"La liturgie doit demeurer fidèles aux formes fixées par l'Eglise universelle".
Voici ce qu'a déclaré Benoît XVI à l'audience cette semaine. Ma collaboratrice me signale la reportatio que fait Michel Janva de ce discours dans le Salon beige. Il a raison de souligner cette phrase comme donnant le ton. Elle signifie beaucoup de choses. Sans... extrapoler, je voudrais vous en montrer ici les diverses applications, histoire, si vous voulez de monnayer la riche (et non univoque) pensée du pape.
L'idée qu'il existe des "formes" liturgiques est à elle seule parfaitement (contre-)révolutionnaire dans l'atmosphère délétère du post-concile. Ces formes sont "fixées", elles sont plus vieilles que l'homme en quelque sorte (puisque ultimement elles sont instituées par le Christ). Elles défient tous les comités d'experts souligne le pape, elles n'ont pas à se plier aux désidératas d'une communauté quelconque. Le célébrant n'est pas (comme un artisan ordinaire) celui qui donnerait une forme à une matière (au risque d'imprimer trop sa personnalité propre dans la célébration), mais simplement celui qui transmet une forme... Le véritable art sacré (qui n'est pas l'art religieux comme nous l'expliquait Olga Platonova mardi dernier) est un art au sein duquel il ne revient pas à l'artiste de créer la forme, mais simplement et modestement de la mettre en oeuvre. Ainsi en va-t-il pour l'art de l'icône ou, chez nous, pour le chant grégorien dont les extraordinaires trouvailles mélodiques n'ont d'égal que la sobriété avec laquelle elles sont mises en oeuvre, en continuité avec une tradition vocale et dans l'espace mélodique des modalités grégoriennes.
Qui dira la beauté de la scène de l'annonciation dans l'art religieux ? On y trouve des conventions communes à beaucoup de représentations, la dominante bleu du manteau de la Vierge, qui reçoit l'ange alors qu'elle prie seule. Mais il n'y a pas cette forme que vous retrouvez par exemple dans les icônes représentant la même scène ou le même personnage de saint. Cette forme, antérieure à l'icône et qui lui donne figure, elle existe aussi dans d'autres arts sacrés que l'art de l'icône, je pense, comme je l'ai dit, au chant grégorien, mais aussi sans doute à une certaine théologie romaine. C'est aussi le principe de la liturgie, art sacré par excellence, ars celebrandi, dont les formes ne dépendent pas de telle ou telle personne, fût-elle pape, mais sont en quelque sorte "fixées par l'Eglise universelle", cette Eglise grâce à laquelle dit Benoît XVI, nous sommes non seulement des "Je" tous exposés mais nous constituons aussi, dans elle, un "Nous" protecteur.
Il ne s'agit pas ici de nier que le pape ait pouvoir sur la liturgie de l'Eglise universelle. Le maître de Benoît XVI en matière liturgique, Klaus Gamber, en était presque arrivé là, quant à lui. Il citait cette formule de Suarez "Est schismatique quiconque bouleverse les cérémonies héritées de nos ancêtres". Benoît XVI, quant à lui, théorise le rôle du pape dans la réception du Concile comme dans la réception de la réforme liturgique. Dans sa singularité historique, le pape touche à l'universalité de l'Eglise. "Les formes fixées par l'Eglise universelle" sont d'une part les règles issues de notre histoire, qui sont traditionnelles, et d'autre part les règles fixées par le pape, qui incarne en quelque sorte l'Eglise universelle et se doit à un titre tout à fait spécial de respecter son identité historique et traditionnelle, en même temps que pouvoir lui a été donné pour insérer cette Eglise dans le temps.
On trouve déjà cette double problématique, à la fois traditionaliste et autoritaire dans la perspective d'un Dom Guéranger., expliquant dans tel texte de jeunesse que j'ai eu la chance de rééditer (avec une préface de Grégoire Celier) : la liturgie est la langue de l'Eglise. On ne réforme pas une langue comme on réforme le budget d'un Etat moderne. Ce qui fait la légitimité d'une langue, c'est que tout le monde la parle. Bien la parler c'est la parler selon les critères grammaticaux issus de l'histoire. Mais en même temps, on peut, avec prudence, sur tel ou tel point, la simplifier ou rappeler les critères anciens. C'est un peu ce que fait le pape avec l'ars celebrandi. C'était déjà la pratique de saint Pie V telle qu'il l'explique dans la Bulle Quo primum tempore. D'abord il envoie ses chercheurs dans toutes les bibliothèques et ensuite, avec son autorité papale, il impose comme à jamais valide la forme liturgique qui porte son nom.
Peut-on dire que Paul VI ait fait la même chose ? Hélas non. Sa liturgie représente une véritable "révolution" dans l'ars celebrandi, comme le notait , en ces termes, un liturgiste exempt de toute tentation traditionaliste comme le Père Gy. Mgr Bugnini usant et peut-être abusant du mandat que le pape lui avait donné, est allé très vite en besogne. Pour la France, la réforme liturgique, appliquée dans son esprit plus encore que dans sa lettre, a été une catastrophe atomique. Disons au sens propre : une révolution culturelle. Que faire avec cela ? La même chose qu'avec le Concile. Rappeler les critères traditionnels d'élaboration et d'interprétation. Et valider ce qui a été fait. C'est ce que s'efforce de faire Benoît XVI dans son oeuvre de théologien, comme dans ce discours du 3 octobre. D'un côté il stigmatise l'aventurisme des comités d'experts, en rappelant (par exemple dans la longue préface de Summorum pontificum) les principes éternels d'élaboration liturgique. Et d'autre part, exerçant son pouvoir de pape, il valide la réforme liturgique et la reconnaît comme "la forme ordinaire" de la liturgie romaine. C'est toute l'ambiguïté de sa fonction. Peut-il faire autrement ?
C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les mots très durs de Mgr Müller à l'encontre de la Fraternité Saint Pie X, lors de la visite ad limina de certains évêques français. Pour lui les négociations avec la Fraternité Saint Pie X sont terminées et, dit-il, "c'est une question de vérité". De quelle vérité s'agit-il ? Du pouvoir du pape sur l'Eglise universelle. Par exemple en matière liturgique, on doit dire qu'il y a une légitimité radicale des réformes (en distinguant cette légitimité de l'opportunité qu'il y a à faire des critiques). C'est son droit qu'exerce le pape en réformant la liturgie... Le droit de la Fraternité saint Pie X (et le nôtre) est de critiquer ces réformes mais sans remettre en cause le droit du pape et le droit de l'Eglise. La marge de manoeuvre est étroite ? Sans doute. Mais c'est une question de vérité. L'Eglise est une vieille dame, on n'agit pas avec elle comme avec un adolescent boutonneux. On ne peut pas non plus, au nom de la liturgie et de la théologie sacramentaire, oublier l'ecclésiologie. C'est cela aussi "les formes fixées par l'Eglise universelle".
La forme est... "la loi fondamentale", une sorte de loi qui devrait régir notre manière de dire le fond. Pas moyen d'en sortir. Si ce n'est que la forme est une "langue", donc elle est une loi parlée. Car la grammaire d'une langue fait de cette langue une loi parlée, surtout que les déconstructions opérées par la linguistique ne sauraient s'appliquer au latin, qui a cessé d'être une langue vivante. Et si ce n'est aussi que la forme est réformable, comme la loi est susceptible d'adaptations ou d'abrogations. Pour autant, votre poste nous présente, pour cette Réforme, deux principes: l'un "traditionaliste" et l'autre "autoritaire." Ca ne donne pas vraiment envie d'y aller.
RépondreSupprimerAutre question de base (vous allez dire que mes commentaires sont de plus en plus basiques, donc de plus en plus simples?): la forme, dans le traditionalisme, voire dans cette nostalgie des belles liturgies, peut souvent être vécu et célébré comme une attention aux signes extérieurs, c'est-à-dire comme une version moderne et transposée du pharisaïsme. Je ne crois pas que le traditionalisme ai démontré une grande capacité de se justifier de cette accusation, il pourra certes en rendre la modernité responsable, à moins que la modernité ne décèle dans son combat un vice essentiel.
Je connais la raison de votre propre attachement aux formes, vous me l'avez donnée naguère dans un article intitulé: "Pourquoi je suis resté traditionaliste"! Grosso modo, elles sont un carcan contraignant au sein duquel votre liberté peut s'émanciper, étant donné qu'on ne sort pas de la dialectique... (décidément, on ne sort de rien) entre la liberté et la contrainte. Pour autant, je ne peux m'empêcher de penser que le prêtre est chargé de transmettre le langage du christ. Et, pour ce faire, il y a différents types de vernaculaire: il y a le vernaculaire latin, qui est la langue de ceux qui ont besoin d'entrer dans une liturgie du silence et des Mystères (c'est en quoi le latin peut être un vernaculaire); il y a le vernaculaire très écrit des traductions françaises de la liturgie de Paul VI et, j'en suis sûr, il y a le vernaculaire pour les gens simples, qui n'aiment pas le caractère trop littéraire de l'expression ni le caractère ultrarépétitif des rites, et qui consiste en une espèce d'adaptation liturgique "en français courant", qui oblige le prêtre à une "créativité liturgique", défendable dans la mesure où le prêtre reste fidèle, dans son adaptation, à "ce que veut faire l'eglise". vous me direz que l'essentiel, dans ce qui ne relève pas de la liturgie de la Parole, mais de la célébration du "sacrifice de la messe", n'est pas de se faire comprendre. Sauf que cette dimension d'incompréhensibilité n'est accessible qu'à une élite, et le christ n'a pas offert la sainte cène pour une élite seulememt . De plus, je crois qu'il faudrait se demander si un formalisme (qui n'est pas nécessairement le monopole du traditionalisme) ne cache pas une certaine superstition. Si telle parole n'a pas été prononcée, alors la messe est invalide. Mais si l'intention de l'eglise n'a pas été tronquée, si un équivalent de cette Parole a été employé, pourquoi la messe serait-elle invalide?
Je terminerai en émettant quelques doutes si c'est à bon escient qu'on parle de "mélodie" dans le chant grégorien. Je ne recourerai pas pour le nier à la distinction mélodie-monodie, une monodie restant une mélodie. Mais la nature du plain-chant est l'ornementation qui tourne autour de sa dominante, pour exalter une Parole contemplée, alors que la nature d'une mélodie est de séduire par elle-même et, dans le meilleur des cas, de médiatiser le message par une émotion musicale à part entière, très et peut-être trop significative.
Monsieur l'abbé, j’admire vos deux dernières phrases. Je vous voyais déjà entrer dans le décor. Grâce à Dieu, vous demeurez sur la route !
RépondreSupprimerUn détail : universel, bien entendu, s’applique à tous les hommes, au cosmos, à l’univers entier. Pas à tous les temps. Il y a un mot pour cela : intemporel ; l’éternité, vous me l’accorderez, c’est une autre histoire, quoique votre propos soit ambigu (« ces formes… ultimement sont instituées par le Christ »). Le Christ aurait-il accordé à la liturgie romaine selon saint Pie V le label d’« Eternité » ? Si c’est votre pensée, montrez-moi le Décret divin qui l’affirme !
La marge de manoeuvre est étroite, mais cette ligne de crête est bien la seule qui fait la voie de la Catholicité. La question liturgique est aussi une question - je dirais même: surtout ! - une question ecclésiale. Dans les dérives liturgiques, mais, peut-être aussi, dans certaines réactions (légitimes en soi) aux désordres, on oublie le sens de l'Eglise. La liturgie nous agrège à l'Eglise, le Corps mystique du Christ. Elle nous configure au Christ. Ne l'oublions-nous pas ? Notre sens de l'Eglise est-il renforcé ? La liturgie n'est pas un acte prive où un distributeur de sacrements, voire de choses sacrées: elle doit aussi, mais surtout nous rendre davantage catholiques.
RépondreSupprimer...nous rendre davantage catholiques?
Supprimermais c'est loin d'être le cas!!!!!!!!
CQFD
Tout à fait d'accord. J'ai découvert la liturgie traditionnelle par hasard, grâce à la providence devrais-je dire, et je ne m'en passe pas. Et pourtant je suis issu du caté des années 80, celui de "Je crois en Dieu qui chante..." qui m'a fait fuir pendant dix ans les bancs de l'église catholique.
RépondreSupprimerPar fidélité à ma paroisse je suis un peu forcé de suivre les deux rites, en me ressourçant quand je le peux dans une chapelle desservie par l'institut du Christ roi Souverain prêtre, et j'ai tendance à corriger, à greffer, de manière toute mentale et silencieuse, certains aspects de la messe tridentine sur la messe dite Paul VI, comme pour compenser ces lacunes (l'offertoire simpliste du "pain de de vie" par exemple, et l'abbé de Tanouarn m'a appris que l'on ferait mieux de dire "Le seigneur est avec vous" plutôt que "soit avec vous"), je me demande si ce n'est pas le cas de beaucoup de catholiques. Par réalisme, et compte tenu des habitudes prises, on ne peut pas je crois envisager de restaurer la messe tridentine, puisque la "nouvelle messe" est bien ancrée dans les paroisses, on peut juste lui faire une concurrence, loyale s'entend. Et je ne suis pas de ceux qui se réjouissent, par un catastrophisme qui n'a rien de chrétien, de la désertion des églises, d'autre part les communautés nouvelles ont apporté, c'est indéniable, des choses intéressantes. En revanche Vatican II ne me pose pas de problème, et notamment la question de la liberté religieuse, qui me semble le fruit du bon sens. Les arguties ressassantes tradi contre tradi (genre Fecit) me laissent perplexes parfois.
En somme, il faut accepter les fruits de la révolution, juste parce qu'elle a eu lieu ... "de ces mouvements qui nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs" ? ... et le Pape ne peut que donner l'imprimatur à quelque chose qu'il ne peut maîtriser. perspective super motivante en effet ...
RépondreSupprimercomme Basile, je suis devenu fidèle de la liturgie traditionnelle. le retour, le détour ?, à la liturgie "ordinaire" m'est devenu pénible. si les "formes" étaient respectées, la liturgie traditionnelle ne serait-elle pas plus accessible en France ? il y a effectivement contradiction, en tout cas différence, entre la liturgie et l'ecclésiologie, au sens où l'église de France ne respecte pas les directives du Pape. alors pourquoi les Tradis devraient-ils être les seuls à faire leur kowtow, quand l'église en France se montre si peu respectueuse des formes ?
"C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les mots très durs de Mgr Müller à l'encontre de la Fraternité Saint Pie X, lors de la visite ad limina de certains évêques français. "
RépondreSupprimerPouvez vous nous donner vos informations ?
"c'est une question de vérité" le terme est nouveau dans l'Eglise Neo Catholique, je croyais qu'elle n'était plus revendiquée depuis Vatican II et la liberté religieuse ?
Quelles sont les difficultés qu'évoque Mgr Muller ?
Même si Mons. Fellay accepte le Préambule doctrinal et signe l'accord pratique proposé para Rome, et que par la suite, la forme extraordinaire de la célébration de la messe soit mise de côté et disparaisse sous le coup du nouvel ordo Missae imposé por Benoît XVI, il y restera toujours un bon nombre de prêtres inflexible -sédévacantistes ou non- qui continueront à célébrer la Messe de toujours ad vitam aeternam
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