mardi 11 décembre 2012

Baroques et catholiques

Au début des années 90, pour donner une ligne à la revue Certitudes, j'avais écrit un manifeste baroque. C'est à ces quelques lignes que me renvoie impérativement le dernier livre d'Eugène Green, Les Atticistes. Avant de vous parler de ce livre, qui me semble important, je me permets de mettre sous vos yeux ce manifeste intitulé Pourquoi nous sommes des catholiques baroques, que j'ai publié dans chaque numéro de Certitudes de 1993 à 2005.
"Baroque ? Catholique ? Les deux mots jurent. Ils semblent incompatibles, comme l'enfant sage ne sera jamais l'ami du turbulent. Il ne s'agit pas là seulement de mémoire et d'histoire. Ce qui est en jeu, c'est une manière d'être, un style, une forme. Si l'on met dans le baroque toute la fantaisie et toute la rigueur, si l'on voit dans l'Age baroque l'alliance réussie de la liberté et de la fidélité, il faut affirmer que cet âge est plus qu'une époque, parce qu'aujourd'hui il doit être nôtre. Comme catholiques, nous refusons l'opposition stérile entre le dogme et la vie, entre l'élan et l'attachement. Ressuscités en espérance, nous prenons tout : c'est baroque"
Dans les années 90, il était impossible d'être catholique sans épithète complémentaire. J'avais voulu choisir le mien, pour que l'on ne m'en colle aucun autre : catholique baroque, alors que j'écoutais Lully et Charpentier toute la sainte journée, cela m'allait. Aujourd'hui le culte des épithètes supplémentaires tend heureusement à diminuer. Se dire "catholique baroque" (comme Jacques Perret se disait volontiers catholique mérovingien) cela est devenu moins urgent. Mais non moins important.

Plus que jamais, la question du style est fondamentale. Rien à voir avec un accessoire. A l'heure de la nouvelle évangélisation, le style fait le prêtre, son efficacité, sa marque. Christoph Theobald, jésuite éminent, envisage, à la fin des fins, le Concile comme un style. Ce qu'il défend ce n'est pas le Concile mais le style du Concile (chacun ses goûts !). Eh bien : style pour style, je préfère le baroque : style tout à la fois merveilleusement libre et éminemment formel, voyez les sculptures du Bernin, ces dentelles de pierre, si délicates et si fortes, le rapt de Proserpine ou l'extase de sainte Thérèse.

La puissance du baroque c'est de garder les contraires ensemble, de manifester combien la finesse va à la force, combien l'attachement produit la liberté... Dans Parier avec Pascal, j'ai essayé de montrer que c'est le baroque de la "vérité contraire" qui sauve Pascal du jansénisme, où tombe le très scolastique et doctrinaire Arnauld, mal gré qu'il en ait.

En lisant Les Atticistes, le dernier roman, qu'Eugène Green vient de publier chez Gallimard, j'ai été saisi par l'extraordinaire défense du baroque qu'il propose. Je vous en reparlerai. Mais n'hésitez pas à vous procurer ce livre, bien plus sérieux qu'il ne s'en donne l'air, bref baroque!

15 commentaires:

  1. Pourquoi demander ce qu'en pensent les spécialistes français du baroque et les spécialistes du baroque français.

    Est-ce ce qu'attendent nos contemporains qui -faut-il le rappeler - se mettent en quatre dans nos paroisses pour aider les malheureux ?

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  2. Il faut absolument que vous visitiez la Tarentaise et la Maurienne : la Savoie est bourrée d'églises et de chapelles baroques magnifiques ...

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    1. Certes, mais la Savoie n'est pas la France. Ce que l'on appelle - bien à tort - le Baroque Français n'a rien à voir. Je vous renvoie aux écrits de Pierre Rosemberg.

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  3. Sur France Culture j'ai entendu Eugène Green déclamer un extrait d'un sermon de Bossuet. C'était grotesque. Aussi ridicule que les chanteurs interprétant les Leçons des Ténèbres dans la prononciation latine usitée en France à l'époque et que personne ne comprend. C'est d'un snobisme vraiment étriqué qui plait au petits marquis de notre temps.

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  4. J'espère qu'il existe des prêtres tradi qui ne soient fans de baroque, sinon on sera obligé ad vitam aeternam de supporter ces chasubles baroques qui ressemblent à des tablier de cuisine et ces aubes en dentelles du plus mauvais goût dont elles n'ont plus d'aubes que le nom.
    Au secours !

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    1. Je partage votre avis, vous voulez semble-t-il par ler des chasubles "boites à violon" qui ne sont nullement baroques mais qui datent du moyen-Age où elles ont succédé aux chasubles dites "gothiques" qui ressemblaient à nos chasubles modernes. Les aubes en dentelle ne sont guère esthétiques. La tenue des prêtres tradi me fait penser à des mauvais opéras comique. Ces aubes en dentelle me font irrésistiblement penser à des vêtements féminins de dessous plutôt qu'à des ornements liturgiques. Et dire que ces gens sont hostiles à l'ordination des femmes qui porteraient mille fois mieux mieux ces tenues.

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    2. Il y a 60 ans, au baccalauréat le sujet de Français était: "dites pourquoi le XVIII siècle est appelé siècle des Lumières". Mon devoir, tout à fait laïc, consista à démontrer que le siècle précédent dit "Baroque", calomnié depuis Voltaire et Diderot jusqu'à Mallet et Isaac, fut en réalité l'apothéose de la Littérature et l'explosion des Arts et des Sciences. J'en donnais tous les exempples, sans me priver de citer la laideur obscurantiste issue des "Lumières"... en littérature, Philosophie et même dans les Sciences. Je suis heureux que l'adjectif qualificatif "baroque" soit petit à petit débarrassé de la défroque péjorative dont la Révolution l'a revêtu.

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    3. Le saint Curé d'Ars commandait les plus belles soieries et les plus belles dentelles de la ville de Lyon pour, en hommage à la Sainte Eucharistie, en parer le prêtre qui montait à l'autel. Lui-même, pour son propre corps, se contentait d'un galetas et de soutanes usées, au mieux !
      Lire ces remarques sur un site de réflexion catholique, se révèle... pénible !

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    4. Ces prêtres fanas de dentelles pourraient les porter avec des meggins, ce serait assez croquignolet. Après tout au temps du baroque les ecclésiastique portaient des perruques poudrées voire même pour des ecclésiastiques illustres comme le Cardinal de Fleury revêtaient carrément des vêtements féminins. Si les LGBT savaient cela !

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  5. Je signale à l'Abbé de Tanoüarn et à tous les fans du baroque que se tient actuellement au Louvre jusqu’en février 2013. Une petite exposition fort émouvante sur un artiste baroque Ukrainien Johan George Pinsel ( l’entrée fait partie du Louvre) sur un artiste baroque Ukrainien, qui a vécu au 18 siècle en Galicie
    Entre 1945 et les année 1980 L’Ukraine a vu ses églises catholiques laissées délibérément à l'abandon ou saccagées ; Il fallu toute la persévérance du conservateur du Musée de Lvov (anciennement Lemberg du temps de l’Autriche ) Boris Vornitskey probablement un orthodoxe , qui vient juste de mourir pour sauver de la destruction cet art sacré , cherchant une à une les statues mutilées dans des décharges ou à l’abandon et redonner à Pinsel la stature auquel il a droit ; Par exemple Les statues entourant le maitre autel d’une église d’une petite ville de la région sont très expressives, je dirais un baroque matinée d’un zeste de Mathias Grünewald.
    Il est donc très émouvant de voir cette exposition pour admirer bien sûr ce baroque et comme témoignage toujours vivant exhumé de notre passé de notre foi.
    Jean-Paul II est né pas loin de là , au sud de Cracovie, son père était sous officier de l’armée de François Joseph.

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  6. Vous avez dit Baroque ?
    Je signe tout de suite !

    J'aime les courbes des églises baroques. J'aime lire les oeuvres de Bossuet. J'aime la politique vue par Jean Bodin.
    J'aime la Monarchie absolue SOUMISE au Droit Divin.

    Et que dire de cette musique qui transcende l'âme, qui part de l'intérieur viscéral pour élever l'esprit vers Notre-Seigneur.

    Le baroque ? C'est ce qui m'aide à vivre dans ce monde duquel on a tant retiré la présence de Dieu, et dans lequel on voudrait enlever encore du peu qui reste.

    Le baroque c'est la négation de toute l'idéologie à l'origine des Lumières (le mercantilisme, le colbertisme, qui ont fini par accoucher du libéralisme et partant, du capitalisme).
    Le baroque, c'est la dernière doctrine non entachée de cette idéologie qui a tant fait de mal à la Fille Aînée de l'Eglise.

    S'il est un prêtre qui incarne le baroque à lui tout seul, c'est celui que ses ouailles avaient surnommé "Le Bossuet du XXème siècle", à savoir Monsieur l'Abbé Chanut.
    Ses sermons, on les croirait tout droit sortis de la plume d'un prêtre du XVIIème siècle !

    Le baroque ? Je signe tout de suite !

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    1. Cher Monsieur l'Abbé,

      Vous avez dit "baroque"? Philippe Beaussant n'est pas loin.

      Vous vous dites "baroque"?

      Pourquoi pas tout simplement catholique?

      Ah! Ces étiquettes (baroque, classique, dans le domaine des arts; moderniste, libéral, progressiste, traditionnaliste ou bien encore intégriste pour la religion) qui ont l'avantage de satisfaire un discours en apparence rigoureux, mais qui figent irrémédiablement la réalité. Coller une étiquette, c'est vouloir faire correspondre une réalité à un concept au risque de la dénaturer. Cela revient à la faire renter de force dans un corset. Non, une oeuvre d'art, c'est infiniment plus riche et divers que le fait de se contenter d'énoncer quelques principes esthétiques qui relèvent d'une théorie appelée à disparaître le jour où une autre viendra la supplanter.

      Lully, Charpentier, compositeurs baroques? N'est-ce pas là dogmatiser? Ce qui différencie en partie ces deux compositeurs, c'est que l'un est un courtisan préoccupé de faire oublier ses origines et qui crée un style français, auquel on pourrait reprocher son académisme tant il se répète, un style imité à l'excès par la génération Bach-Haendel-Telemann dans leurs suites de danses (cf. les 4 suites pour orchestre de Bach, appelées aussi Ouvertures à la française). Charpentier, lui, fut durablement influencé par la musique de Carissimi. Témoins de cette "italianité" dans l'oeuvre du compositeur: les oratorios, les histoires sacrées et, fait original par rapport à Lully, des compositions instrumentales dont une superbe sonate (Sonate H 548 étudiée par Gaëtan Naulleau), un pan de son oeuvre que l'on a trop tendance à négliger. Pour saisir toute la richesse, l'originalité de Charpentier, on se reportera à l'ouvrage que Catherine Cessac lui consacra en 1988 chez Fayard. Pour une interprétation de cette fameuse Sonate à huit, http://www.youtube.com/watch?v=XCm63ZED7v8

      l'éternel pinailleur

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    2. A l'éternel pinailleur
      qui semble ne pas savoir que le "style baroque" existe bel et bien et qu'il n'est pas qu'une étiquette temporaire, je puis affrimer sans conteste que lorsque je me trouve face à une église, je sais bien rien qu'à la regarder qu'elle est baroque ou non.
      Ce ne sont pas là des inventions, mais correspond au contraire à des canons bien précis.
      Et ce qui vaut pour l'architecture, vaut également pour la musique, les lettres, etc.

      Et il me semble qu'en matière d'élévation vers Dieu, il y a plusieurs chemins, et chacun suit celui vers lequel le porte son inclination. Il n'y a rien de condamnable à suivre des chemins différents en fonction de sensibilités différentes pour aller vers Notre-Seigneur et le louer de la façon qui nous semble le plus élever notre âme.

      Si Dieu avait voulu que nous ne suivions qu'un seul et unique chemin d'élévation spirituelle, alors Il nous aurait créés tous égaux, avec des sensibilités identiques...

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  7. A propos du cher Philippe Beaussant (qui vient de faire paraître un livre remarquable sur Christine de Suède et la musique) et de la controverse sur le baroque il faut relire son remerciement lors de sa réception à l'Académie française et le discours de réception de Pierre Rosenberg. A voir sur le site de l'Académie.

    Ceci dit wagnérien passionné peu m'en chaut. Jen profite pour vous signaler la mort de Lisa Della Casa qui fut la plus grande interprète de Richard Strauss du siècle et qui a réalisé une Arabella fabuleuse avec le regretté DFD.

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  8. Merci,
    simplement,
    humblement,
    contemplatif

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