jeudi 9 juillet 2009

Décidément, ce pape n'est pas un libéral...

Mon camarade Daniel Hamiche, avec lequel je viens d'avoir une conversation profitable, au moment où je finissais la lecture précise de cette encyclique fleuve, Caritas in veritate, m'explique que George Weigel, biographe attitré de Jean Paul II s'en étouffe... Il faut dire que toute l'encyclique semble écrite pour stigmatiser l'autonomie du Marché comme une catastrophe ; non seulement une catastrophe, mais la catastrophe telle que nous la voyons se déployer, oui la crise... La crise est la crise du libéralisme économique et de l'autonomie du Marché...

Oh ! Le Marché n'est pas mauvais en soi : "Lorsqu'il est fondé sur la confiance, le Marché est l'institution économique qui permet aux personnes de se rencontrer, en tant qu'agents économiques, utilisant le contrat pour régler leurs relations et échangeant des biens et des services fongibles entre eux pour satisfaire leurs besoins et leurs désirs" (n°35). On remarquera le caractère très classique de cette définition du Marché, qui met la réalité définie à l'abri de toute mise en question délirante. Le Marché est un fait. Il contribue à l'humanisation de l'homme en satisfaisant non seulement ses besoins élémentaires, mais ses désirs. Bref le Marché libre est un élément fondamental de la culture humaine.

Mais ce Marché qui est libre par hypothèse, n'est pas pour autant un Marché autonome, qui se donnerait à lui-même sa loi ou qui donnerait à l'Humanité tout entière la seule Loi dont personne ne puisse mettre en cause le tranchant et l'airain, vous savez : "la loi du Marché"...

Plus important que la loi du Marché ? Pour Benoît XVI, "la dignité de la personne et les exigences de la justice demandent aujourd'hui surtout que les choix économiques ne fassent pas augmenter de façon excessive et moralement inacceptable les écarts de richesse et que l'on continue à se donner comme objectif prioritaire l'accès au travail et son maintien pour tous". Ecrivant cela, Benoît XVI renvoie en note au n°33 de Populorum progressio, dont Caritas in veritate célèbre la mémoire ; Paul VI était très clair dans ce texte : "La seule initiative individuelle et le simple jeu de la concurrence ne sauraient assurer le succès du développement. il ne faut pas risquer d'accroître encore la richesse des riches et la puissance des forts, en confirmant la misère des pauvres et en ajoutant à la servitude des opprimés".

Paul VI rejoignait une vieille tradition remontant au XIXème siècle. Je pense à Lacordaire tonnant du haut de la Chaire de Notre Dame : "Entre le maître et l'esclave, entre le patron et l'ouvrier, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchi". Paul VI d'ailleurs poursuit en demandant un affermissement des réglementation, c'est-à-dire "des programmes, nécessaires pour encourager, stimuler, coordonner, suppléer et intégrer", reprenant d'ailleurs textuellement un voeu de Jean XXIII dans Mater et magistra.

Benoît XVI ne dit pas autre chose : "La sphère économique, écrit-il (comprenez : le Marché), n'est par nature ni éthiquement neutre ni inhumaine et antisociale. Elle appartient à l'activité de l'homme et justement parce qu'humaine, elle doit être structurée et organisée institutionnellement de façon éthique" (n°36). Structuration, organisation, on est loin de la théorie de la Main invisible d'Adam Smith. Le Marché n'est pas la Providence, il faut se rendre à l'évidence. S'il n'est pas structuré et organisé, il ne produira pas de lui-même les "harmonies économiques" chères à Frédéric Bastiat... Quel dommage Madame Chombier : le Marché n'a rien à voir avec une tire lire ouverte à tous ni non plus (pour antiquiser ou classiciser mon propos) avec une corne d'abondance. Le Marché ? Décidément ce n'est pas la valise RTL, n'en déplaise au reagano-thatchéristes indécrottables La meilleure preuve en est d'ailleurs la crise économique que nous traversons, directement liée à la dérégulation américaine de l'immobilier et des prêts y afférant et à la confiance indue placée dans toutes les bulles spéculatives imaginables.

J'entends déjà certains de mes lecteurs me dire : mais alors, si Benoît XVI n'est pas libéral, si pour lui la première urgence c'est de structurer et d'organiser le Marché, alors... il est... socialiste. Ne l'est-il pas quand il stigmatise les écarts de richesse et quand il revendique comme objectif prioritaire la satisfaction d'un droit de tous au travail ?

Je suis au regret de dire à ces lecteurs que je n'ai pas vu l'ombre d'une apologie du collectivisme que ce soit l'appropriation collective des moyens de production ou l'appel à développer une fumeuse propriété collective, non, je n'ai rien vu de tout cela dans l'encyclique. Benoît XVI n'est pas socialiste...

Simplement il se présente devant les chrétiens et devant l'humanité tout entière en ayant pris acte de la crise économique. C'est elle qui oblige à reparler de régulation et de structuration toute personne un peu sensée : "La crise nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles, à trouver de nouvelles formes d'engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. Elle devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité d'élaborer de nouveaux projets" (n°21).

Nouveaux projets ? Il ne s'agit à l'évidence pas du vieux socialisme, même repeint aux couleurs du XXIème siècle. Benoît XVI se trouve encore et toujours dans le Ni... Ni..., ni libéral ni socialiste, cher à tous les papes depuis Léon XIII.

Mais qu'est-ce qui est nouveau dans la position de Benoît XVI ? Il me semble que c'est ce qu'il précise lui-même au n°32 déjà cité. Alors que l'on aurait pu contester certains aspects de l'enseignement de l'Eglise, comme marquant une sorte d'irréalisme antiéconomique, Benoît XVI adhère, lui, explicitement à ce qu'il nomme la "raison économique". Il accepte que la doctrine sociale de l'Eglise ne se place pas dans un devoir être proche de l'utopie (cf. Paul VI : Octogesimo adveniens n°36, louant "cette forme de critique de la société existante qui provoque la raison prospective pour percevoir dans le présent le futur ignoré et pour orienter vers un avenir neuf" et qui note que "soutenant la dynamique sociale par la confiance", cette critique "rencontre l'esprit chrétien").

Pour Benoît XVI, l'Eglise ne s'en remet pas à l'avenir et affronte la réalité d'aujourd'hui avec son urgence (il cite en latin saint Paul : Caritas Christi urget nos). La raison économique nous force à prendre en compte non seulement le court-termisme auquel nous oblige la Loi du Marché (n°32 in fi.) mais des motifs humains à plus long terme dont l'incidence sur l'économie réelle est tout aussi importante : exemple ? "L'augmentation massive de la pauvreté" (qu'engendre par exemple l'obsession occidentale du low cost) "a un impact négatif sur le plan économique à travers l'érosion du capital social". Ce que les néo-libéraux n'ont pas compris c'est que seule la prospérité des sociétés, en Occident mais aussi dans les pays émergents et encore dans les pays moins développés représentait "un capital social", une richesse dont le Marché lui-même a besoin.

Astreint à la Loi d'airain du court-termisme, le Marché plonge dans la crise. Un peu plus loin le pape revient sur cette idée : "Abandonné au seul principe de l'équivalence de valeur des biens échangés, le marché n'arrive pas à produire la cohésion sociale dont par ailleurs il a besoin pour bien fonctionner". Laissé à lui-même, le Marché se détruit. Il faut le défendre, en quelque sorte contre lui-même et cesser d'opposer le "social" à "l'économique", alors que l'un ne va pas sans l'autre.

De quoi a besoin le Marché, en dehors des impératifs immédiats de rentabilité, qui trop souvent sont seuls pris en compte ? Il a besoin de confiance (n°35 in medio). Et il a besoin de richesses ou de ce que le pape appelle "le capital social" (parenthèse : on retrouve là implicitement le vieux raisonnement de Marx sur la paupérisation universelle comme fin du capitalisme). Pour faire naître et cette confiance et ce capital social stable, "le Marché ne peut pas compter seulement sur lui-même, il a besoin d'autres sujets qui sont capables de les faire naître" (n°35 in fi.).

Bref l'Eglise, avec 'd'autres sujets', se propose de défendre le Marché contre lui-même et contre "l'horreur économique", contre les horreurs du court-termisme et de la loi du Marché (rentabilité à tout prix). Elle entend contribuer à susciter la confiance et l'honnêteté nécessaires au développement de l'économie de marché dans laquelle nous nous trouvons.

Mais que pouvons nous opposer à l'exigence de rendement immédiat qui règne, on le comprend sur les entreprises ? Les Etats d'abord, qui selon Benoît XVI doivent jouer tout leur rôle, au service de l'homme. Mais "à notre époque, l'Etat se trouve dans la situation de devoir faire face aux limites que pose à sa souveraineté le nouveau contexte commercial et financier international, marqué par une mobilité croissante des capitaux financiers et des moyens de production matériels et immatériels" (n°24). Même si son rôle doit être réévalué (ibid), cette réévaluation ne suffira pas pour s'opposer à ce que la Vielle droite appelait naguère "la fortune anonyme et vagabonde". Comment les Etats nationaux pourraient ils à eux seuls faire face à l'internationalisation de la problématique économique. Certes il ya les organismes internationaux, mais ce sont des technostructures dont B. XVI critique à plusieurs reprises le fonctionnement, déplorant leur manque de transparence et leur manque d'efficacité. Il souligne le possible avènement d'une idéologie technocratique (par ex. n°70).

Contre cette perspective, il importe de trouver "des hommes" qui soient "des hommes droits" (n°71). Sans eux, "le développement est impossible" déclare le pape. Mais à quoi correspondent ces hommes qui ne sont pas des structures anonymes, sinon à l'invention d'un nouveau degré du politique. Face à la fortune anonyme et vagabonde, il importe que se dresse "une autorité mondiale" (n°67), polyarchique et subsidiaire, réellement politique et non technocratique, dont le rôle serait manifestement de dioscipliner le Marché en en faisant le lieu du véritable développement.

Utopie ? Dites vous. C'est peut-être surtout une nécessité que l'on n'a pas encore perçue mais qui s'affirmera toujours d'avantage face à l'horeur économique. Cette question de l'autorité mondiale est suscitée par la mondialisation technologique et commerciale de l'économie, face à laquelle l'Etat nation ou la réunion des Etats nation ne peuvent rien entreprendre. Benoît XVI, comme souvent l'Eglise l'a été, est peut être simplement un petit peu en avance. Elle ne cherche ni à détruire les nation ni à relativiser les identités (le problème des flux migratoires est d'ailleurs de ceux que cette autorité mondiale aurait sans doute à résoudre, tant ils apparaissent insolubles pour les seuls Etats nations).

Allez... disons que l'Eglise de ce pape de 85 ans, sauvé par l'Espérance, a sans doute 20 ans d'avance !

2 commentaires:

  1. L'abbé de Tanoüarn en plein délit de benoitXVIolâtrie. Soyez franc, M. l'abbé : ce paragraphe sur "L'Autorité politique mondiale", vous l'auriez lu signé de Paul VI, il vous aurait horrifié. Vous auriez invoqué les mânes de Maurras, cité Madiran, crié au MASDU, convoqué le nationalisme intégral au secours de la théologie catholique. Mais là, comme c'est Benoît XVI qui le dit, c'est visionnaire, aucunement attentatoire au droit des peuples et nullement utopique. Les nuées de Jean XXIII et de Paul VI sont devenues des clairvoyances extrêmes de Benoît XVI. La ficelle est un peu grosse, non ?

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  2. 16 avril 1927-13 juillet 2009: cela fait 82 ans... Bien à vous

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