dimanche 12 décembre 2010

[Rémi Lélian - Respublica Christiana] L'Homme-Grizzly ou l'idéologie de la nature

Timothy Treadwell, c'est cet homme plus connu aux USA sous le nom de Grizzly Man, et auquel Werner Herzog a consacré un film du même nom en 2005. Doux dingue qui entreprit de vivre en la compagnie des ours du grand nord américain, treize étés durant, Timothy Treadwell voua la plus grande partie de sa vie à défendre ces bêtes féroces, en lesquelles il croyait trouver une espèce de rédemption du monde, un ordre pur opposé à celui d'une civilisation moderne devenue folle. Hélas, lors de son dernier séjour, à l'été 2003, un de ses amis plantigrades, affamé, décida qu'il en ferait bien son diner et le dévora, lui et sa femme. La nature avait repris ses droits, et le prédateur la vie de ce pauvre illuminé qui, plus que l'amitié des bêtes, cherchait en réalité à mourir sous leurs griffes, sacrifié au grand dieu Pan et à son holocauste païen.

Que nous apprend cette histoire ? Quel sens donner à la vie et à la mort de l'Homme-Grizzly dans un monde qui, à mesure qu'il s'éloigne de la nature, semble la fantasmer de plus en plus, jusqu'à y apercevoir un Éden immanent, un paradis perdu quoique néanmoins accessible en hélicoptère et, quand même un évêque lui accorde récemment une justice autonome, capable de rendre seule ses comptes ? Cette histoire nous enseigne que la nature est une idole comme une autre, et que sa principale caractéristique, en tant que telle, est de tromper Celui qui lui concède cette part d'absolu qu'elle ne réclame pourtant pas. Que son ontologie est celle du meurtre et de l'imperfection, au sens transcendant du terme. A fortiori pour nous catholiques, qui ne pouvons entendre évoquées les notions de Justice et d'Ordre autrement qu'au travers de cette charité mystérieuse, dont le Seigneur nous dit qu'elle est la véritable fin de l'Incarnation. L'ours dévore ses petits, les maladies saccagent indifféremment la vie des innocents et celle des autres. C'est ainsi que fonctionne la nature, et le logiciel qui la meut est moins celui de l'équilibre, que celui de la barbarie égalisatrice dévorant le faible afin de nourrir le fort... La nature est libertarienne...

Vigny disait, il y a près de deux siècles déjà, que l'homme redevient singe. Il nous semble, au regard de la malheureuse expérience de Timothy Treadwell, que cette phrase est éminemment vraie, à ceci près qu'il est désormais un singe en costume. Le monde moderne dans lequel nous vivons, contrairement à ce que voudraient nous faire accroire les José Bové et autres tenants écologiques de la décroissance, c'est le monde barbare de la nature, et si les forêts disparaissent et qu'ici, de la jungle équatoriale nous ne connaissons rien d'autre qu’un cliché de carte postale, il n'empêche que ses lois impavides sont les nôtres. Sa lettre nous échappe, cependant que son esprit violent nous vivifie jusqu'où néant, où il ne manquera pas de nous emmener, irrémédiablement.

La société libérale, notamment, c'est l'image de la nature qui fournit aux animaux seuls capables de s'adapter la possibilité de la survie, qui fortifie les plus forts et éradique les faibles. Qu'il y ait aujourd'hui une idéologie de la nature, des défenseurs de son économie, dans un univers qui a intégré la contradiction comme une condition de son achèvement, ce n'est pas la preuve d'une opposition au monde moderne, mais, à l'inverse, celle de la parfaite adéquation de cette idéologie avec celui-ci. Car ce qui agite la psyché des capitalistes, plus encore que les profits et l'enrichissement personnel, c'est à n'en pas douter la volonté inconsciente du vide et de la mort, recueillis au sein d'un ordre naturel qui les justifie ! « Périssent les faibles et les ratés », disait Nietzsche. « A chacun son dû », annonçait le portail de Buchenwald. Autant de phrases dont notre psychologie contemporaine ne rougirait pas et qui, plutôt que de nous inquiéter, nous rassurent puisqu'elles nous murmurent que tout va bien, que le monde fonctionne, et que chaque chose trouve sa place ici-bas, fusse dans la mort.

Timothy Treadwell ne voulait pas vivre avec les ours ; il désirait mourir grâce à eux, afin de retrouver cette loi naturelle du fort et du faible, que le Christ est venu abolir ! Et le système fou de Wall Street, comme la fascination d'une nature justicière et suffisante, l'imite en cela qu'il ne souhaite pas aux hommes une vie meilleure, plus juste, mais qu'il leur garantit la certitude inconsciente de la mort. Certitude qui aujourd'hui vaut toujours mieux que la foi en un « après » duquel on ignore tout, et que seule la promesse de Celui qui, sur le Golgotha, a souffert et est mort pour nos péchés, vient contrarier.

Rémi Lélian

1 commentaire:

  1. Je ne vois pas le rapport avec la décroissance. Mais très bon article, tout de même.

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