Rien de tel à craindre avec son homonyme Philippe (dont je me suis laissé dire par un Lorrain qu'il était originaire du même village en Lorraine que Paul, que Camille et que tous les Claudels du monde). Qui a lu La petite fille de Monsieur Linh sait quelle émotion intense Philippe Claudel sait mettre dans des textes denses. Sans jamais tirer à la ligne.
Si j'en parle sur ce Blog, ce n'est pas seulement parce que je l'aime (ce qui après tout ne regarderait que moi), c'est parce qu'il me semble que la critique a fait une belle erreur sur le sujet de son film. Il y a longtemps que je t'aime, c'est l'histoire de deux soeurs Léa et Juliette, (Elsa Zylberstein et Kristin Scott Thomas) qui se retrouvent, alors que l'une des deux vient de faire quinze ans de taule pour le meurtre de son fils. La critique imbue de correctness imagine immédiatement que la question est de savoir si cette femme (Kristin, Juliette dans le film) n'était pas quand même un peu innocente, si sa culpabilité n'était pas amoindrie par un état pulsionnel particulier, si on pouvait vraiment accuser de meurtre une mère etc. (je ne vous en dis pas plus, il faut que vous alliez voir) Bref, Télérama et Le Monde critiquent vertement Claudel, parce qu'il ne traite pas bien ce fait divers, qu'il ne l'exploite pas jusqu'au bout comme fait divers.
L'auteur, en même temps que son film, a publié un livre, où il s'explique par avance : Petite fabrique des rêves et des réalités. Il nous dit clairement que le fait divers ne l'intéresse pas. C'est un prétexte. Le vrai sujet n'est pas : les quinze ans de tôle de Juliette. Ce n'est pas cette culpabilité là (juridique, humaine) qui intéresse Claudel. Dans l'abécédaire qu'il a composé l'article culpabilité est intéressant. Pour lui les coupables ne sont pas forcément ceux que désigne la Justice. Les parents qui renient leur fille et font comme si elle n'avait jamais existé sont à tout prendre aussi coupables que celle qui prépare l'injection mortelle pour son fils. Claudel romancier est comme Dieu, sondant les reins et les coeurs. C'est cette Justice, justice du romancier créateur de ses personnage, justice de créateur, justice divine sans le nom, à laquelle il en appelle.
Au fond, le message de Claudel, c'est : on est tous coupable. Et cela ne signifie pas que personne n'est coupable et que tout est bien, qu'on est tous innocent. Les âmes grises pouvaient encore laisser penser que tous coupables était un équivalent de tous innocent. Dans Il y a longtemps que je t'aime, la question explicitement évoquée lors d'une scène sur les romans de Dostoievski, c'est celle d'une rédemption possible pour le personnage principal. Juliette va-t-elle se sortir de son marasme et de sa culpabilité ?
Car le vrai problème est ce marasme, qui l'a d'ailleurs certainement conduite au crime : cette Juliette, depuis le début de son histoire (depuis son divorce) est en quelque sorte absente à elle-même. Le drame de cette histoire est celui de cette absence, de la culpabilité qu'éprouve Juliette, parce que, comme on le découvre petit à petit, elle s'est littéralement réfugiée dans sa solitude. Divorce, premier traumatisme. Maladie mortelle de son enfant, deuxième traumatisme. Cet enfant, elle l'aime à a folie. Elle va le perdre, elle est médecin, elle sait que c'est inéluctable. En le tuant, elle se suicide (moralement) elle-même. Jugement. Elle ne dit pas un mot pour se défendre. Puis c'est la prison, 15 ans, l'isolement profond de quinze ans sans une visite, la mort civile, tout cela, elle l'a voulu : que restait-il d'autre pour elle ? Comment pouvait-elle vivre autrement son absence à elle-même ? C'était ça ou la mort, ça comme une espèce de mort.
C'est sa soeur, c'est l'amour de sa soeur Léa (Elsa), c'est l'intérêt que lui porte Michel qui lui permettront de revenir à elle-même, de se retrouver. J'allais dire : de se convertir à la vie. Les deux scènes finales montrent cette conversion. Ce film Il y a longtemps que je t'aime n'est pas un film socio, sur les méfaits de la prison et sur l'innocence des coupables. Comme l'indique son titre, c'est un film sur l'amour. L'amour de Dieu ? Pas explicitement certes. Mais l'amour de l'autre, la nécessaire conversion à l'autre pour se trouver soi. Rien de très à la mode autant dire.
Quelque chose qui a à voir avec ce que Chesterton appelait L'homme éternel. Le film de Claudel, si on veut bien le comprendre comme il est, nous redit une très vieille vérité, une de celles qui font que l'homme est l'homme, une de celles que l'on voudrait oublier.