Certains lecteurs de ce Blog savent sans doute déjà que je suis l'admirateur ébloui d'un théologien qui est mort la même année que Michel-Ange et dont je considère qu'il a - spéculativement - une puissance comparable à la puissance artistique du décorateur de la Sixtine : ce théologien, c'est Thomas de Vio dit Cajétan, l'homme de Gaète (petite ville charmante, nichée au dessus de la Méditerranée, à 150 km au sud de Rome). Les éditions du Cerf viennent de publier le gros ouvrage que j'ai consacré à ce grand méconnu, sous le titre Cajétan, le personnalisme intégral.
Pour la petite histoire, j'étais hier à la Procure pour acheter le dernier livre de Gérard Leclerc sur les lefebvristes (ed. Salavator) et je tombe sur S., un ami philosophe que j'avais perdu de vue, après lui avoir posé... un très malencontreux lapin téléphonique. Je me suis vu mis en demeure de lui dédicacer mon Cajétan, ce que j'ai fait incontinent : la scène était jolie.
Mais pourquoi Cajétan me direz-vous ? N'est-ce pas le type de l'auteur inconnu, auquel on consacre une thèse que personne ne lira et qui n'intéressera personne que son soi-disant découvreur ? Je me souviens (oh ! Cette lecture remonte à un âge encore tendre) de ce diplomate qui est le héros du roman de Cronin Le Jardinier espagnol, et qui avait consacré, lui, ses efforts à Nicolas Malebranche - auteur inconnu et inutile par excellence pour le grand romancier anglais. Me serais-je posé, moi aussi, sur une... mauvaise branche ? C'est qu'on ne peut pas être... branché à tous les coups !
Je donnerai juste ici deux bonnes raisons de s'intéresser à Cajétan, une pour les spécialistes et une pour les amateurs.
Pour les amateurs : disons que Cajétan se trouve au carrefour entre l'humanisme d'Erasme et l'antihumanisme de Luther. Il choisit Erasme et commente toute la Bible (ou presque toute) sous la double lumière de la Philologie des humanistes et de la théologie de saint Thomas d'Aquin : immensus Aquinas noster. On peut dire que c'est ce choix humaniste qui imprègnera toute la Contre réforme catholique. C'est au nom de ce choix humaniste que l'on condamnera au XVIIème siècle toutes les théologies de la prédestination, en particulier, après le calvinisme, le jansénisme.
Deuxième raison, pour les spécialistes : il me semble que après l'échec historique retentissant du néo-thomisme, échec dû à un formalisme idéologique qui prétendait à une science de l'être et à une science de Dieu, Cajétan nous permet de comprendre à quel type de savoir appartiennent les questions essentielles et de quel type de récit relève la théologie chrétienne. Il offre, avec l'analogie des noms une méthode que ni les théologiens traditionnalisés par le concile de Trente ni les philosophes bientôt fascinés par le principe de raison ne songeront à utiliser et qui se trouve aujourd'hui merveilleusement disponible pour qui souhaite s'en servir. Cette méthode - disons le en deux mots - est fondée sur la propriété des noms et sur la ressemblance des choses. Le néothomisme avait fait le calcul inverse, en se fondant sur une sémantique de la métaphore et sur une science des formes. Dans les années 50, ceux qui se sont nommés eux-mêmes les nouveaux théologiens n'ont eu aucun mal à montrer ce que cette position devant le mystère de l'être recelait de lâcheté métaphorique et de fausse ambition scientifique. Je crois qu'il vaut la peine d'essayer de mettre la vieille scolastique en ordre de bataille autrement pour le service de l'Eglise. Histoire de ne pas se résigner à en faire un magot de brocante.
Pour la petite histoire, j'étais hier à la Procure pour acheter le dernier livre de Gérard Leclerc sur les lefebvristes (ed. Salavator) et je tombe sur S., un ami philosophe que j'avais perdu de vue, après lui avoir posé... un très malencontreux lapin téléphonique. Je me suis vu mis en demeure de lui dédicacer mon Cajétan, ce que j'ai fait incontinent : la scène était jolie.
Mais pourquoi Cajétan me direz-vous ? N'est-ce pas le type de l'auteur inconnu, auquel on consacre une thèse que personne ne lira et qui n'intéressera personne que son soi-disant découvreur ? Je me souviens (oh ! Cette lecture remonte à un âge encore tendre) de ce diplomate qui est le héros du roman de Cronin Le Jardinier espagnol, et qui avait consacré, lui, ses efforts à Nicolas Malebranche - auteur inconnu et inutile par excellence pour le grand romancier anglais. Me serais-je posé, moi aussi, sur une... mauvaise branche ? C'est qu'on ne peut pas être... branché à tous les coups !
Je donnerai juste ici deux bonnes raisons de s'intéresser à Cajétan, une pour les spécialistes et une pour les amateurs.
Pour les amateurs : disons que Cajétan se trouve au carrefour entre l'humanisme d'Erasme et l'antihumanisme de Luther. Il choisit Erasme et commente toute la Bible (ou presque toute) sous la double lumière de la Philologie des humanistes et de la théologie de saint Thomas d'Aquin : immensus Aquinas noster. On peut dire que c'est ce choix humaniste qui imprègnera toute la Contre réforme catholique. C'est au nom de ce choix humaniste que l'on condamnera au XVIIème siècle toutes les théologies de la prédestination, en particulier, après le calvinisme, le jansénisme.
Deuxième raison, pour les spécialistes : il me semble que après l'échec historique retentissant du néo-thomisme, échec dû à un formalisme idéologique qui prétendait à une science de l'être et à une science de Dieu, Cajétan nous permet de comprendre à quel type de savoir appartiennent les questions essentielles et de quel type de récit relève la théologie chrétienne. Il offre, avec l'analogie des noms une méthode que ni les théologiens traditionnalisés par le concile de Trente ni les philosophes bientôt fascinés par le principe de raison ne songeront à utiliser et qui se trouve aujourd'hui merveilleusement disponible pour qui souhaite s'en servir. Cette méthode - disons le en deux mots - est fondée sur la propriété des noms et sur la ressemblance des choses. Le néothomisme avait fait le calcul inverse, en se fondant sur une sémantique de la métaphore et sur une science des formes. Dans les années 50, ceux qui se sont nommés eux-mêmes les nouveaux théologiens n'ont eu aucun mal à montrer ce que cette position devant le mystère de l'être recelait de lâcheté métaphorique et de fausse ambition scientifique. Je crois qu'il vaut la peine d'essayer de mettre la vieille scolastique en ordre de bataille autrement pour le service de l'Eglise. Histoire de ne pas se résigner à en faire un magot de brocante.
Cher M. l'abbé
RépondreSupprimerQue voilà une bonne nouvelle et j'attends avec impatience de lire votre travail!! Et je suis sacrément mis en appétit par les promesses de critique du néothomisme et parallèlement par votre étude de la pensée de de Lubac. Et j'imagine que votre critique récurrente de l'immanentisme blondélien poursuivie par le Concile y a sa place.
Vous avez le génie de la synthèse (parfois un peu succincte !;-)) et j'espère que ce travail vous aura permis de développer et d'exposer dans le détail et la profondeur requise vos brillantes intuitions et l'ensemble de votre réflexion philosophique et théologique
Amitiés
Bruno P.
Vous avez l'art de mettre en appétit ! Cajétan une mal branche ? Voilà qui donne envie d'aller vérifier dans votre ouvrage et de relire, au passage, l'oratorien "inconnu" :)
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