jeudi 2 avril 2020

Dominus vobiscum

A plusieurs reprises au cours de la cérémonie le prêtre et le peuple échangent leur salut : "Le Seigneur est avec vous - Et avec votre esprit". Chacun à sa place mais l'un et l'autre - le ministre et le peuple - présents à l'action sacrée où le Christ nous est donnée.

C'est une vieille erreur de penser que Dominus vobiscum se traduit à l'optatif, comme un voeu : "Le Seigneur soit avec vous". Cette vieille erreur a proliféré aujourd'hui où nous souffrons d'une liturgie tout entière à l'optatif, je veux dire au subjonctif, le mode irréel par rapport à l'indicatif, mode du réel. Personnellement je dois dire, je n'en peux plus de cette liturgie à l'optatif, portant tout un tas de voeux tous plus impuissants les uns que les autres. La prière universelle, ajoutée le dimanche dans la nouvelle forme liturgique, est l'archétype de cette liturgie au subjonctif, qui est faite de voeux... pieux : pour que disparaisse la faim  dans le monde. Pour que cesse le réchauffement climatique etc. ! J'avoue que, revenant à l'enfant que j'ai été, ces prières universelles sont à l'origine de mes premiers doutes sur la foi.

Si la liturgie a un sens , c'est de rendre présent le mystère caché depuis la fondation du monde, mystère de salut, mystère de grâce. Présent non pas par le voeu des croyants, bien impuissants en cette occurrence, mais par la volonté de Dieu. Si l'on se place dans l'esprit général de la liturgie, il faut donc traduire Dominus vobiscum non pas comme l'expression d'un désir de la présence de Dieu, mais comme le constat de cette présence, que la liturgie réalise : "Le Seigneur est avec vous". C'est parce qu'il est là et qu'il nous attend que nous sommes réunis, et non l'inverse. Il est vrai de dire, comme on pouvait le lire dans la préface donnée au nouveau missel, dans le fameux article 7 du document Missale romanum : "Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom je suis au milieu d'eux". Mais c'est vrai pour toute prière privée ou familiale, c'est vrai aussi pour les réunions de prière. En revanche, dans la prière liturgique, c'est l'inverse. N'est-ce pas le but premier de toutes les formes liturgiques que de rendre présents les contenus du Mystère ? Et n'est-ce pas pour cette raison que nous nous réunissons autour de l'eucharistie et qu'elle nous manque tant durant ces périodes de confinement ?

Cette présence intentionnelle que crée la liturgie de l'Eglise n'est pas (pas encore !) le miracle de la présence réelle et substantielle du Christ dans l'eucharistie ; cette présence, désignée par le Dominus vobiscum, est purement spirituelle ; elle ne se réalise pas par la transsubstantiation du pain et du vin. Elle est mentale mais déjà objective, comme est objectif le mystère du salut qui se manifeste sacramentellement, non pas selon un ordre humain mais selon la volonté du Christ total, qui est l'Eglise. C'est cette volonté, c'est la tradition liturgique, pour tout dire, qui rend objective cette présence spirituelle et nous permet de comprendre pourquoi, avant même la consécration, "le Seigneur est avec nous".

En faveur de cette traduction à l'indicatif, il y a non seulement cet esprit, ce génie de la liturgie, qui est de faire toucher du doigt (si j'ose dire) la présence de Dieu, mais il y a aussi l'origine biblique de cette formule, en hébreu Emmanuel, Dieu est là, Dieu est avec nous. Il faut citer Isaïe 7, 14 pour comprendre ce qui est en question dans ce salut liturgique : "Le Seigneur vous donnera un signe. Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils et vous l'appellerez du nom de Dieu avec nous [Emmanuel]". C'est bien sûr par et dans le Christ, Dieu fait homme, que l'on peut dire : Dieu est avec nous. Et on ne le dit pas comme un voeu. Le signe donné n'est pas de l'ordre d'un souhait mais d'un fait car c'est d'un fait dont il s'agit, celui de l'incarnation du Verbe de Dieu dans une nature humaine et de sa présence sacramentelle au milieu de nous.

Sujet connexe mais pas annexe : la virginité de cette mère miraculeuse. Quant à la manière dont il faut traduire l'hébreu betula ou le grec parthenos, dans ce verset d'Isaïe, disons que dans une société traditionnelle les jeunes filles sont vierges et que la question ne se pose pas. On peut employer indifféremment les mots "jeune fille" ou vierge", en comprenant que le signe donné par le prophète est la virginité de cette femme qui enfante. Quoi d'autre ?

1 commentaire:

  1. C'est tout le symbole, l'abbé, de la déviation en matière religieuse, quand on pose son interprétation à la place de l'interprétation.
    Il en va de même pour le commandement : " tu ne tueras pas " dont l'origine et la seule interprétation est : " tu ne verseras pas le sang innocent "

    RépondreSupprimer