jeudi 9 décembre 2010

Le Motu proprio est pour qui ?

J'aurais aimé vous parler de la Vierge Marie, aujourd'hui, de sa conception immaculée, de cette grâce que par un dessein divin unique depuis Adam et depuis Ève, elle possède en quelque sorte par nature, de la force de sa personnalité, de la beauté - j'allais dire : virile - de son obéissance, objections faites, j'aurais voulu expliquer la manière dont, dans le Magnificat, au nom de cette plénitude de grâce, elle anticipe sur l'enseignement de son Fils et nous donne - par sa foi ["heureuse es tu car tu as cru", lui dit Elisabeth] - une première esquisse des Béatitudes. Marie domine le destin de l'humanité et, d'une certaine façon, comme Eve autrefois, elle le conditionne. Elle n'est pas plus ou autre chose que son Fils, mais elle est Lui. Sans elle, pas de Christ, sans sa liberté devant l'ange Gabriel, pas de salut, car le Christ est, dans son sein, ce petit d'homme nommé "Salut".

J'aurais aimé vous parler aussi de ce "salut", qui est... le nom et l'acte de Jésus. Jacqueline Genot Bismuth, il y a maintenant quelque 20 ans, insistait beaucoup sur le fait que le nom de Jésus, correctement vocalisé en hébreu, ne signifie pas "Dieu sauve" comme on nous le dit souvent mais "salut". Et cela me fait penser à cette conférence mardi soir, que je n'ai pas annoncée ici (Mea culpa), où Jean-Marie Elie a témoigné de son parcours de conversion. Juif ultra-orthodoxe, il est maintenant un serviteur de Jésus. Mais, dans ses enseignements, il insiste avec un réalisme à vous couper le souffle sur sa divinité. Son nom, dit-il, est : Je suis. Il rejoint, par les voies du langage (en particulier l'hébreu), mon cher Cajétan, expliquant au moyen d'une théorie de la personne extrêmement sophistiquée, cette chose très simple : Dans le Christ, c'est Dieu qui dit JE. Et j'ajouterai, pour montrer l'importance de Marie, nouvelle Eve, que en Marie comblée de grâce, comme le furent Adam et Eve avant elle, c'est l'humanité tout entière, l'humanité sauvée, l'humanité graciée qui dit JE. Pour qu'il y ait SALUT, il fallait que les deux JE se rencontrent. Voilà pourquoi, comme nous l'a d'ailleurs expliqué jean Marie Elie (qui reviendra au Centre Saint Paul), la dévotion à Marie n'est pas facultative. Elle n'est pas un expédient pour une humanité privée de Dieu. Elle participe de la figure même de notre salut. Comment ? En disant, à la place d'Eve : "Je suis la servante du Seigneur".

Je me suis laissé emporter, c'était de bon gré d'ailleurs, pour essayer encore de dire le Mystère chrétien dans sa bouleversante nouveauté, mais je voudrais vous communiquer très simplement une petite trouvaille, faite, à relecture dans le livre de Benoît XVI, Lumière du monde.

C'est à propos du Motu proprio. il en parle très peu. Mais ce qu'il dit laisse penser que pour lui le Motu proprio n'est pas tant un acte de tolérance envers les tradis qu'un acte de réparation envers l'Église tout entière et à l'attention de l'Église tout entière, blessée dans sa continuité, c'est-à-dire à la fois dans sa cohérence et dans sa cohésion. Je cite : "Concrètement la liturgie rénovée de Vatican II est la forme variable selon laquelle l'Église célèbre aujourd'hui. Si j'ai voulu rendre plus accessible la forme précédente, c'est surtout pour préserver la cohérence [plutôt que "cohésion" dans la traduction proposée] interne de l'histoire de l'Eglise. Nous ne pouvons pas dire : avant tout allait de travers ; maintenant tout va bien. Je veux dire que dans une communauté où la prière et l'eucharistie sont ce qui compte le plus, ce qui était autrefois le saint des saints ne peut pas être totalement erroné. C'est une question de réconciliation interne avec notre propre passé, de continuité interne de la foi et de la prière d el'Eglise".

Voilà tout ce qui est dit sur la liturgie traditionnelle. C'est peu. Le pape semble avoir aujourd'hui d'autres chats à fouetter. Mais c'est beaucoup dans ce que cela indique. Le motu proprio ne visait donc pas dabord les traditionalistes, mais d'abord ous ceux qui ont à se réconcilier avec le passé de l'Eglise. J'avais compris ça à première lecture dans la longue et lyrique préface de Summorum pontificum. Je l'avais dit le 7 juillet 2007 sur RCF, au grand du dam du Plateau, qui insistait sur la "tolérance" de Benoît XVI. Cette fois c'est clair. Parce qu'il a moins de place à consacrer à la liturgie, le pape va à l'essentiel et pour lui, l'essentiel du Motu proprio c'est la réconciliation (le mot est de lui) de tous les catholiques avec leur passé.

L'essentiel ? Je pense à ses prêtres qui ne connaissent ni le latin ni la messe traditionnelle et qui, au fond d'un monastère, à l'occasion d'une retraite, apprennent ce rite qu'on avait voulu leur cacher et enrichissent leur célébration ordinaire de cet extraordinaire qui leur avait été... dérobé. Quelle humilité ont ces hommes de Dieu ! et combien, nous qui revendiquons l'étiquette de traditionaliste, comme d'autres se disaient pharisiens, nous devrions en prendre de la graine, avec un immense amour, pour cette Église blessée qui se relève lentement.

11 commentaires:

  1. "Pour qui est le Motu proprio ?" me semblerait plus élégant.
    Pour le reste tout à fait d'accord avec vous.
    Bien cordialement.

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  2. Cher abbé de Tanoüarn,

    Je ne suis pas un « tradi », mais je m’interroge sur le saint des saints dont vous parlez. Le fait de célébrer la messe face au peuple nuit-il, à vos yeux, à l’identification par les fidèles de ce « saint des saints » ? De fait, la liturgie traditionnelle est sans doute plus explicite à ce sujet, et j’approuve pour ma part, pour donner un exemple, que le diacre de la paroisse Saint-Antoine, au Chesnay, fasse revêtir une aube blanche à chaque laïc désigné pour être ministre de l’eucharistie.
    Pour ma part, dans une basilique qui m’est chère (non éloignée du Centre Saint-Paul), j’ai fait l’expérience que voici, en janvier 2009. En l’absence des soeurs qui assistent habituellement le curé dans son ministère, celui-ci est venu me chercher pour que je donne à ses côtés la communion aux fidèles. N’étant guère formé aux subtilités de la liturgie eucharistique (ayant en tout et pour tout servi trois messes lorsque j’étais louveteau, il y a de cela plus de quarante ans), je ne me suis pas contenté de demeurer au pied de l’autel, j’ai gravi – en toute naïveté – les deux marches me séparant du saint des saints et me suis tenu aussi respectueusement que possible à deux mètres de l’autel, à la gauche du curé, pour qu’il me donne la communion. De cela, vous exigeriez sans doute de ma part, un acte de repentir explicite. Mais, pour ma part, je rends grâce à Dieu de m’être trouvé, pour une trentaine de secondes, sous Sa puissance et dans la colonne de nuée de Son « Alliance nouvelle et éternelle » avec le peuple chrétien. Je me suis senti, pour un instant, dans la main du Tout-Puissant, sous sa poigne bien ferme et bien douce. Depuis lors, je prie assez souvent pour les ministres de l’eucharistie, en espérant que le Seigneur leur fera connaître sa Présence exigeante. Mais je ne remets pas pour autant en question la messe « moderniste », comme vous diriez peut-être, confiant en la miséricorde de Dieu qui s’exprime dans la célébration de la sainte eucharistie dès qu’un prêtre valide y préside.
    D.S. [... que le cher A.S. me pardonne : Dieu seul suffit ! ]

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  3. Plus simplement j'aurais écrit :
    "Le Motu Proprio pour qui ?"
    Ceci dit, mon propriétaire s'en bat l'oeil (et mon curé également).

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  4. Je connais un Jean-Marie Elie : c'est un ancien footballeur français né le 30 septembre 1950 à Longchamp-sur-Aujon (Aube).
    Il a joué comme milieu de terrain à Lens et Saint-Étienne. Il a été avec chacune de ces deux équipes, finaliste malheureux de la Coupe de France : en 1975 avec les sang et or et en 1981 avec les verts. Mais, il termina sa carrière dans l'équipe stéphanoise avec un titre de champion de France en 1981.

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  5. La réparation ne se fera que quand les responsables de la rupture (satanique) seront sanctionnés et quand les martyrs de la continuité seront honorés.Sans cela, ni justice ni vérité. donc tolérance...
    A.S. Asphyxié spirituel de la nouvelle théologie pendant 40 années..

    P.S. Quand Dieu dit "Je " ( déjà en Ex 3,14...) de quel "je " s'agit-il??? Sans doute pas de "ego" du cogito...

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  6. Je préfère la messe traditionnelle. Je n'ai rien contre la messe "moderne" à la condition "sine qua non" qu'elle soit célébrée avec dignité, sans joueur de guitare, sans "civils" qui ânonnent et où on se demande s'il y a un pilote dans l'avion : un prêtre qui officie. Je n'ai vu qu'une fois une messe moderne où la dignité et la liturgie étaient respectées: c'était en Autriche, pays toujours fortement catholique...
    ceci étant dit, bravo pour votre digression initiale sur la Vierge Marie. WILLY

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  7. Il y a un autre passage du livre, cher monsieur l'abbé, dans lequel Benoît XVI évoque, non la liturgie traditionnelle, mais la manière traditionnelle de célébrer la liturgie, c'est celui sur la communion à genoux et dans la bouche, dans laquelle le Saint-Père voit "un signe de respect, (pour) marquer la présence réelle d'une sorte de point d'exclamation", expression que je trouve particulièrement heureuse. Puis, se départissant du ton doux qui lui est naturel, il ajoute : "Je voulais émettre un signal clair à l'intention de ceux qui pensent que pour recevoir la communion, il suffit d'être là et de suivre le mouvement. Il faut que ce soit bien compris : ce qui se passe ici n'a rien d'ordinaire ! Il est ici et c'est devant Lui que l'on s'agenouille !Ce n'est pas un quelconque rituel social auquel nous pourrions, à notre gré, participer ou ne pas participer." Passage qui mériterait d'être lu en chaire (s'il en restait) dans toutes les églises de France

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  8. Dans un monde désincarné, un monde de purs esprits, peu importerait sans doute, la forme qu’adopterait une liturgie. C’est l’intention qui compte avant toute chose et c’est probablement pour cela que des âmes bonnes peuvent être sauvées, malgré leur ignorance du Christ.
    Mais nous ne sommes pas dans un monde désincarné, loin s’en faut. Nous sommes de chair et la chair communique avec le monde par cinq sens. Chacun d’eux peut être flatté ou agressé. C’est là qu’une liturgie peut prévaloir sur une autre. Simplement parce qu’elle est plus belle, donne une impression d’ordre et de noblesse, parce qu’elle exprime plus de respect, de recueillement, de symbolique même. En effet que le prêtre soit vêtu d’une aube superbe ou d’un slip de bain, cela ne change rien, en principe. Tout comme rien ne change que l’on entende de l’orgue ou du pipeau, mais chacun sentira par ces extrêmes outranciers que, si, quand même, ça compte ! Que le prêtre se tourne vers l’auditoire ou non, en fait n’a d’importance que parce qu’une symbolique forte s’en dégage. Mais se tourner symboliquement ensemble dans le même sens, vers Dieu, cela a du sens.
    C’est pour cela qu’il ne faut jeter la pierre à personne, mais qu’il est nécessaire d’ essayer de se comprendre et de s’aimer.
    Je crois, moi aussi, que le beau sauvera le monde. Le beau, le bon, le bien et le vrai…
    Clément d’Aubier (pseudo de rêverie)

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  9. @ Clément d'Aubier
    J'apprécie votre commentaire. Cependant, il m’apparaît clairement que dans toute église, lors de la célébration eucharistique, le prêtre et les fidèles regardent "dans le même sens", vers Notre Seigneur qui vient à nous entre les mains du prêtre. Et il ne suffit pas de dire qu’"une symbolique forte s’en dégage". Dieu est présent.
    D. S. (discutons sereinement)

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  10. Réponse à L'anonyme qui commente mes propos :
    Quand je dis qu'une symbolique forte s'en dégage, je parle du symbole de l'orientation du regard, soit tous ensemble dans la même direction, soit le prêtre face aux fidèles. Evidement, Dieu n'est pas dans une direction, cela serait réducteur. Et, bien entendu Dieu est présent. Mon discours était déjà un peu long, je ne voulais pas m'étaler trop.
    Cordialement,
    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  11. "La reconciliation de tous les catholiques avec leur passe". Leur passe conciliaire et leur passe traditionnel? Une sorte de Reunicatho? De reforme de la reforme? Toutes les demandes de messes selon le rite extraordinaire semblent figees a 2007. Mgr Pozzo puis SS Benoit XVI ont prefere botter en touche. Une nouvelle periode de maturation (ou de glaciation?) vient de s'ouvrir. Le groupe des mediateurs (ou des mouches du coche?) va devoir prendre patience et oeuvrer intelligemment. Parmi toutes les tentatives avortees quelques succes en Italie. Confiance et priere.

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