Je reprends ici un article publié dans le numéro de mars de la revue Monde et Vie
On parle de moins en moins – hélas – de l’infaillibilité du
pape. La dernière fois qu’il en a été question, c’était sous Jean-Paul II, en
1994, lorsque le cardinal Ratzinger rédigea un court texte excluant la
possibilité du sacerdoce des femmes. Les quatre conditions de l’infaillibilité
personnelle du pape, telle qu’elles avaient été énumérées à Vatican I (1870) se
trouvait énoncées dans l’ordre où le Concile les avait énumérées. A l’époque,
j’avais parlé du test antischisme : ceux qui reconnaissaient la vérité catholique de ce document n’étaient pas
schismatiques, puisqu’ils reconnaissaient le pape dans sa fonction de docteur
suprême. Ceux qui se répandaient, dans La
Croix par exemple, en écrivant (comme le théologien Bernard Sesbouë) que le
pape « avait agité le chiffon rouge de l’infaillibilité », ceux-là,
traitant cette infaillibilité comme un chiffon, montrait une propension au
schisme…
C’était un autre temps.
Il semble qu’aujourd’hui on cherche à infaillibiliser non
pas tel acte précis du Pontife faisant un rappel de la doctrine catholique,
mais plutôt toute la vie de chaque pape, qui, comme pape, n’aurait pu que vivre
saintement et aurait bien mérité la canonisation, avec ou sans les miracles
nécessaires. Il s’agit de parler le langage que comprend notre époque, non pas
hélas ! celui d’une vérité miraculeusement définie par le charisme de
l’infaillibilité personnelle du pontife, mais celui du témoignage de vie. Face
aux scandales à répétition des prêtres pédophiles, face aux contre-exemples
monstrueux que représente, tout près de nous, l’abbé Maciel fondateur des
Légionnaires du Christ, mort en 2008, éphébophile patenté, concubinaire et
incestueux, la papauté a continué à donner l’exemple. Les papes de la sainte
Eglise catholique n’ont pas perdu l’honneur.
Cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire. Dans une
société chrétienne, on a pu tolérer de mauvais pape. Alexandre VI avait été
nommé cardinal à 20 ans par son oncle Calixte III (1458). Rodrigo (c’était le
prénom du jeune homme) avait eu six enfants avant de devenir pape. Sa fille
Lucrèce, que l’on réputait scandaleuse, a fini sa vie saintement et son petit
fils, François de Borgia, a été canonisé. Les extrêmes se trouvaient alors
réalisés dans la même famille. A l’époque, seul le dominicain Savonarole, à
Florence, premier sédévacantiste de l’histoire, avait proclamé qu’Alexandre VI,
à cause de ses scandales n’était pas pape. Mais qu’en serait-il aujourd’hui ?
Aujourd’hui, la papauté entend se présenter elle-même sous
son meilleur jour, alors que l’extraordinaire autorité spirituelle dont jouit
le Pontife romain est contestée par les Instances internationales, qui,
manifestement, ne veulent plus de la concurrence romaine. Les lecteurs de Monde
et Vie ont entendu parler de la récente lettre de l’ONU, condamnant le Vatican,
pour tolérance indue envers les prêtres pédophiles mais aussi pour son
enseignement en matière morale, sur la contraception par exemple. Ils se
souviennent par ailleurs que, quelques jours avant la renonciation de Benoît
XVI, la Banque d’Italie refusait d’alimenter le système carte bleue du Vatican,
dont le prestigieux musée avait dû fermer pendant presque une semaine. Le
lendemain de cette renonciation, les machines se remirent à fonctionner.
Etrange ? Oui. Quelle pression est exercée sur le Vatican ? Nous ne
le savons pas. Mais force est de constater que ces pressions existent. Elles
sont publiques au moins pour partie.
Dans ce contexte, la deuxième visite du président américain
Barack Obama au Vatican le 27 mars 2014 (la première avait eu lieu en 2009) est
un indéniable succès de la diplomatie vaticane, qui, apparemment, est parvenue,
pour l’instant, à desserrer l’étau et à sortir le plus petit Etat du monde de
son isolement. On se souviendra du sourire d’Obama et du sourire du pape
François (sourire que le pape n’arborait pas en recevant notre François
Hollande). On se souviendra de l’inclination profonde du Président des Etats
unis devant le Successeur de Pierre. La conversation a porté néanmoins sur les
questions qui fâchent l’ONU, le pape défendant, à propos du refus de la
contraception, le droit à l’objection de conscience. On peut dire qu’un
Président américain affaibli dans son Pays comme à l’Internationale où l’échec
ukrainien s’ajoute à l’échec syrien, est venu chercher l’onction pontificale,
qui lui a été donnée d’autant plus volontiers que François lui-même se trouve
en difficulté, la semonce de l’ONU représentant une première historique. La
récente nomination du cardinal de Sydney Pell à un nouveau « ministère des
finances » a dû être observé comme un autre signe positif en ce moment
particulièrement compliqué.
C’est dans ce contexte troublé, qu’il faut comprendre la
double canonisation de Jean XXIII et de Jean-Paul II. Et c’est dans la même
perspective que Pie IX avait été béatifié avec Jean XXIII et que, malgré les
résistances internationales, le 19 décembre 2009, Pie XII lui-même avait été
déclaré vénérable par Benoît XVI, lequel s’était exercé avec succès, par tout
un travail d’historiens, à laver ce pape du soupçon infamant d’antisémitisme. A
l’époque, Benoît avait profité de l’aura de Jean-Paul II, qu’il avait déclaré
vénérable en même temps que Pie XII, ce 19 décembre 2009. L’objectif était le
même qu’aujourd’hui. L’institution se défend avec toutes les armes à sa
disposition, y compris les siennes. Elle est condamnée à s’autocélébrer puisque
personne ne le fait plus dans la société nihiliste d’aujourd’hui.
J’ai fait un mauvais rêve tantôt: nous étions en 2024. Non seulement l’Eglise canonisait chaque pape, mais elle béatifiait tous ses cardinaux. Les simples évêques devaient se contenter d’être proclamés ‘de bienheureuse mémoire’. Le plus souvent c’est le Saint Père qui officiait, éventuellement assisté de deux ou trois Saints Pères émérites. Ce dimanche là justement, vêtu d’un clergyman blanc immaculé, le… Juste à ce moment, je me réveille, je vérifie la date sur mon radio-réveil et je me rassure : j’ai rêvé, aucun rapport avec la réalité, nous sommes bien en 2004.
RépondreSupprimerC'est Bouvard, je crois, qui disais "Oh ben, y a qu'à les canoniser le jour de leur élection, c'est plus simple."
RépondreSupprimerMonsieur l’Abbé, permettez-moi de vous indiquer les réflexions de votre frère dans le sacerdoce, Monsieur l’Abbé Hunwicke a ce sujet: http://liturgicalnotes.blogspot.co.uk/2014/04/is-act-of-canonisation-infallible-is-it.html
RépondreSupprimerTrès bien ce que vous avez écrit. L´église a besoin de se défendre !...
RépondreSupprimerRemettre en cause si tel ou tel pape a été saint ou non, est une perte de temps, au sens que plusieurs se demandent cela. J´ai déjà lu des écrits d` anciens et célèbres saints, où ils parlaient d´eux -mêmes comme « des pécheurs devant Dieu. »
Tous les hommes sont, donc, pécheurs d`une façon ou d´une autre ; mais les saints cherchent la sainteté, travaillent pour cela, ils n´ont pas nés saints.
Les papes cherchent à donner exemples d´intégrité, malgré toutes les difficultés, les persécutions, les pressions que l ´Église souffre dans notre monde. Les gens que beaucoup critiquent et veulent réduire la figure du pape, peut-être ne seraient pas mieux s´ils étaient à sa place : il me semble qu ´il doit être un grand sacrifice guider une église qui est divisé, où chacun pense qu´il peut faire ce qu´il veut, où même des simples(et ignorants) fidèles jugent qu´ils peuvent donner des leçons au pape, comme s´il était un étudiant.
Être pape aujourd´hui doit être une grande souffrance, et bien peu de gens semblent comprendre cela... Prions pour l ´Église, pour l´unité, pour la fin des discussions purement humaines : que la paix vienne, que Dieu éclaire tout le monde.