Ce que vous avez pu voir dans le message précédent est de nature à nous faire réfléchir : à partir de quand le catho (prêtre ou non peu importe) se prend-il pour un ringard ? A partir de quand se laisse-t-il habiter par le fantasme du dernier des Mohicans ?
Réponse cruelle : quand il cherche à adapter sa foi, en la faisant rentrer dans le jeu des opinions humaines. Si la foi se met au même rang que les opinions humaines, si elle se détermine selon des critères humains, elle est morte. "Je crois parce que c'est absurde" disait robustement en ce sens Tertullien. C'était vers 190 (ça ne nous rajeunit pas).
Essayons de pousser plus loin : chercher à adapter sa foi, c'est tenter de la rendre crédible. Mais il y a un abîme entre ce qui est crédible et ce qui est simplement vrai. Ce qui est crédible, c'est ce qui me permettra de dire : je crois que je crois. Le premier "je crois" est un "je crois que". Le deuxième "je crois" est forcément un "je crois en". Cela ne sert à rien d'essayer de se dire "Je crois que", ou bien "c'est crédible", alors que ce que l'on attend c'est "Je crois en". Tous les "Je crois que" ne feront pas un "Je crois en". La présomption n'est pas la vérité : c'est soit l'une soit l'autre.
Le drame des cathos qui se sentent ringards, c'est que ce sont justement ceux qui ont tenté d'adapter leur foi. Ils ont confondu présomption ou crédibilité et vérité. Ils payent leur illusion. Leur foi devient éminemment friable, jusqu'à se ramener à une simple "conviction" : la conviction qui est la mienne, en fonction de ce qui me semble crédible.
La théologie thomiste est très précise sur la foi. Dans le De Veritate (14, 8), saint Thomas explique que la foi est surnaturelle et quant à son objet (Dieu tel qu'il est en lui-même, Dieu dans son Mystère personnel) et quant à son mode (l'autorité de Dieu qui nous incline à lui par grâce). Ce qui signifie que jamais l'on ne doit chercher à savoir : est-ce que je crois ? si c'est pour répondre : Je crois que je crois. Le premier Je crois que... est humain (je crois qu'il fera beau demain) ; le deuxième Je crois est divin. Que me reste-t-il à dire ? J'adhère au témoignage de Dieu. "Celui qui croit dans le Fils de Dieu porte en lui le témoignage de Dieu" dit l'apôtre Jean dans sa Première Epître.
Quel est ce témoignage de Dieu ? Essentiellement : Jésus est Seigneur, l'homme Jésus est le Fils de Dieu. L'Eglise primitive a passé des années à expliciter cette idée de la divinité du Messager, que l'on trouve dans le Nouveau Testament comme la pierre de touche du baptême (Acte des Apôtres VIII). Les querelles christologiques ne portent d'ailleurs pas tant sur le fait que le Christ soit un personnage divin, mais sur la manière dont on doit le comprendre.
Ce témoignage de Dieu, c'est le dogme de l'Eglise qui le présente à notre intelligence. Je ne peux pas vérifier que j'ai la foi en me demandant si je crois que je crois. Mais je peux vérifier que j'ai la foi, c'est-à-dire je peux vérifier que Dieu, vérité première, est à la foi l'objet absolument simple de mon intelligence et le moyen par lequel elle se rapporte à lui, dans la mesure où je porte en moi le témoignage de Dieu. La foi dans sa formulation dogmatioque est en quelque sorte la démonstration de l'authenticité de l'adhésion surnaturelle de l'intelligence.
On le vérifie dans la liturgie du baptême d'adulte, au cours des fameux scrutins. On questionne le futur baptisé sur sa foi. On ne le questionne pas sur les aspects les plus faciles de la foi (par exemple sur les valeurs porteuses de la foi comme la charité etc.) Non, on le questionne sur... le plus dur, c'est-à-dire sur ce qui est surhumain dans la foi : la Trinité, un seul Dieu en trois personnes. Si tu crois l'incroyable, c'est que tu ne te fixes pas à ton propre sentiment mais que tu adhères au témoignage de Dieu. Le dogme de la divinité du Christ, le dogme de la Trinité dans l'Unique Substance divine et tous les dogmes que nous professons dans le Credo marque la vérification objective de notre adhésion parfaitement simple à la vérité première qui nous attire à elle. Rien de subjectif dans la foi lorsqu'elle jaillit au coeur. C'est toute la subjectivité dont s'entoure fatalement au fur et à mesure des années cette foi primale qui est sans cesse menacée de ringardisation.
En revanche, l'adhésion au témoignage de Dieu, tel qu'il est formulé dans le dogme de l'Eglise catholique, crée en nous une connaissance nouvelle, un amour nouveau, une liberté nouvelle et pour tout dire : une spontanéité nouvelle marque d'une destinée nouvelle. Loin de nous cantonner à l'irrationnel, la foi est une rationnalité supérieure. Elle nous grandit, nous rend plus fort, plus intelligent, plus aimant...
L'évidence chrétienne, que j'essayais de définir dans un livre paru en 2005, elle est d'abord le signe en nous de cette grâce surnaturelle qui est au dessus de toute définition : nativement invérifiable. Elle est ensuite, pour ceux qui nous regardent, la manifestation active de cette foi dans la vie. "C'est à cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, dit Jésus, si vous vous aimez les uns les autres de charité" (Jean XIII, 35). Le verbe utilisé en grec : gnosontai, renvoie à une connaissance vérifiable.
Si vous ne voulez pas une carte d'abonné à Catholic park, si vous ne voulez pas du syndrome Deschiens, il suffit de vivre de la foi... dans la charité, car alors "Tous connaîtront..."
Si vous voulez être sûr de votre foi, sans rentrer dans la spirale infernale et destructrice du Je crois que je crois, vérifiez que vous adhérez non pas à une formulation parmi d'autre de la foi, simple conviction communautaire, projection subjective, kathexis pour un désir en manque d'objet ; mais au contraire que vous adhérez à cette formulation qui, grâce au témoignage de l'Eglise tout au long de son histoire, peut effectivement être appelé le témoignage de Dieu. Le dogme, enseigné par l'autorité de l'Eglise, n'est rien d'autre que la re-présentation ou l'objectivation de la foi, se disant elle-même à l'intelligence humaine. La foi en elle-même est adhésion simple et inconditionnelle à la vérité première qui est Dieu. Mais elle se vérifie en s'objectivant dans les dogmes qui forment l'enseignement de l'Eglise, portant jusqu'à nous, inchangé dans son jaillissement, explicité dans sa formulation, passé au creuset des doutes et des espoirs de l'homme sans variation substantielle, le témoignage de Dieu.
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