dimanche 2 novembre 2008

Allez voir Mantegna

C'est au Louvre et... c'est beau. Je ne suis pas critique d'art, mais il faut reconnaître que cette expo est magistralement organisée. Certes il y manque le fameux Christ mort, qui est sans conteste la toile la plus célèbre de Mantegna (1431-1506). Réputée trop fragile elle était allée à Tokyo en 1987. Elle est désormais interdite de voyage. Il vous faudra passer les Alpes et vous rendre à la Pinacothèque de Brera à Milan pour découvrir cette peinture géniale du cadavre terrible du Christ.
Mais on peut dire que tout le reste s'y trouve. Pour notre plus grand bonheur.
Tout ? Mais quoi ? Des portraits d'abord, pris sur le vif, comme si vous y étiez. En ce quattrocento, on sent bien, en gestation l'anthropologie renaissante : la nature humaine ne suffit pas à décrire un homme. Chaque tête (que ce soit saint Marc ou tel portrait anonyme) est absolument particulière. Subjective. L'avènement du sujet a eu lieu en peinture (on le voit aussi chez Antonello da Messina, plus au Sud, on le voit chez les Primitifs flamands) avant d'avoir lieu (chez Pic de La Mirandole et chez Cajétan) en philosophie. Les philosophes, toujours un peu dépassés par les événements, auront attendu le tournant du XVIème siècle pour sortir de l'haecceitas scotiste et de l'impasse naturaliste.
Tout ? Oui, des détails. En masse. Les tableaux construits de Mantegna sont comme des bandes dessinées, mais des bandes dessinées dans lesquelles il faudrait regarder chaque détail (plus Uderzo qu'Hergé si la comparaison n'est pas sacrilège). Encore et toujours l'attention (tellement chrétienne au fond) à la singularité. L'admiration devant la nature aussi. Le classicisme inventera les tableaux épurés, présentant des simulacres de nature. Là on a la nature, la vraie, l'inattendue. Le Christ au Jardin des Olives souffre par avance sa passion, mais un lapin court en contre bas sur une planche jetée sur un ruisseau. On n'a pas seulement la nature, on a l'humanité telle qu'en elle-même : saint Christophe est martyrisé, un soldat distrait, à quelques pas de là, s'appuie sur son bouclier, sans doute pour penser à sa belle plus à son aise (ou simplement pour éprouver le poids du jour et de la chaleur), en ignorant totalement la scène horrible qui se passe sous ses yeux. Mais que faut-il attendre de l'homme ?
Je ne connais pas la vie de Mantegna. Je ne sais s'il était un pilier de sacristie. Mais il faut bien reconnaître que ses toiles profanes, même si elles manifestent la même puissance technique, n'ont pas la même originalité que les toiles religieuses. C'est ce que je tentais d'expliquer par avance à un soixante huitard attardé, qui, alors que je regardai un Saint marc, tint à me faire savoir que pour lui "Dieu est mort". Comme je ne réagissai pas, il se crut obligé d'imiter un volatile noir avec lequel il pensait sans doute que j'avais quelques accointances. je me sentis obligé de le détromper gentiment. Il ne faut pas s'arrêter quand on est sur la bonne voie. J'en profitai pour lui expliquer que ce qu'il allait voir, c'était essentiellement des toiles religieuses, nées de la puissance du texte évangélique, nées de l'Incarnation. Lui ne voyait que l'homme dans ces nativités, dans ces récits de martyres en image, dans ces religieux en robe de bure. Je me suis permis de le détromper, et je ne savais pas encore, au début de l'expo, à quel point j'avais raison et combien les décors profanes, même lorsqu'ils sont édifiants (Minerve chassant les vices du jardin de la vertu), n'ont pas le génie original qui caractérise la peinture religieuse de Mantegna.
Tout comme son contemporain plus gothique, Antonello da Messina (1430-1479) auquel une exposition a été consacrée à Rome l'an dernier, le moderne Mantegna est fasciné par le Christ, par l'image du Christ, par le visage du Christ. Il y a dans cette fascination toute la puissance d'une théologie parfois très personnellement assumée (voir Le Christ et l'âme de la Vierge : belle vision de l'antériorité absolue du Christ), hantée par la souffrance et par la mort du Christ et vibrant devant sa résurrection. Mantegna sait peindre à la fois la noblesse inaltérable et l'expressivité qui transparaît sur la face du Sauveur.
On s'arrêtera particulièrement sur Le Christ de pitié soutenu par un Chérubin et un Séraphin, Christ merveilleusement vivant et pourtant déjà mort et pas encore triomphant. Il est assis sur ce qui apparaît à la fois comme un trône, un tombeau et un autel (toujours la théologie si personnelle d'André Mantegna). L'anatomie du personnage est parfaitement rendue, sa langueur dans tout le corps, sa vie qui semble se concentrer sur son visage et en particulier dans un regard d'amour absolument unique. A droite, insouciants et minuscules, des ouvriers travaillent, sculptant des colonnes. A gauche, des bergers mènent paître leur troupeau. L'humanité continue de s'agiter, mais le Christ est là, impressionnant de présence, de prestance et d'attrait. Pathos ? Non. Emotion simplement. Ce Dieu qui s'est incarné et qui a souffert sa Passion a voulu nous prendre par l'émotion. Les peintres le comprennent souvent bien mieux (et parfois comme ici de façon bien plus profonde et plus complexe) que la majorité des théologiens.
Allez voir Andrea Mantegna. Il est au Louvre jusqu'au 5 janvier. Vous découvrirez, autour de lui, une pléiade d'artistes animés tous du même amour de l'antique et de la même foi rayonnante. Disons simplement que sans conteste Mantegna, parmi les Bellini (par ailleurs son beau frère) et autres Sciavone est la figure la plus marquante, souffrant sans rougir, à la fin de l'exposition, la comparaison avec Léonard de Vinci (1452-1519) qui illustra la génération suivante.

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