vendredi 24 avril 2020

"Cette hostie sans tache"

Recevez Père saint Dieu tout puissant et éternel, cette offrande immaculée, hanc immaculatam hostiam. Le mot hostia ne signifie pas que le prêtre puisse offrir ici par anticipation l'hostie consacrée. Consacrée, elle ne l'est pas. Le mot "immaculata" sans tache ne renvoie pas à un qualificatif divin, mais surement à l'agneau sans tache que les Hébreux devaient offrir, pour la Pâque, non sans avoir peint une croix avec son sang à l'entrée de leur maison, pour que l'ange exterminateur, celui qui constitue la dixième plaie d'Egypte ne pénètre pas et ne tue pas les premiers nés dans cette maison, marquée du sang de l'agneau.

L'hostie, la victime, c'est l'agneau sans tache, que les Hébreux offrent pour la Pâque, en le mangeant debout, comme en voyage, préparé avec des herbes amères. Nous n'avons pas trace de ce rite au cours de la dernière Cène, mais les artistes l'ont souvent représenté, et pas pour rien. Il eut été invraisemblable que le Christ n'ait pas "mangé la Pâque" avec ses apôtres. On ne nous parle plus de l'agneau pascal parce que rétrospectivement, c'est le Christ qui est devenu l'Agneau de Dieu, au corps livré et au sang versé. Mais certainement l'offrande de l'agneau pascal a eu lieu, le second testament ne supprime pas le premier mais l'accomplit (Matth. 5. Héb. 7). Bien sûr, à la fin du repas, l'agneau pascal, cela est clair pour tout le monde, c'est le Christ, "l'agneau de Dieu" désigné par Jean Baptiste au début du quatrième Evangile. Mais la cérémonie juive sert d'offertoire en cette première messe. C'est pourquoi d'ailleurs la nouvelle liturgie a choisi un bénédicité juif comme formule d'offertoire. Malheureusement cela a ôté toute dimension sacrificielle à l'offertoire, comme nous le disions dans le post précédent. Mais ce choix n'est pas sans une belle signification historique.

Cette hostie immaculée dont il est question au début de notre offertoire, c'est l'agneau sans tache et c'est plus largement toute offrande pure, cela concerne depuis Abel (que nous retrouverons dans le Canon de la messe) tout offrant qui offre sa vie ou quelque chose de sa vie à Dieu avec un coeur pur. Mais qu'est-ce qui fait que l'homme, que tout homme (Abel, l'enfant d'Adam et Eve après le péché originel) peut ainsi offrir un sacrifice immaculé au Seigneur ? Tout homme est pécheur. Mais la pureté de son coeur le rend agréable au Seigneur : moi, ton indigne serviteur, je peux te faire mon offrande sans crainte, car tu es mon Dieu, le Dieu vivant et vrai, qui accueille toute vie et toute vérité. La formule célèbre de saint Paul aux Philippiens résonne avec force en chaque offertoire, évoquant l'offrande sans tache de l'homme à Dieu. "Enfin frère, tout ce qu'il y a de vrai, de noble, de juste, de pur, d'aimable, d'honorable, tout ce qu'il peut y avoir de bon dans la vertu et la louange humaine, voilà ce qui doit vous préoccuper" (Phil. 4, 8).

Le ton de saint Paul tranche certes avec l'humilité du célébrant dans l'Offertoire (indignus famulus tuus). Au moins nous rappelle-t-il que les valeurs de l'homme naturel, prises en elles-mêmes, ne sont pas contradictoires avec les oeuvres surnaturelles, mais les représentent dans l'ordre fini. On pourrait hasarder l'idée (avec Teilhard) que, à chaque offertoire, l'Eglise "experte en humanité" offre ce qui est beau dans la nature humaine, demeurée intègre malgré le péché originel. Ce sacrifice est certes  toujours imparfait ; il est donc incomplet. Il en appelle au sacrifice parfait "hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam", le sacrifice du Christ, "pain saint de la vie éternelle et calice du salut définitif".

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