... ce matin, je réfléchissais à l'étrange beauté de ce prénom héroïque, qui évoque Achille, Patrocle son alter ego, la Guerre de Troie, la belle Hélène et tous ces héros qui sont "les saints" de la Grèce antique, Agamemnon, Ménélas, Ajax. Hector est dans l'autre camp, celui des perdants. Il n'en est que plus héroïque. Sa mort est annonciatrice de la défaite troyenne. Quoi de plus beau que de donner à un enfant un prénom héroïque ? Il suffit qu'il ait un saint patron en deuxième prénom pensais-je. Au pire son ange gardien fera l'affaire. Et lui se souviendra du héros chaque fois qu'on l'appellera par son nom. Etonnante logique des noms... ou des prénoms. Empire auquel il nous est bien difficile de résister. Empire auquel il est impossible de se soustraire.
Nous vivons des temps héroïques. Encroûtés dans la matière, nous devons mener pour l'esprit un combat héroïque et solitaire, que l'on pourrait dire perdu d'avance comme celui d'Hector. L'Eglise d'aujourd'hui doit fabriquer des saints ou mourir. Mais justement les saints sont les héros du christianisme.
Quant aux héros grecs, sont-ils si héroïques que cela ? Certes, ils possèdent en eux le "thumos" cet instinct victorieux, qui les met au dessus des autres mortels et leur interdit de "céder" (eikein en grec) à la faiblesse. Mais Patrocle meurt parce que stupidement Achille s'est retiré sous sa tente rêvant à Briséis la captive qu'Agamemnon a exigé pour lui seul... Hector meurt de la vengeance d'Achille. Et Ajax se suicide après avoir tué un troupeau de vache dans un accès de démence. Que valent ces héros ? Qu'est-ce donc que leur force vitale, si chère à Nietzsche et au premier Jünger ?
Il me semble que le courage chrétien est bien plus beau, parce qu'il naît non dans le thumos et dans les epithumiai, ces passions de l'âme qui sont tellement trompeuses, mais au profond de l'esprit, dans l'assurance dont il nous revêt. En ce sens, Paul fut un héros chrétien : "Nous avons trouvé en Dieu l'assurance de vous annoncer son Evangile au milieu de bien des combats" (I Thess. 2, 2). Sa vie est une aventure.
Serons-nous tous des saint Paul ? Assurément non!
Mais parce que nous sommes chrétiens, notre courage, n'en déplaise à Nietzsche, naît de l'esprit et non d'une obscure force vitale. Dans un volume de notes récemment publié Jules Barbey d'Aurevilly avait bien compris cette dimension (chrétienne finalement) du courage, né de l'esprit et non des profondeurs de l'instinct. Et parce que c'était avant tout un écrivain, la lâcheté l'intéressait encore plus que le courage. Il ne s'occupait lui ni d'Hector ni d'Achille, mais de ces médiocres que de toute sa hauteur il nommait ses contemporains.
Barbey écrit donc, non pas sur le courage, mais sur cette grande oubliée qu'est la lâcheté : "La lâcheté est le fond des esprits encore plus que le fond des caractères. On ne sait pas ce que la force de l'affirmation produit de trouble et de terreur autour d'elle. Toute la force du journalisme est venue de là : savoir affirmer".
La foi est comme l'inverse de toutes les intimidations, qu'elles soient médiatiques ou pas. Une affirmation tranquille et sans retour sur soi. C'est à la foi, et ce n'est pas pour rien, que Dieu promet le salut. A la foi intrépide, non à la Loi moutonnière. A Hector donc, et non au premier venu...
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