardinal Lustiger dont on peut dire qu'il fut quelque chose comme son "théologien" (ou plutôt son métaphysicien) particulier, n'hésite pas, suite à une suggestion orale de Martin Heidegger, à parler de Dieu sans l'être.
Mais il faut bien reconnaître que cette idée est contraire à toute la tradition philosophico-théologique occidentale et même à l'Orientale si l'on considère, avec Vladimir Lossky, que le Pseudo Denys est la source de toute la théologie orientale : certes dans l'apophatisme classique, on insiste pour dire que Dieu n'est pas une nature. Mais il est l'être suréminemment. Il ne peut être dit sans l'être... même dans la théologie orientale.
La théologie occidentale va plus loin encore, dans la mesure où, comme le remarquait Etienne Gilson, elle part non des spéculations apophatiques de la raison humaine avouant son incapacité à connaître Dieu comme le faisait Denys, mais de façon plus immédiate, du texte même de l'Ecriture, ce fameux Exode 3, 14, où Dieu, donnant son nom, se manifeste comme l'être : "je suis celui qui suis" ; "je suis qui je suis" ou encore plus simplement "Je suis". "Dieu" est un nom commun, renvoyant à la même racine que le latin dies (jour). Il a tout un passé et un passif polythéiste. Il a un présent de star et désigne plus souvent "les dieux du stade" que le Créateur du Ciel et de la terre. "Le Seigneur" est un nom commun qui peut convenir à plusieurs êtres à des titres différents. Dans son Entretien avec un philosophe chinois, Malebranche ne manquait pas de mettre en garde contre ceux qui se contenteraient de nommer Dieu le Seigneur du Ciel : ce "Seigneur du Ciel" n'est pas le Dieu unique créateur du Ciel et de la terre qui s'est révélé aux Hébreux.
"Je suis" est le nom propre de Dieu, celui qu'il s'est donné à lui-même, celui qu'il se reconnaît, celui avec lequel il nous fait pénétrer dans son intimité : comment pourrait-on ne pas donner son nom à celui que l'on nous demande d'appeler "Notre Père" ? Comment donc peut-on concevoir Dieu sans l'être et rester dans la tradition de l'Exode ? Comment peut-on faire l'économie d'un tel nom pour nommer le Dieu qui s'est manifesté en Jésus Christ, qui a souvent caché son visage aux sages aux savants et aux philosophes mais qui l'a révélé aux tout petits.
Sylvie Germain, dans son très beau roman L'inaperçu (Albin Michel 2008), a opportunément souligné l'insuffisance du mot Dieu pour désigner celui qui s'est révélé à nous avant tout comme une personne : JE suis. Ses mots peuvent choquer. Mais elles sont profondément justes. Comme je le disais il y un instant le nom "dieu" provient du paganisme et d'une certaine façon ce n'est pas sans violence qu'on l'attribue au Dieu d'Abraham d'Isaac et de Jacob qui est bien plus que le dieu des philosophes et qui nous a dit ce nom : Je suis.
Voici le texte de Sylvie Germain, à lire avec des lunettes théologiques très précises. Il donne tort à ceux qui voudrait nous priver du nom propre de Dieu, Je suis, pour nous cantonner à des noms communs, si communs : "Dieu - un nom bavé souillé roté bredouillé pleurniché tonitrué pissé ou vomi selon par trop de cons pour pouvoir encore être utilisé Nécessité de trouver un vocable neuf et irrécupérable Face à l'impossibilité d'y parvenir il faut se taire d'urgence Respirer suffit pour invoquer l'Invocable Respirer respirer - la plus pure des prières"
Ponctuation certifiée conforme à l'original. Sylvie Germain fait ici comme si Dieu ne nous avait jamais donné son nom propre, comme si on ne pouvait faire autrement que lui donner ce nom trop commun, commun avec les polythéistes de tous les âges (y compris l'âge postmoderne). Effectivement, si on nous prive du nom que Dieu nous a donné, il n'y a plus qu'à respirer : la respiration est la plus pure des prières. L'absence de mot correspond au vide le plus total.
Mais si nous ne voulons pas être réduits à cette position de légumes devant Dieu, si nous continuons à croire, dans le Christ, que nous les mammifères supérieurs, Dieu par grâce nous invite à devenir ses fils et ses filles et à l'appeler Notre Père, nous savons bien qu'Il attend de nous un amour qui ne se limite pas à l'acte primitif de la respiration mais qui, comme tout amour qui se respecte, se fait d'abord avec des mots. Des mots tendres, intimes, les mots que Dieu lui-même nous a donné en nous donnant son Verbe.
Gardons comme notre trésor d'amour les noms que Dieu nous a donné de Lui, gardons les pour Lui, comme les noms que l'on peut utiliser lorsque, par adoption, on fait partie de sa famille.
Cette proposition des Pères, qui se trouve encore à l'état de simple voeu, me paraît, à moi, aller beaucoup plus loin qu'une simple politesse rendue à nos frères aimés. Elle avalise une lecture particulière de la Bible, qui n'est d'ailleurs qu'une Tradition (certes vénérable) chez les juifs, et qui ne relève en rien du commandement interdisant de vénérer les images taillées. Aucun commandement ne nous enjoint de taire le nom de Dieu. Si les juifs le taisent, c'est dans la perspective d'une théologie purement négative, où Dieu ne peut être que le tout autre, c'est à dire... autrement que l'être.
Jean Luc Marion, récemment élu à l'Académie Française en remplacement du cardinal Lustiger dont on peut dire qu'il fut quelque chose comme son "théologien" (ou plutôt son métaphysicien) particulier, n'hésite pas, suite à une suggestion orale de Martin Heidegger, à parler de Dieu sans l'être.
Mais il faut bien reconnaître que cette idée est contraire à toute la tradition philosophico-théologique occidentale et même à l'Orientale si l'on considère, avec Vladimir Lossky, que le Pseudo Denys est la source de toute la théologie orientale : certes dans l'apophatisme classique, on insiste pour dire que Dieu n'est pas une nature. Mais il est l'être suréminemment. Il ne peut être dit sans l'être... même dans la théologie orientale.
La théologie occidentale va plus loin encore, dans la mesure où, comme le remarquait Etienne Gilson, elle part non des spéculations apophatiques de la raison humaine avouant son incapacité à connaître Dieu comme le faisait Denys, mais de façon plus immédiate, du texte même de l'Ecriture, ce fameux Exode 3, 14, où Dieu, donnant son nom, se manifeste comme l'être : "je suis celui qui suis" ; "je suis qui je suis" ou encore plus simplement "Je suis". "Dieu" est un nom commun, renvoyant à la même racine que le latin dies (jour). Il a tout un passé et un passif polythéiste. Il a un présent de star et désigne plus souvent "les dieux du stade" que le Créateur du Ciel et de la terre. "Le Seigneur" est un nom commun qui peut convenir à plusieurs êtres à des titres différents. Dans son Entretien avec un philosophe chinois, Malebranche ne manquait pas de mettre en garde contre ceux qui se contenteraient de nommer Dieu le Seigneur du Ciel : ce "Seigneur du Ciel" n'est pas le Dieu unique créateur du Ciel et de la terre qui s'est révélé aux Hébreux.
"Je suis" est le nom propre de Dieu, celui qu'il s'est donné à lui-même, celui qu'il se reconnaît, celui avec lequel il nous fait pénétrer dans son intimité : comment pourrait-on ne pas donner son nom à celui que l'on nous demande d'appeler "Notre Père" ? Comment donc peut-on concevoir Dieu sans l'être et rester dans la tradition de l'Exode ? Comment peut-on faire l'économie d'un tel nom pour nommer le Dieu qui s'est manifesté en Jésus Christ, qui a souvent caché son visage aux sages aux savants et aux philosophes mais qui l'a révélé aux tout petits.
Sylvie Germain, dans son très beau roman L'inaperçu (Albin Michel 2008), a opportunément souligné l'insuffisance du mot Dieu pour désigner celui qui s'est révélé à nous avant tout comme une personne : JE suis. Ses mots peuvent choquer. Mais elles sont profondément justes. Comme je le disais il y un instant le nom "dieu" provient du paganisme et d'une certaine façon ce n'est pas sans violence qu'on l'attribue au Dieu d'Abraham d'Isaac et de Jacob qui est bien plus que le dieu des philosophes et qui nous a dit ce nom : Je suis.
Voici le texte de Sylvie Germain, à lire avec des lunettes théologiques très précises. Il donne tort à ceux qui voudrait nous priver du nom propre de Dieu, Je suis, pour nous cantonner à des noms communs, si communs : "Dieu - un nom bavé souillé roté bredouillé pleurniché tonitrué pissé ou vomi selon par trop de cons pour pouvoir encore être utilisé Nécessité de trouver un vocable neuf et irrécupérable Face à l'impossibilité d'y parvenir il faut se taire d'urgence Respirer suffit pour invoquer l'Invocable Respirer respirer - la plus pure des prières"
Ponctuation certifiée conforme à l'original. Sylvie Germain fait ici comme si Dieu ne nous avait jamais donné son nom propre, comme si on ne pouvait faire autrement que lui donner ce nom trop commun, commun avec les polythéistes de tous les âges (y compris l'âge postmoderne). Effectivement, si on nous prive du nom que Dieu nous a donné, il n'y a plus qu'à respirer : la respiration est la plus pure des prières. L'absence de mot correspond au vide le plus total.
Mais si nous ne voulons pas être réduits à cette position de légumes devant Dieu, si nous continuons à croire, dans le Christ, que nous les mammifères supérieurs, Dieu par grâce nous invite à devenir ses fils et ses filles et à l'appeler Notre Père, nous savons bien qu'Il attend de nous un amour qui ne se limite pas à l'acte primitif de la respiration mais qui, comme tout amour qui se respecte, se fait d'abord avec des mots. Des mots tendres, intimes, les mots que Dieu lui-même nous a donné en nous donnant son Verbe.
Gardons comme notre trésor d'amour les noms que Dieu nous a donné de Lui, gardons les pour Lui, comme les noms que l'on peut utiliser lorsque, par adoption, on fait partie de sa famille.
Il est un fait qu'on a beaucoup tendance, ces temps-ci à considérer comme des décisions - ou à présenter comme des décisions - les propositions du synode, par exemple au sujet des lectrices...
RépondreSupprimerPour revenir au sujet ici évoqué, on peut citer, un peu longuement, le R.P. Sertillanges, peut-être parmi les thomistes du siècle passé celui qui a donné la part la plus grande à la théologie négative. Après avoir rappelé toutes les bonnes raisons de considérer Dieu comme inconnaissable il écrit:
"Mais ce point de vue n'est pas le seul qu'on puisse envisager. Ou pour mieux dire, ce point de vue peut se compléter et s'éclairer sans qu'on l'abandonne, de manière à rapprocher cependant de nos pensées Celui dont nous devons vivre. Renonçant à définir Dieu, on peut encore en parler avec pertinence d'une certaine façon; on peut le caractériser indirectement sous les auspices de ses oeuvres, se référant aux motifs qui ont conduit nos esprits à le poser. Car ne serait-il pas contradictoire de dire Dieu est, est de refuser à Dieu ce sans quoi il ne pourrait jouer son rôle, satisfaire aux requêtes qui provoquent à nos yeux son affirmation? Nous avons appelé Dieu comme cause de tout l'être [...] nous ne pouvons après cela dénier à Dieu la plénitude de valeur que suppose cette exigence. A quoi servirait Dieu, si ce qu'il doit fournir ne se trouvait en lui à l'état éminent, sous la forme - ou avec l'absence de forme - qui convient au premier Principe? Chargé de fournir l'être, Dieu possède donc tout l'être et le concentre dans son mystère; il est Etre par soi, source de l'être participé et communiqué". (Les grandes Thèses de la philosophie thomiste, Paris, Bloud & Gay, 1928, p. 69)
Je me trompe peut-être mais il me semble en outre - contre les tenants trop étroits d'une certaine théologie négative - qu'il ne faut pas confondre nommer Dieu et le définir. Définir Dieu est certes dépourvu de sens, le nommer est une toute autre chose, dont nous ne pouvons nous passer dans notre condition incarnée si nous voulons vraiment vivre pour Lui et de Lui.
Monsieur l'abbé, il ne s'agit pas seulement d'une proposition du synode, mais d'une décision de la Congrégation pour le culte divin :
RépondreSupprimerhttp://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/2008/08/le-nom-du-dieu.html
ICR.
Merci à anonyme de cette précision, qui ne fait que rendre plus urgentes les considérations que j'ai bredouillé dans ce post.
RépondreSupprimerMerci à Hubert de cette longue citation du Père Sertillange, qui, dans sa jeunesse, fut beaucoup plus catégoriquement attaché à une théologie négative : j'ai parlé de Dieu sans nature, car la nature (phusis) etymologiquement c'est ce qui croît et se développe. Mais Sertillange dans ses tout premiers ouvrages au tournant du siècle en tenait pour un Dieu sans essence, j'allais dire sans contenu...
Bien sûr qu'il ne faut pas confondre nommer Dieu et le définir. Dans le nom, souligne classiquement saint Thomas, il y a la res significata et le modus significandi. Aucune définition n'est possible si le mode de signifier n'est pas adéquat à l'objet signifié (res significata). Le mystère du nom (JE SUIS comme nom propre de Dieu par exemple), c'est qu'il atteint la réalité divine réellement sans jamais parvenir à la désigner selon un mode qui ne soit pas celui de la raison qui compose et qui divise, de la raison qui analyse, qui distingue, qui unit, mais qui ne comprend pas intuitivement.
Au fond, le pb c'est qu'il n'existe pas d'intuition intellectuelle, quoi qu'aient pu en penser les idéalistes du début du XIXème siècle, théoriciens de la gnose... L'homme ne peut donc jamais saisir Dieu, mais il peut l'atteindre par les noms analogiques.
Votre post est assez surprenant ! On a l'impression désagréable que vous abordez le sujet à la façon assez habituelle à la FSSPX (pardon mais c'est vraiment l'image que j'en ai) en ne traitant pas le sujet tel qu'il se présente et comme l'aborde la Congrégation, mais comme vous l'interprétez...
RépondreSupprimerJe n'ai pas le temps de faire une recherche, mais il me semble que l'Eglise catholique, jusqu'à Vatican II, n'a jamais utilisé le terme "Yaweh" et même depuis, officiellement dans la Liturgie et dans le magistère ! Ce mot n'apparaît que dans les traductions vernaculaires contemporaines à bas prix et non agréées par les conférences épiscopales. Ainsi, il ne s'agit pas de faire plaisir au Juifs, mais de rester dans le cadre traditionnel de l'Eglise ! Saint Jérôme n'a pas gardé le vocable issu du tétragramme, et une instruction de la congrégation pour le Culte divin de 2001 explique bien pourquoi : c'est pour donner une cohérence entre les deux testaments : dans le nouveau, il ne me semble pas que le Christ appelle jamais son Père Yaweh : Il nous demande d'ailleurs expressément de l'appeler Abba, Père...
Donc il me semble que vous êtes dans le procès d'intention pur et simple, non ?
En plus, les règles de l'Ancien Testament, jusqu'à la Résurrection, sont les règles de l'Eglise catholique : ainsi, c'est le second commandement qui nous demande de ne pas prononcer le nom de Dieu, en vain, et donc de ne le prononcer que lorsque cela est nécessaire, et avec un infini respect ; c'est pour cela qu'il n'était prononcé qu'une fois par an par le grand prêtre, non dans une visée théologique négative, mais par respect et à la demande de Moïse.
Voilà ce que je voulais apporter au débat : il me semble que la Tradition de l'Eglise doit se f... de Mme Germain, de l'éventuelle théologie négative des actuels Juifs pratiquants... ou sinon, de façon inversée, votre propos donnerait raison à tous ceux qui estiment qu'en fonction du contexte, l'Eglise doit modifier ses comportements, enseignements et liturgies !...
PS : ce que je voulais dire, M. l'Abbé, c'est qu'en poursuivant votre raisonnement ex absurdo (et certains dans la mouvance de "Virago-paria" ne s'en privent pas !...) c'est qu'on peut dire qu'en définitive, une religion qui refuse de nommer les êtres et en particulier, de donner à Dieu son nom, Yahvé, qui signifie Celui qui est, on nie l'être, on nie la réalité de l'être : bref, "cette religion, mes très chers fidèles, c'est une gnose..."
RépondreSupprimerEt ce serait inquiétant d'en arriver à une telle conclusion, n'est-ce pas ? pourtant, sur la base de vos arguments, il y en a pas mal qui y aboutissent.