samedi 11 avril 2020

Collecte

Après le chant du Gloria, le célébrant embrasse l'autel et chante ou dit de nouveau Dominus vobiscum. Nous avons déjà consacré un article à sa traduction (voir plus haut). Je n'y reviendrai plus d'autant que si je compte bien, au cours d'une seule messe, cet échange entre le prêtre et l'assemblée a lieu huit fois. Chaque fois il s'agit d'avertir qu'il va se produire un rite liturgique important, à travers lequel, d'une manière ou d'une autre le Seigneur est présent : le Seigneur est avec nous.

Oremus : Prions. Cette prière, qu'élève le prêtre en langue latine, est celle de tous, elle est prononcée dans la langue de catholiques. En général elle résume efficacement l'esprit de la fête célébrée d'où son nom de "collecte" : elle rassemble toutes les prières de tous, chaque jour, raison pour laquelle elle est reprise dans la liturgie des heures, tout au long de chaque journée. Ces oraisons, ces prières sont typiques de la liturgie romaine. Certaines remontent très haut dans le temps de l'Eglise. Elles mettent en oeuvre assez souvent un rythme binaire qui se présente comme le gage de l'efficacité des orants. Les prières romaines ne sont pas sentimentales (ou rarement) elles sont impératives, ce sont les prières de l'Eglise, l'Epouse du Christ qui est toujours exaucée car sa prière, sans mélo, est juste. Elle s'adapte au temps de l'année où elle est prononcée, en exprimant le coeur de l'Eglise.

Comme pour l'introït, je vais commenter spécialement la collecte du jour de Pâques, qui est un bon exemple de cette prière, par sa concision d'abord, mais aussi par son caractère oratoire. Il existe en latin un vieux mot pour dire la prière le mot prex (au pluriel preces). Les chrétiens ont toujours préféré le mot oratio, qui signifie d'abord prise de parole. La collecte, prière chrétienne, est aussi une prière oratoire, une oratio, une prise de parole rhétorique. Quand on s'adresse à Dieu, on trouve les mots, on les enchaîne les uns aux autres, on en fait un discours fort, un discourt gagnant, car Dieu se laisse fléchir par nos supplications, comme dit Jésus dans l'Evangile. Cette force rhétorique, censée agir sur le coeur même de Dieu, renforce la foi de chacun. Elle est typique de la tradition latine. Je l'écris donc d'abord en latin, je la traduis ensuite, en restant proche du mot à mot.

"Deus, qui hodierna die, per Unigenitum tuum, aeternitatis nobis aditum, devicta morte reserasti, 
vota nostra, quae  praeveniendo aspiras, etiam ajuvando prosequere"



"Dieu, aujourd'hui, par ton Unique engendré, la mort ayant été vaincue, tu nous as ouvert l'accès à l'éternité, nos voeux, dont, par ta grâce prévenante, tu as fait un souffle en nous, accompagne-les aussi par ton aide".


La traduction n'est pas à la hauteur de l'original. On constate néanmoins trois choses : l'impératif "prosequere", qui signifie accompagne, remplace avantageusement les tournures et les postures au subjonctif : fasse le ciel que... S'il pouvait n'y avoir plus de pauvre [contradiction flagrante avec l'Evangile de Jean chapitre 12 : "Des morts vous en aurez toujours avec vous !"], ces formules sirupeuses qui expriment trop souvent nos prières et les trahissent par leur jus pieux, au lieu de les exprimer..

Deuxième chose : l'ordre de la prière. Il y a trois personnes dans la sainte Trinité, égales entre elles et distinctes par leurs relations d'origine, pourtant, il y a une seule manière de les prier, c'est de toujours s'adresser au Père, par le Fils dans le Saint Esprit. Au moins dans les oraisons qui ne sont pas trop récentes, c'est ainsi que l'on s'adresse toujours au Père d'abord, par le Fils ensuite dans le Saint Esprit enfin. Dans cette optique spirituelle, il serait absurde de croire qu'il vaut mieux prier le Saint Esprit pour être exaucé que se contenter du Père. Aller chercher dans le Saint Esprit ce que l'on ne trouverait pas dans le Père ou dans le Fils, c'est une tendance qui existe depuis le Moyen âge, depuis Joachim de Flore prophétisant l'advenue d'un âge du Saint Esprit. Dans l'encyclique Divinum illud munus, Léon XIII refuse d'instituer une fête du Saint Esprit, c'est-à-dire qu'il refuse l'idée que l'on puisse, au motif que l'on se sentirait négligé par le Père, aller chercher du côté du Fils ou du côté du Saint-Esprit. Le christianisme est un monothéisme, ne l'oublions pas ! Et pratiquons, comme dans la prière publique de l'Eglise, cet ordre dans la prière qui est capital et qui se retrouve non seulement, comme ici dans le texte de la prière, mais dans la closule ;."Per Dominum nostrum JESUM CHRISTUM qui TECUM  [avec Toi, avec le Père] vivit et regnat,  IN  UNITATE SPIRITUS SANCTI, Deus [ce vocatif récapitule les trois personnes divines]...

Troisième chose : les sonorités se répondent et leur rythme est un appel à la prière, particulièrement sensible pour le prêtre, mais aussi pour l'assemblée pour peu que la prière soit correctement prononcée et rythmée. Les collectes sont de vraies poèmes en prose, collectées justement par Grégoire le Grand, qui a fait un livre de cette collecte des collectes, elles ne donne vraiment leur jus, leur rythme, leur puissance intimative - et non pas seulement optative - que dans la langue latine. S'il y a un texte à la messe qu'il ne faut pas traduire en public, c'est la collecte ! On attend un nouveau Grégoire le Grand pour donner à la prière, dans les langues vulgaires, ce rythme et ce parallélisme qu'il sait lui imprimer avec bonheur. La foi doit s'exprimer avec autorité, ou alors on la tait, mais comme disait Pascal "Jamais les saints ne se sont tus". Pour la collecte donc, mieux vaut parler latin et ne pas être tout à fait compris d'un public qui reconnaît simplement un mot ici ou là (mais c'est déjà ça, reconnaître le mot misericordia par exemple) que de faire du jus pieux sous prétexte de traduction, en déshonorant la prière publique de l'Eglise, ce chef d'oeuvre.

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