Suffit-il de prendre conscience de son péché comme péché pour être sauvé ?
D'une certaine façon, oui, et c'est la bonne nouvelle du péché préface nécessaire à la bonne nouvelle du salut. Texte magnifique en ce sens, voyez l'entrevue avec le staretz Zossime dans Les frères Karamasov de Dostoievski.
La raison de cette merveilleuse facilité ? C'est l'amour de Dieu bien sûr d'abord, car c'est l'amour de Dieu qui anéantit nos péché : "Je suis venu pour chercher et sauver ce qui était perdu".
Et c'est aussi, je dirai mécaniquement, la foi qu'engendre ce regard humble (et non découragé ou anéanti) sur nous mêmes ; c'est cette prise de conscience qu'en vérité "Sans moi vous ne pouvez rien faire" pour combler l'abîme qui existe entre le temps et l'éternité, entre les caprices de l'instant et la perfection divine.
En revanche, oui, qui a mesuré l'ampleur de sa médiocrité, et qui est capable d'en souffrir, se tourne vers Dieu et reçoit le don surnaturel de la foi.
Cette foi ne se réduit pas à une simple proclamation, ou, si vous voulez à une carte d'assuré social dans le Royaume de Dieu, que l'on garde sur soi et dont on peut exciper sur demande le certificat dûment tamponné et administrativement en règle. La foi réelle (qui n'est pas purement nominale) est informée par la charité : Ce ne sont pas ceux qui crient Seigneur Seigneur, mais ceux qui font la volonté de mon Père qui entreront dans le Royaume des Cieux. Cette foi réelle rayonne dans l'épaisseur de notre vie de toute la tension (de tout l'élan) quelle introduit en nous. Elle nous fait entrer dans l'espérance de la gloire (qui devient petit à petit, subjectivement, consciemment, un vrai désir de voir Dieu).
Cette foi peut-elle changer mécaniquement les désirs de notre chair ou les angoisses de notre esprit ? Non. Etant surnaturelle, elle n'agit pas immédiatement sur notre nature. Schopenhauer soulignait : on ne change pas. La nature individuelle, mélange de déterminisme héréditaire et de caractères acquis dans l'adolescence ou la jeunesse, ne change pas. Nous rentrerons au Ciel comme nous sommes... Ce que la foi réelle transforme, ce n'est pas notre nature individuelle, c'est notre destinée de personne. Il y a dans notre existence (comme dirait Jankelevitch) ce je ne sais quoi, ce presque rien qui change tout (l'Evangile parle du levain dans la pâte ou de la petite graine sans apparence, la plus petite de toutes, qui devient un grand arbre : manière de nous prévenir. N'ayez pas peur, ça ne va pas être automatique : il faut du temps).
L'efficacité de l'Evangile ne se constate pas comme s'il s'agissait d'une sorte d'élixir. Les sacrements ne sont pas des potions magiques. Nous avançons dans l'obscurité. Mais il y a en nous cette transformation insensible, qui se réalise souvent au-delà de la conscience que nous en avons, mais qui est visible à l'extérieur, qui n'échappe pas par exemple à l'oeil de l'ami. Je dirais que souvent seules les vraies crises et notre capacité à y résister nous permettent de vérifier que silencieusement nous avançons.
Cette transformation, rétrospectivement nous pouvons le dire sans crainte, n'est pas une transformation de notre nature mais une découverte des ressources de notre naturel, c'est-à-dire des richesses (restées cachées parfois) de notre personnalité. J'aime énormément cette formule du Père Philibert de saint Didier : "La personnalité, c'est cette forme que de toute éternité Dieu a voulu pour notre sainteté".
Pour aller plus loin encore peut-être dans notre tentative d'élucidation spirituelle, il faudrait distinguer la personnalité (que nous découvrons, parce qu'elle est du côté de notre naturel) et le caractère (que nous acquérons, à force de faire face aux heurs et malheurs que nous traversons) et qui est comme l'ornement de notre personnalité. Un vrai chrétien ne saurait manquer de caractère. Disons plutôt si vous voulez, qu'un chrétien qui manque de caractère est un chrétien qui n'a jamais servi... qui n'a jamais fait face... Il me semble que lorsque nous acquérons, comme chrétien, tel ou tel trait de caractère (la générosité, le courage, la sobriété, la modération, l'attention etc.), nous pratiquons l'imitation de Jésus Christ. Non pas en l'imitant comme on pourrait copier un tableau, mais, si l'on écoute le cardinal de Bérulle, parce que Jésus est en nous le vray peintre de soi-même... Ce sont les vertus infuses, comme dit la scolastique, qui font de nous un chrétien accompli, ayant découvert sa véritable personnalité et l'ayant accompli par la force de son caractère.
Reste un point important : il est inutile de se regarder soi-même et de se demander sans cesse si nous sommes ou non sortis du péché (voyez la formule du Père de Condren successeur du Cardinal de Bérulle à la tête de l'Oratoire de France : "Il faut fuir comme la peste la considération de soi-même et de ses péchés"). Nous sommes mauvais juges de nous-mêmes. Lorsque nous avons compris la profonde absurdité du péché, nous nous en détachons forcément. Au rythme que Dieu veut. Il suffit de ne pas tricher, ni avec nous-mêmes, ni avec Lui.
Il me semble que le Christ nous parle de cette difficulté d'auto-attestation (qui peut produire en nous le découragement, voire le désespoir), lorsqu'il nous dit : "C'est par votre patience que vous possèderez vos âmes". Cette difficulté à saisir notre intérieur n'empêche pas la grâce de rayonner à l'extérieur :"Que votre lumière brille devant les hommes, afin que voyant vos bonnes oeuvres ils glorifient votre père qui est dans les Cieux".
Juste quelques idées. Il faudrait développer.
Amicalement
GT
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