samedi 19 avril 2008

Qu'est-ce qu'un monstre ?

Le pape est aux Etats-Unis depuis mercredi. Il était très attendu sur le sujet des prêtres pédophiles dans ce pays. Il a rencontré, de manière très médiatisée des victimes d’abus sexuels venant de prêtres : on en a recensé près de 4 000 aux Etats unis, dans les diverses associations. Même en admettant l’exhibitionnisme victimaire de certains, même en reconnaissant qu’un certain nombre d’affaires sont amplifiées pour des raisons financières ou idéologiques, cela fait tout de même beaucoup. C’est trop ! Benoît XVI est venu taper du poing sur la table. Son message sur le sujet tranche avec l’habituelle langue de buis. On va plus loin me semble-t-il que la condamnation de principes.
Pour Benoît XVI, la pédophilie est incompatible avec l’exercice du sacerdoce.
Voici quelques remarques de Benoît XVI sur le sujet, faite au correspondant du quotidien italien La Reppublica dans le Boeing 777 qui emmenait le pape à Washington : « Les prêtres pédophiles doivent être totalement exclus de la prêtrise (…) Notre honte est profonde et nous ferons tout notre possible pour qu'une chose pareille ne se renouvelle jamais plus à l’avenir (…) Il est plus important d’avoir de bons prêtres que d’avoir beaucoup de prêtres (…) Quand je lis les témoignages des victimes, il m’est difficile de comprendre comment il a été possible que des prêtres aient trahi leur mission qui est d’apporter du soulagement, de transmettre l’amour de Dieu à ces enfants (…) Plus jamais de prêtres pédophiles ! ». A ma connaissance, c’est la première fois qu’un pape s’exprime aussi fermement et envisage, pour les coupables, que l’autorité ecclésiastique ait à les exclure de l’exercice de leur ministère presbytéral. En tout cas ce n’était pas la pratique courante de l’Eglise, en France par exemple.
Par ailleurs, l’expression qu’utilise Benoît XVI, « avoir de bons prêtres » évoque un temps que l’on croyait révolu. Je suis persuadé, en effet, que le sacerdoce, ce n’est pas d’abord une question de nombre, mais une question de qualité. Un seul bon prêtre, un saint prêtre peut d’avantage, c’est clair, qu’une armée de curaillons démotivés et démobilisés ! Mais à l’inverse, un scandale pédophile, provenant d’un prêtre peut annuler les efforts de nombreux ouvriers dans la Vigne du Seigneur et stériliser spirituellement, durant plusieurs générations, des familles entières qui se coupent irrémédiablement de l’Eglise. En avançant ce dernier point, je parle en connaissance de cause.
L’Evangile a souligné la malice particulière de ce péché : « Quiconque accueille un petit enfant, c’est moi qu’il accueille. Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer ».
Et la dignité de l’homme direz-vous ? Qu’en fait le Christ, lorsqu’il promet un châtiment terrible pour ceux qui s’en prennent aux enfants ? La dignité de l’homme n’est pas un acquis définitif et irrévocable. On peut la perdre, à l’occasion d’actes particulièrement monstrueux ou barbares. Autre chose est la nature dans l’homme et autre chose la manière dont elle s’actualise en chacun. La liberté de l’homme est telle qu’il a la possibilité de devenir un monstre.

Faut-il banaliser la pédophilie et la considérer comme un simple péché sexuel ? L’Evangile est inhabituellement sévère à l’égard de celui « qui scandalise un de ces petits ». Cela semble indiquer que dans la véritable pédophilie, il y a autre chose.
Daniel Hamiche, dans son Blog Americatho, distingue pédophilie et éphébophilie. L’éphébophilie est un péché sexuel, qui passe sans doute par un abus de confiance. J’allais dire par un abus de position dominante. Le jeune homme (ou la jeune fille) seront marqués pour la vie. Mais malgré tout, si l’on utilise le langage des psychanalystes, il s’agit d’un destin possible de la pulsion. On reste dans le domaine sexuel.
Que personne n’imagine qu’en ce domaine, il existe des lois intangibles et qu’en quelque sorte la sexualité se régulerait par elle-même ou serait à elle-même sa propre norme. Rien de bon ne peut sortir pour personne de la liberté sexuelle. En particulier, soulignait récemment Aldo Naouri, lorsque les personnes n’ont pas encore trouvé leur naturel. Et le pire est qu’on ne sait pas forcément à l’avance ce qui va en sortir, tout et son contraire, blocages à vie ou prurit incontrôlable, priapisme ou allergie viscérale à la chose.
Ce péché sexuel, l’éphébophilie, revêt une gravité particulière. Il va contre la dignité des personnes, dont certaines restent blessées à vie, mais il n’atteint pas à la gravité de ces crimes sexuels dont notre quotidien bruisse chaque jour alors que se déroule à Charleville-Mézières, le procès Fourniret.
Nous avons tous suivi avec effarement les premières semaines de ce procès qui doit se terminer à la fin du mois de mai. La plus jeune des victimes du tueur en série, Elisabeth Brichet, 12 ans, était belge. Son père a comparé le bourreau de sa fille au Minotaure, auquel on offrait de jeunes vierges. Il y a en effet quelque chose de purement sacrificiel dans l’horrible mise en scène, qui durera deux jours sans que Fourniret ne parvienne à violer sa victime. A cette occasion, Monique Ollivier, compagne du monstre jusque dans ses crimes, a particulièrement été mise en cause, puisqu’elle a assisté son compagnon, allant jusqu’à laver elle-même la petite, qu’elle a préparée pour un viol qui n’eut pas lieu et pour le meurtre. On sait qu’elle a conçu son fils Selim, avec Fourniret, le jour du premier meurtre ou très peu de temps après. Dans la correspondance de 217 lettres (750 pages) par laquelle ils se sont connus, vers 1987, alors qu’il était déjà en prison, il lui disait vouloir « trouver des vierges ». Un mois après sa sortie de prison, c’est elle qui lui amène Isabelle Laville, jeune fille très naïve, qu’ils vont tuer ensemble. Elle dit lors de terribles aveux, obtenus par la police belge en 2004 : « J’avais accepté de le laisser trouver son plaisir là où il le voulait, quitte à sacrifier des gamines ».
On retrouve l’idée du Minotaure. Et du sacrifice. Il me semble que la pédophilie caractérisée est plus qu’un crime sexuel. On parle de camisole chimique, pour ce genre de délinquant. Mais la jouissance de Fourniret n’est pas seulement sexuelle. Il jouit de dominer, d’écraser, de torturer. Et de torturer ce qui est pure. D’avilir. Ses victimes doivent se donner elles-mêmes à lui, alors qu’il a décidé de les tuer. A propos de Marie Ascension par exemple, celle qui s’est évadé après lui avoir fait dire : « Je suis pire que Dutroux », il écrit à son fils Selim en 2005 : « Il est évident que je lui aurais arraché les yeux et les membres vivante, avec une infinie jouissance. Marie incarne une pureté sobre. Je m’en empare… ».

Comment expliquer de tels sommets dans l’horreur ? Il me semble que l’égocentrisme de Fourniret donne quelque chose de proprement infernal à ses mises en scène et comme une image chimiquement pure du péché. Je ne parle pas forcément des péchés du catalogue, je parle du péché comme attitude et comme construction de soi face à Dieu. Comme révolte. Comme haine. Comme amour fou de soi. Saint Augustin le dit dans le De genesi (XI, 8) : « la première racine du péché, c’est que le pécheur jouisse de lui-même » . Le verbe « jouir » (frui) a une grande importance dans la morale augustinienne. Il ne faut pas prendre ce verbe au pied de la lettre, dans son sens français courant. Il est plus fort. Il signifie avant tout « mettre sa fin ultime dans quelque chose » par opposition à « uti », utiliser quelque chose comme moyen. Jouir de soi, c’est bien se consommer en soi, s’adorer soi, se déifier soi : mettre en soi sa fin ultime. Les enquêteurs et même ceux qui assistent simplement au procès Fourniret parlent tous de l’effrayant égocentrisme du personnage. On peut penser que ce Moi divinisé devient une sorte de dieu Moloch qui réclame des victimes dans d’horribles sacrifices humains, pour vérifier son pouvoir. J’ai imaginé aussi, je l’avoue, que lorsque Fourniret exigeait le huis clos durant le procès, il tentait une dernière manœuvre manipulatrice, pour prendre secrètement en otage (affectivement, judiciairement) les parents de celles qu’il avait torturées. Histoire sans doute de se prouver à lui-même que personne n’échappe à son pouvoir.
La monstruosité de Fourniret n’est pas seulement sexuelle. Elle est globale. Elle relève d’une construction patiente du Moi tout entier. Et cette construction, les experts sont formels, n’a rien de pathologique. Fourniret n’est pas un malade que l’on pourrait soigner. Ce qui est profondément déstabilisant, c’est justement sa profonde normalité humaine. Même en prison, refusant de répondre à ses juges, le monstre apparaît comme un homme libre.

Abbé G. de Tanoüarn

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Sur le voyage du pape aux Etats-Unis, on peut consulter le Blog de Daniel Hamiche Americatho, qui donne des renseignements précis et des traductions rapides.

5 commentaires:

  1. "péchés du catalogue"
    péchés du Décalogue, probablement:):)

    "le monstre apparaît comme un homme libre"
    Tout à fait comme dans certaines scènes du 'Silence des agneaux'.

    A propos de l'égo surdimensionné de Fourniret, je me demande bien ce que ce genre de profil psychologique devient dans des pays où les châtiments corporels sont appliqués (Par exemple le fouet en Arabie Saoudite). Il faudrait interroger des bourreaux - et c'est possible - sur l'altération de l'équilibre psychologique et la perte d'assurance de ce genre de personne, au fur et à mesure que la souffrance physique s'accroît.

    Peut-être qu'ils demandent pardon au centième coup de fouet ? Ou bien se murent-ils dans le silence ? Il y avait des réflexions de Louis-Ferdinand Céline sur des brutes absolues et congénitales, insensibles à la douleur. Sujet rafraîchissant à creuser...

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  2. Cher Anonyme,
    Décalogue, catalogue, ce n'est pas la même chose. Le Décalogue représente les points fondamentaux autour desquels s'organise la Loi de Dieu. Le catalogue, c'est le commentaire des théologiens ou des catéchistes sur ce qui est péché ou pas, selon la Loi.
    Occasion de reposer le problème de la Loi en christianisme.
    Le Christ n'a pas aboli la Loi de Dieu, qui est le Décalogue (pas un iota, pas un petit trait ne passera... dit-il dans le Discours sur la Montagne). Mais il insiste sur le fait que la Loi ne suffit pas pour le salut ; c'est le coeur avec lequel on accomplit la loi qui compte. Le catalogue ne suffit pas. Seule la charité accomplit la loi (saint Paul).
    Il ne s'agit pas de contester la Loi en elle-même mais de contester ceux qui croient qu'il suffit de raffiner sur la Loi (dresser le catalogue) pour être sauvé. La Loi ne s'accomplit que par l'amour. L'amour de Dieu et du prochain résume la Loi et les prophètes (Matth. XIII).
    Au plus simple : le chrétien n'est pas un homme de loi qui se satisfait de la jurisprudence dans toutes ses précisions. C'est un homme de coeur. C'est un homme qui comme dit saint Augustin ne se contente pas de faire le bien mais veut le faire bien (bene bona facere). Donc bien sûr et... de tout coeur oui au décalogue et non au catalogue.
    Je passe sur le sujet rafraîchissant que vous évoquez : je ne crois pas à une quelconque efficacité de la souffrance en elle-même. La souffrance ne vaut que si l'amour est capable, anticipant sur elle, de l'offrir

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  3. "ne se contente pas de faire le bien mais veut le faire bien"
    OK

    "je ne crois pas à une quelconque efficacité de la souffrance"

    C'est délicat ! Nous sommes tous passés par des douleurs et des chagrins qui ont attendri nos coeurs de pierre (je parle pour moi) et nous ont fait comprendre le mal que nous avions causé. Alors n'y a-t-il pas une vertu pédagogique à infliger à qq'un la souffrance que lui-même a causé? Et est-ce que l'absence de souffrance ne rend pas pas égoïste ou indifférent? Evidemment, je ne généralise pas à des cas pathologiques comme Fourniret mais, je me demande vraiment - hors de tout esprit de vengeance et de loi du Talion - ce qu'il adviendrait de sa morgue s'il subissait une fraction de ce qu'il a infligé.

    Vous dites: "La monstruosité de Fourniret ... relève d’une construction patiente du Moi tout entier."
    Un ego, ça se détruit, ça se modèle. (Je pense à 'Orange mécanique'). Certes, la nature humaine n'est plus si malléable que ça passé un certain âge, mais si l'amour n'est pas là du tout, si "la mesure de l'ampleur de sa médiocrité" est absente, quelle Rédemption est possible ? Et n'est-il pas légitime d'en favoriser -concrétement, physiquement- la prise de conscience?

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  4. Votre article est très bien. Les mots du Pape ne peuvent pas être plus claires. Plus de prêtre pedophile... On aimerait que les clercs de la tradition disent la même chose et agissent de la même façon!
    Entre temps les pédophiles en soutanes courent toujours...mais mon cher monsieur de quoi parlez vous...
    De Brugse Zot

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  5. Le Pape a bien dit et fait les choses. La tradition ne suis pas du tous le Pape dans ce domaine et laisse "courir" les pédophiles en soutanes dans la "nature"
    den Brugse Zot

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