L'art d'aimer
ou épître réparatrice à Ovide
Jacques Trémolet de Villers - Présent daté du 16 septembre 2009 - cité par le Forum Catholique
AINSI mon cher Ovide, le poète choisi de mon adolescence, l'initiateur aux drames de Pyrame et Thisbée, jeunes inventeurs - par amour - du téléphone, avant d'être, par amour, la préfiguration de Roméo et Juliette, ainsi, vous êtes attaqué par mes amis, mes lecteurs, mes proches, parce que l'Education nationale, en mal d'auteur latin, vous a désigné, cette année, pour l'épreuve du baccalauréat.
Les professeurs ont choisi, pour l'épreuve de version latine, L'art d'aimer.
On s'est ému, on pétitionne, dans les meilleurs milieux, et on vous accuse, cher poète exilé, du péché de luxure ; je vous fais grâce des autres. Je pense que, là où vous devez être, dans les champs élyséens où, en bon païen que vous fûtes, vous attendez la venue de celui que vous n'avez pas connu, mais pour qui, sans le savoir, vous avez travaillé, l'affront vous est indifférent. Si je le relève, pour vous défendre, ce n'est pas davantage pour vous que pour moi, ou plutôt c'est par piété envers vous, envers votre art, envers votre œuvre, envers ce que nous vous devons.
Laissons Les Métamorphoses que mon ami et confrère Olivier Sers vient de traduire - vers pour vers, onze mille vers latins, onze mille alexandrins français qui se répondent mot pour mot - nous en parlerons un autre jour, de cette gigantesque Histoire universelle du paganisme, monument dressé pour la mémoire de ce qui fut avant. Avant quoi ? Avant la Révélation que vous ne pouviez pas connaître, mais dont le souffle qui passe dans votre épopée est comme une attente en haleine, où l'on voir, à l'état de germe ou d'accomplissement, les espérances, les absurdités, les monstruosités et aussi les beautés d'un univers qui, pour ne pas connaître le vrai Dieu, vit au rythme d'un désir qui ne peut être que la face cachée de son amour.
Ovide, c'est certain, poète de l'amour, connaît mieux le petit dieu Eros que la douce, pure et chaste Agapé. Mais il en parle avec une telle expérience, une telle sagesse, un tel amour de l'amour humain que, face à la bestialité, à la brutalité, à l'inhumanité toujours renaissante et menaçante, son Art d'aimer sonne comme une proclamation de l'honneur de l'homme. Son préambule le dit : « S'il est quelqu'un de notre peuple à qui l'art d'aimer soit inconnu, qu’il lise ce poème, et, instruit par sa lecture, qu'il aime. » L’œuvre est trop importante, trop complète pour qu'ici j'en dise tout. Mais comment ne pas voir, en comparaison de l'immense majorité de films, de romans, d'émissions de radio ou de télévision où ce qui n'est plus que la caricature de l'amour humain est ramené à une brève pulsion, à quelques borborygmes et à la violence machinale - cinématographique, décalquée de soi disant modèles - de quelques gestes, toujours les mêmes - le trésor, je dis bien le trésor, qu'est l'art d'aimer ?
Dans notre époque où les liaisons sont si brèves, si intermittentes, que ce terme même de « liaison » n'est plus employé, où, au gré des humeurs, des envies, des dégoûts ou des illusions, au gré des modes, les couples, mariés ou non, se défont- pour se refaire ailleurs, et encore se défaire, dans une inconstance vraiment mortifère, quelle leçon donne mon poète quand il écrit : « Ce n'est pas assez que mes vers aient amené à toi celle que tu aimes : mon art te l'a fait prendre, mon art doit te la conserver. Et il ne te faut pas moins de talent pour garder les conquêtes que pour les faire ; dans l'un, il y a du hasard, l'autre sera l’œuvre de l'art. »
L'art d'aimer, pour lui, est plus exigeant encore que l'art de la guerre. Il demande plus de constance et plus de sacrifices. J'ai envie de recommander à tous les couples ébranlés par la lassitude, de suivre le conseil d'Ovide : les hommes pour la patience, la bienveillance, l'admiration infatigable, la disponibilité absolue, l'oubli de soi, de ses goûts, de ses préférences, de ses habitudes, de son confort, des satisfactions, jusqu'au détachement suprême qui est de tenter de contenter un être qui ne se contente pas. Les femmes, pour le travail incessant que demande l'entretien de leur esprit et le soin de leur corps : les cheveux, le regard, le visage, le teint, les habits, la démarche, la voix, les intonations, les rires et le sourire, le soin des dents, le parfum du souffle, bref une attention à elle-même dont le seul but est de retenir l'amour - toujours volage de celui qu'elles aiment.
La masse énorme et ennuyeuse de toute une littérature, soi-disant pieuse et en même temps pédante, sur le couple et le mariage vole en éclats à la lecture de ces vers enlevés. Evidemment, Ovide ne fait pas la morale. Ce n'est pas un Père de l'Eglise. Comment l'aurait-il été puisqu'il ne connaissait que certaines réunions, le septième jour de la semaine, « des juifs de Syrie », à Rome, où il observa que les jeunes filles étaient nombreuses et belles ?
Mais parce qu'il est poète, poète romain, poète de haute civilisation, et comme pour parler de l'amour il faut être poète, il a écrit cette œuvre unique : L'art d'aimer.
L'art d'aimer ! On dit qu'Héloïse, celle qu'aima Abelard, lequel « châtré fut et puis moine / pour son amour eut cette essoine », quand elle était supérieure de son couvent, donnait à étudier ces vers - au moins certains - à ses moniales qui, par fraîcheur de cœur et d'esprit, les appliquaient spontanément à l'amour de Jésus-Christ. Je pense qu'elle voulait leur apprendre que le véritable amour ne se paie pas de sensations, de sentiments, d'illusions et de rêveries mais veut des actes, des sacrifices, des souffrances, des efforts, la mise en œuvre de tout un art dont il est le seul but et la raison d'être.
L'expérience chrétienne, le Moyen-Age avec ses cours d'amour, les grands moralistes que l'Eglise a donnés au monde ont accru, anobli et porté à la perfection cet art d'aimer, qui est la seule justification et le vrai sens de la morale. Mais ces transfigurations postérieures ne doivent pas faire oublier ceux qui, marchant dans l'ombre et les ténèbres ont cependant jeté la lumière de leur talent et de leur raison sur cette seule occupation, seule passion, seule raison de vivre des hommes : aimer.
Comment aimer ? Comment bien aimer ? Comment mieux aimer ? Ovide, un peu rusé, un peu malin, un peu cynique, mais aussi vrai connaisseur de psychologie, et vrai poète, le premier a donné à l'univers, cette oeuvre vraiment humaine : l'art d'aimer.
Que nos éducateurs sourcilleux ou inquiets s'apaisent ! Qu'ils relisent attentivement ces vers et qu'ils les comparent à ce qui pullule dans notre culture en décomposition ! Ils ne tarderont pas à convenir que si, par miracle, quelques adolescents venaient à s'y intéresser, leur conduite amoureuse trancherait, d'une telle façon, sur celle de leurs contemporains que certains, ou plutôt certaines, admiratives, voudraient en faire un nouveau style, un genre, une mode. Alors, on verrait, au cinéma, au théâtre, dans la rue, sur les places et dans les parcs, dans les trams et les métros, dans les salles de classe, sur les bancs des facultés, les jeunes hommes rivaliser de prévenances, de soins et d'attentions délicates à l'égard des jeunes filles qui, elles, s'efforceraient d'être toujours souriantes, affables, parlant bien et sentant bon. Si, par miracle encore, les parents de ces adolescents, stupéfaits de la conduite de leur progéniture, venaient à étudier, eux aussi, ce poète qui inspire à leurs enfants une telle conduite, nous les verrions, ces vieux mariés, s'attacher à redoubler, elles, d'attention à plaire à leurs époux, eux, de redécouverte de ce qui peut les faire sourire, rire, ou les séduire. Les familles ne seraient plus « les cellules de base de la société » - « le régime cellulaire, disait André Gide, très peu pour moi », mais les foyers où se cultive, de génération en génération, « l'art d'aimer ».
J.T.V.
Programme de latin à l’épreuve du baccalauréat de 2010: communiqué du district de France
Abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du District de France - 25 août 2009
[...] Le Bulletin officiel n°15 du 9 avril 2009 de l’Education Nationale a fait connaître la liste des œuvres obligatoires inscrites au programme de langues et cultures de l’Antiquité de la classe terminale des séries générales et technologiques. Pour le latin, l’œuvre unique est « L’art d’aimer » d’Ovide. Cette oeuvre se trouvera encore au programme de l’année 2011.« L’art d’aimer » est une œuvre érotique du poète Ovide uniquement consacrée à exposer aux hommes d’abord, aux femmes ensuite, touts les conseils pour séduire. L’amour est ravalé à un exposé complaisant des moyens les plus dégradés et les plus cyniques pour parvenir à sa fin. L’auteur promeut la multiplication des partenaires et réduit la femme à l’état de proie.
Voilà la littérature sur laquelle les élèves de terminale des deux années à venir devraient se plonger pendant des mois !
Nous protestons et nous invitons tous les Catholiques et tous les hommes à qui il reste un sens moral à protester contre ce programme totalitaire qui constitue une véritable incitation publique à l’immoralité et à la débauche. [...]
Vous êtes tous cordialement invités.
On peut lire aussi la lettre de Madame de Romilly et je dois avouer que si j'ai été séduit par les propos de JTV dans un 1er temps, je pense l'académicienne beaucoup plus qualifiée pour avoir un avis sur cette question !
RépondreSupprimer"Vous avez souhaité faire programmer comme oeuvre unique et donc obligatoire pour l'épreuve de latin du baccalauréat l'Art d'aimer, d'Ovide. Vous affirmez dans le même bulletin officiel qui impose cette oeuvre, que cette épreuve doit « contribuer à la formation de l’individu et du citoyen par l’accès à l’héritage linguistique et culturel gréco-romain. » Or cette oeuvre ne correspond guère à cette finalité. Alors que les parents, les enseignants et les élèves attendent du baccalauréat qu'il soit une authentique formation intellectuelle et morale, vous avez choisi d'inscrire comme oeuvre unique un texte bien opposé aux valeurs fondamentales de la civilisation. Faut-il que notre culture devienne un vecteur de tout ce qui mena à la déliquescence de l'empire romain, et que nos jeunes gens étudient pendant une année entière une oeuvre où apparaît l'art du mensonge, de la violence (en particulier à l'égard des femmes, ce qui paraît aujourd'hui quelque peu malencontreux) et du plaisir inconditionnel ?
Convaincue que la culture doit promouvoir les valeurs civilisatrices, j'apporte mon soutien à l'association DEFI CULTUREL pour vous demander de bien vouloir faire changer d'urgence l'oeuvre obligatoire des baccalauréats 2010 – 2011."
Je découvre l'article de Me Trémolet de Villers alors que je viens de publier mon propre billet sur le sujet. Apparemment, ma conclusion rejoint la sienne : « Loin d'encourager les garçons à siffler les filles, L'Art d'aimer les exhorte à sortir "le grand jeu" pour séduire leur dulcinée ; laquelle est invitée à soigner sa féminité, au mépris de la "parité"... Proclamons-le sans ambages : ce message n'est pas pour nous déplaire ! » (http://blog.scribel.net/2009/10/venus-au-lycee/) Je devrais pouvoir venir l'écouter mardi ! :)
RépondreSupprimerVive la restauration de la condition féminine par Ovide. Si l'on avait oublié, le poête nous rappelle combien la vertu des femmes est un produit facilement marchandable. Il indiquera au lecteur qu'il suffit d'offrir d'un cadeau pour que la créature se donne.On y apprend également que les femmes aiment être forcées. C'est connu, on se croirait dans une tournante de banlieue (extraits du texte d'Ovide à lire sur le site http://www.deficulturel.net/modules/news/article.php?storyid=68466). Je souhaite que JTV n'ait pas lu cette oeuvre. Dans le cas contraire il contribuerait à répandre l'idéologie puante des misogynes de l'education nationale. Ce n'est pas l'étude des classiques latins qui est remise en cause,c'est le choix volontairement provocateur de cette oeuvre dégradante pour les femmes. Notre célébre et grandiloquent avocat se tromperait-il de cible !
RépondreSupprimerGlobalement je partage, cependant une autre question plus "sensible" se pose pour nous tous : abstraction faite des arguments évoqués supra, pourquoi au fond sommes-nous tellement contre cette oeuvre dans les mains de nos jeunes ?
RépondreSupprimerEt dans les "noirceurs de mon âme" (probablement pas plus noire que celle d'un autre) je découvre une réponse "scandalisante" : serions-nous
quelque part jaloux ? Oui, jaloux, envieux, désireux de cette jeunesse qui nous a échappée et qu'il n'est guère plus possible de rattraper ? De ces années qui ne reviendront plus, de ces amours pré-conjugaux (essayez d'éviter le choc!) qui ne sont plus ou qui n'ont jamais été ? De ces faux-semblants d'amours de dernière heure qu'il nous est encore possible de trouver (pour les "âges moyens"), mais qui n'auront point d'aisance ni de fraîcheur de ces premières années perdues à jamais ?
Pas besoin de sortir des discours moralisants en rappelant les règles, on les connaît, on sait, on vit selon; cependant, au fond de nous-mêmes n'y aurait-il pas ce petit(grand?) regret de n'avoir pas vraiment vécu quand il était temps, de ne plus vraiment pouvoir rattraper ces années ? Car les amours que nous jeunes vivent et qu'ils vivront, ne ressemblent qu'à la marge à la "fornication" ou aux "orgies romaines" (puisqu'on parle d'Ovide), ces phénomènes sont marginaux. Les jeunes s'aiment, c'est tout. Puis se quittent, puis retrouvent un autre amour et ainsi de suite, comme va la vie depuis la nuit des temps.
Et nous, les "exclus",les "écartés", malgré nous (en nous accrochant à nos principes)ne chercherions nous pas à éloigner des jeunes ce qui ne nous sied plus, ce qui nous n'est plus permis ou n'a jamais été ? Pour ma part il y a dans mon ressenti une parcelle de cette vérité si enfouie. Que chacun s'interroge dans son for intérieur...
S'agit-il de forcer les femmes, ou bien de "faire le premier pas" ? J'ai privilégié la seconde interprétation, tout en jugeant effectivement ambiguë l'évocation du viol. Je pensais interroger tout à l'heure "JTV" sur ce point. ;)
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