Elle est forte, oui trop forte celle là me dit en substance Serge, le séminariste polonais de notre convict romain. La foi une évidence ? Comment est-ce possible ?
Réfléchissons. La foi ne peut être qu'une évidence pour le martyr et peut-être plus encore, car son témoignage est quotidien et il dure longtemps, pour le missionnaire, ce géant de la foi qui au XIXème siècle, s'en allait de l'autre côté du monde, vers l'inconnu, sans espoir de retour. Le saint ? Le martyr ? La foi fait partie de sa vie au point qu'il préfère la mort à la tiédeur ou au reniement. Vous me direz : mais ce sont des êtres et des situations exceptionnelles, que nous ne connaissons pas dans notre petite vie ordinaire. Est-ce si sûr, que nous soyons condamnés à l'ordinaire, au banal ? Un chrétien peut-il se contenter d'une espérance banale ? D'un amour minimum ? D'une foi au rabais ? La demi-foi, ça n'existe pas ! La foi, surnaturelle dans sa source comme dans son terme, est nécessairement extraordinaire. Ou bien elle n'est pas. J'ai été très frappé par le mot de Martin Mosebach dans L'hérésie de l'informe (p. 34) : "La foi, c'est ce que nous faisons comme une évidence". Ce qui m'a frappé dans cette phrase, c'est que Mosebach dit "nous", comme si nous devions tous accéder à ce degré de foi qui nous fait entrer dans l'évidence... L'évidence, c'est sans doute ce que la foi possède d'extraordinaire (en théologie on préciserait : ce qu'elle possède de surnaturel)
Et pourtant Serge a raison de me résister sur ce coup-là. Je le lui ai dit du reste, non sans envie pour la liberté de sa remarque. Saint Thomas d'Aquin lui-même explique que croire et savoir sont deux actes différents et que la foi n'est pas un savoir. Que vais-je lui trouver d'évidence, s'il est vrai, comme l'expliqua naguère Descartes que toute évidence procède du savoir, dont elle constitue comme une sorte d'abrégé triomphant ? Parce que la foi n'est pas un savoir, elle a partie liée avec le doute. Le doute, loin d'empêcher la foi la signale un peu comme les querelles dénoncent les amoureux. Alors ? Que va-t-on chercher d'évidence en tout cela ?
Non seulement la foi n'est pas un savoir scientifique (scientia dit saint Thomas), mais la foi semble souvent défier les certitudes modestes qui forment la trame de notre vie quotidienne. Un exemple ? La sagesse de monsieur Prudhomme professe couramment que "l'argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue". L'Evangile nous enseigne : "Heureux les pauvres car le Royaume des Cieux est à eux", "Il est plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille" etc. Dieu ne mâche pas ses mots ! Il ne nous propose pas, en guise de credo, les certitudes au rabais que peut nous laisser le Journal de 20 H. Les augures, pensifs, en déduisent : la foi est devenue bien difficile à notre époque. Penses-tu, à notre époque ! Tertullien disait déjà au IIème siècle : "Je crois parce que c'est absurde (ineptum)". Chaque époque connaît sa difficulté de croire...
Mais alors d'où vient l'évidence ? Dans le beau livre plein d'humanité qu'elle a intitulé Le sourire de Dieu (éditions du Rocher 2008), Irina de Chikoff, qui, au Figaro déjà possédait le don de nous émouvoir, cite cette belle formule de Michel Serrault, qui peut nous aider à débroussailler un peu notre sujet : "La foi fait partie de mon existence. Si on ne l'a pas pour récupérer, pour transformer le sens de la vie, tout devient un peu dérisoire et même pathétique".
Comment ce qui fait partie de mon existence, comment ce qui transforme ma vie ne serait pas évident ?
Il y a deux sortes de vérité, ai-je répondu à Serge. Il y a la vérité scolastique, la vérité scientifique, dont la formule est "l'adéquation de l'esprit et de la chose". Cette vérité-là est immédiatement accessible à la conscience. Elle est l'objet d'un savoir, que ce savoir soit hautement spéculatif ou bassement pragmatique. Mais justement (c'était du reste l'objet de notre cours) : la foi ne relève pas de je ne sais quelle conscience religieuse. Ni non plus d'ailleurs, par ricochet de la liberté de cette conscience religieuse. Ce serait un délire, disait déjà le pape Grégoire XVI, d'imaginer que la foi relève de la conscience humaine. Elle vient forcément de bien plus haut et, à cause de cela, elle ne se laisse pas juger par la conscience.
Et puis il y a une autre vérité, celle qui nous transforme en elle, celle qui transforme notre vacuité en plénitude, ou, si ces mots vous semblent trop fort (n'en ayez pas peur !), celle qui permet de "transformer notre vie" (mais oui Michel Serrault), de transcender sa texture toute animale en la gonflant du souffle de Dieu, qui est l'esprit, tellement supérieur à la chair.
Je cite souvent une formule de Michel Foucault, qui indique que même un agnostique, un douteur professionnel, grand coupeur de cheveu en huit, même un sceptique patenté comme lui avait deviné que l'évidence de la foi provient, en nous, de l'intuition de la nécessité d'une vérité transformatrice. Citons cette formule magnifique, tirée du dernier volume de Dits et Ecrits (p. 535) : "Je sais que le savoir a le pouvoir de nous transformer, que la vérité n'est pas seulement une manière de déchiffrer le monde (...) mais que si je connais la vérité, alors je serai transformé et peut-être sauvé. Ou alors je mourrai, mais je crois de toute façon que c'est la même chose pour moi".
L'évidence de la foi n'est pas objectivable, comme le serait l'évidence scientifique. C'est une évidence transformatrice, une évidence qui se saisit dans l'action : "ce que nous faisons avec évidence" dit Mosebach. Non ce que nous pensons. ce que nous faisons. L'évidence de la foi est essentiellement opérative. Elle procède de l'autorité du Dieu qui, se donnant à nous, nous remet en marche. L'évidence de la foi n'est donné qu'à ceux que la théologie appelle très bien : viatores, ceux qui marchent. Du reste, comme le remarquait saint Paul, ceux qui ne marchent plus, cette foi, ils ne l'ont plus. Ils ont la vision de ce qu'a été leur marche. Vision de gloire. Vision d'horreur ?
Nous autres chrétiens, viateurs, nous sommes tous comme Diogène, obsédés par le mouvement, et nous prouvons la vérité en marchant.
Quant à ceux qui ne veulent pas de cette évidence ambulatoire ? ils marchent quand même, c'est la vie, mais alors, comme dit le Psaume, ils tournent en rond : in circuitu impii ambulant. Michel Serrault avait raison tout à l'heure de trouver ces rondes de l'impie (de l'homme sans foi)... "un peu dérisoire et même pathétique".
Réfléchissons. La foi ne peut être qu'une évidence pour le martyr et peut-être plus encore, car son témoignage est quotidien et il dure longtemps, pour le missionnaire, ce géant de la foi qui au XIXème siècle, s'en allait de l'autre côté du monde, vers l'inconnu, sans espoir de retour. Le saint ? Le martyr ? La foi fait partie de sa vie au point qu'il préfère la mort à la tiédeur ou au reniement. Vous me direz : mais ce sont des êtres et des situations exceptionnelles, que nous ne connaissons pas dans notre petite vie ordinaire. Est-ce si sûr, que nous soyons condamnés à l'ordinaire, au banal ? Un chrétien peut-il se contenter d'une espérance banale ? D'un amour minimum ? D'une foi au rabais ? La demi-foi, ça n'existe pas ! La foi, surnaturelle dans sa source comme dans son terme, est nécessairement extraordinaire. Ou bien elle n'est pas. J'ai été très frappé par le mot de Martin Mosebach dans L'hérésie de l'informe (p. 34) : "La foi, c'est ce que nous faisons comme une évidence". Ce qui m'a frappé dans cette phrase, c'est que Mosebach dit "nous", comme si nous devions tous accéder à ce degré de foi qui nous fait entrer dans l'évidence... L'évidence, c'est sans doute ce que la foi possède d'extraordinaire (en théologie on préciserait : ce qu'elle possède de surnaturel)
Et pourtant Serge a raison de me résister sur ce coup-là. Je le lui ai dit du reste, non sans envie pour la liberté de sa remarque. Saint Thomas d'Aquin lui-même explique que croire et savoir sont deux actes différents et que la foi n'est pas un savoir. Que vais-je lui trouver d'évidence, s'il est vrai, comme l'expliqua naguère Descartes que toute évidence procède du savoir, dont elle constitue comme une sorte d'abrégé triomphant ? Parce que la foi n'est pas un savoir, elle a partie liée avec le doute. Le doute, loin d'empêcher la foi la signale un peu comme les querelles dénoncent les amoureux. Alors ? Que va-t-on chercher d'évidence en tout cela ?
Non seulement la foi n'est pas un savoir scientifique (scientia dit saint Thomas), mais la foi semble souvent défier les certitudes modestes qui forment la trame de notre vie quotidienne. Un exemple ? La sagesse de monsieur Prudhomme professe couramment que "l'argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue". L'Evangile nous enseigne : "Heureux les pauvres car le Royaume des Cieux est à eux", "Il est plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux qu'à un chameau de passer par le trou d'une aiguille" etc. Dieu ne mâche pas ses mots ! Il ne nous propose pas, en guise de credo, les certitudes au rabais que peut nous laisser le Journal de 20 H. Les augures, pensifs, en déduisent : la foi est devenue bien difficile à notre époque. Penses-tu, à notre époque ! Tertullien disait déjà au IIème siècle : "Je crois parce que c'est absurde (ineptum)". Chaque époque connaît sa difficulté de croire...
Mais alors d'où vient l'évidence ? Dans le beau livre plein d'humanité qu'elle a intitulé Le sourire de Dieu (éditions du Rocher 2008), Irina de Chikoff, qui, au Figaro déjà possédait le don de nous émouvoir, cite cette belle formule de Michel Serrault, qui peut nous aider à débroussailler un peu notre sujet : "La foi fait partie de mon existence. Si on ne l'a pas pour récupérer, pour transformer le sens de la vie, tout devient un peu dérisoire et même pathétique".
Comment ce qui fait partie de mon existence, comment ce qui transforme ma vie ne serait pas évident ?
Il y a deux sortes de vérité, ai-je répondu à Serge. Il y a la vérité scolastique, la vérité scientifique, dont la formule est "l'adéquation de l'esprit et de la chose". Cette vérité-là est immédiatement accessible à la conscience. Elle est l'objet d'un savoir, que ce savoir soit hautement spéculatif ou bassement pragmatique. Mais justement (c'était du reste l'objet de notre cours) : la foi ne relève pas de je ne sais quelle conscience religieuse. Ni non plus d'ailleurs, par ricochet de la liberté de cette conscience religieuse. Ce serait un délire, disait déjà le pape Grégoire XVI, d'imaginer que la foi relève de la conscience humaine. Elle vient forcément de bien plus haut et, à cause de cela, elle ne se laisse pas juger par la conscience.
Et puis il y a une autre vérité, celle qui nous transforme en elle, celle qui transforme notre vacuité en plénitude, ou, si ces mots vous semblent trop fort (n'en ayez pas peur !), celle qui permet de "transformer notre vie" (mais oui Michel Serrault), de transcender sa texture toute animale en la gonflant du souffle de Dieu, qui est l'esprit, tellement supérieur à la chair.
Je cite souvent une formule de Michel Foucault, qui indique que même un agnostique, un douteur professionnel, grand coupeur de cheveu en huit, même un sceptique patenté comme lui avait deviné que l'évidence de la foi provient, en nous, de l'intuition de la nécessité d'une vérité transformatrice. Citons cette formule magnifique, tirée du dernier volume de Dits et Ecrits (p. 535) : "Je sais que le savoir a le pouvoir de nous transformer, que la vérité n'est pas seulement une manière de déchiffrer le monde (...) mais que si je connais la vérité, alors je serai transformé et peut-être sauvé. Ou alors je mourrai, mais je crois de toute façon que c'est la même chose pour moi".
L'évidence de la foi n'est pas objectivable, comme le serait l'évidence scientifique. C'est une évidence transformatrice, une évidence qui se saisit dans l'action : "ce que nous faisons avec évidence" dit Mosebach. Non ce que nous pensons. ce que nous faisons. L'évidence de la foi est essentiellement opérative. Elle procède de l'autorité du Dieu qui, se donnant à nous, nous remet en marche. L'évidence de la foi n'est donné qu'à ceux que la théologie appelle très bien : viatores, ceux qui marchent. Du reste, comme le remarquait saint Paul, ceux qui ne marchent plus, cette foi, ils ne l'ont plus. Ils ont la vision de ce qu'a été leur marche. Vision de gloire. Vision d'horreur ?
Nous autres chrétiens, viateurs, nous sommes tous comme Diogène, obsédés par le mouvement, et nous prouvons la vérité en marchant.
Quant à ceux qui ne veulent pas de cette évidence ambulatoire ? ils marchent quand même, c'est la vie, mais alors, comme dit le Psaume, ils tournent en rond : in circuitu impii ambulant. Michel Serrault avait raison tout à l'heure de trouver ces rondes de l'impie (de l'homme sans foi)... "un peu dérisoire et même pathétique".
"Quant à ceux qui ne veulent pas de cette évidence ambulatoire ? ... ils tournent en rond : in circuitu impii ambulant" - dites vous. On attribue à Virgile ce palindrome: In girum imus nocte et consumimur igni. D'autres disent que c'est du diable.
RépondreSupprimerMerci, Monsieur l'Abbé, d'insister sur ce qu'est réellement la foi. C'est le point d'amarrage de tout le christianisme. Pas de vrai charité sans foi. Tresmontant avait rappelé que la foi n'est pas une croyance subjective, mais l'adhésion de l'intelligence à la vérité. Vous expliquez que la foi est plus qu'une simple connaissance issue de la conscience. Si l'on reprend les catégories de la pensée grecque classique, selon laquelle la personne humaine est composée de soma, psyché et pneuma, peut-on dire que la foi chrétienne a un rapport avec ce pneuma ("souffle"), tout en étant plus que cela ? Cette adhésion, qu'est la foi, consisterait-elle en la faculté de percevoir au plus au point, incluant la dimension sensorielle, jusqu'à saisir l'agapé divin à notre égard, lequel en retour, mettrait en mouvement cette faculté et la guiderait ?
RépondreSupprimerComme nous sommes dans le temps de Noël, puis-je me permettre deux questions sur cet objet central de la foi qu'est le mystère de l'Incarnation ?
Celle-ci comprend la conception et la nativité. Puisque la conception fut immaculée, la Vierge étant elle-même "immaculée conception" et ayant par ailleurs conçu du Saint-Esprit, la nativité ne le serait-elle pas aussi (ou est-ce concrètement une naissance comme une autre, seule la personne née constituant le caractère exceptionnel de la Nativité ) ? Mais peut-être la théologie ne peut-elle pas se prononcer sur ceci .
Enfin, la naissance du Christ renvoie à la chute originelle, puisque Dieu envoie son fils pour nous sauver de cette chute. On sait que Jean-Paul II qualifiait parfois le Christ de nouvel Adam. En ce sens, la venue du Christ sur terre correspond-elle à une restauration de l'humanité d'avant la chute ?
Cher Jean-Vincent : les Pères se sont déjà prononcés sur la nativité qui est une naissance aussi mystérieuse que l'a été la conception puisqu'il y a naissance du Christ sans remise en cause de la virginité de sa Mère... Certains ont parlé de la sortie du Christ du sein de sa Mère comme de la sortie d'un rayon de soleil...
RépondreSupprimerPour la restauration de l'humanité, les prières de l'offertoire de la messe apportent un élément de réponse "O Dieu qui avez merveilleusement créé la nature humaine et qui l'avez plus merveilleusement encore restaurée" donc la restauration nous met dans un état supérieur à celui d'avant la chute et c'est ce que rappelle l'Exultet de la liturgie de la nuit de Pâques... Il faudrait aussi reprendre ce que dit Saint Paul sur le sujet pour vous apporter une réponse complète et sans doute avec les nuances théologiques qui manquent à mes qq lignes...