Je remercie Antoine que je ne connais pas de ses contributions régulières sur ce Blog. Cette fois j'ai un peu tardé à lui répondre. Mon excuse ? Il est plutôt pointu le gars ! Jugez-en : je vous redonne son texte, paru en commentaire de mon article sur la vérité (voir les publications du mois dernier) :
Je ne peux pas répondre à tout du premier coup. Mais promis, je vous répondrai ! J'ai fait, verbalement ou en intention, c'est-à-dire virtuellement sur ce blog, la même réponse à d'autres. Qu'ils n'hésitent pas à me rappeler à l'ordre (gdetanouarn2@wanadoo.fr).
Tout à l'heure, en lisant l'épître d'Isaïe que nous avons au mardi de la première semaine de Carême, j'ai eu une illumination : ce texte conviendrait bien pour répondre à la question délicate que me pose Antoine. Le voici donc :
"Mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas mes voies, dit le Seigneur. Autant le Ciel est élevé au dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au dessus de vos voies, mes pensées au dessus de vos pensées" (Is. 55, 8).
Ce que j'appelle la nouveauté de Dieu, l'altérité de l'Absolument vrai est contenu dans cette déclaration formelle de Yahvé. Ne croyons pas que, parce que, dans la foi, nous possédons la vérité la plus grande qui puisse être donnée à un être humain, pour autant nous soyons détenteur d'une vérité qui nous rendrait semblables à Dieu. C'est le problème des intégristes : ils savent mieux que Dieu. "Un intégriste, disait Frossard bien inspiré, est un homme qui veut faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou pas". Un intégriste est quelqu'un qui s'imagine détenteur de l'Absolu. On sait les catastrophes morales que peut engendrer une telle conviction.
Mais alors demandez-vous, pourquoi y a-t-il des dogmes ? C'était la grandes questions des sociniens à la fin du XVIème siècle. C'est la question qui unit tous les modernistes historiques au début du siècle dernier. Question d'une importance capitale. Les réponses à cette mise en cause n'ont jamais été vraiment organisées, à ma connaissance du moins.
Disons que les dogmes constituent moins la preuve du caractère totalement identifiable (par l'homme) de l'Absolu divin, qu'ils ne marquent plutôt l'incapacité native de l'intelligence humaine à s'élever par elle-même jusqu'à la Parole de Dieu, et la nécessité où l'on se trouve de reconnaître, au-delà de notre propre raison, une autorité divine, celle de l'Eglise catholique, qui nous est garantie par le Christ lui-même dans l'Evangile (Matth. 16, 16 : "Tu es Pierre. Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux") et qui nous enseigne la vérité, sans laisser chacun à sa propre herméneutique des textes.
Si la vérité divine n'était pas toujours une autre, les hommes n'auraient pas besoin de dogmes et s'élèveraient, par l'élan de leur propre conscience, jusqu'à la vérité divine.
En réalité, saint Augustin nous en a averti, en utilisant un mot encore rare à l'époque, le mot catholique qui signifie "universel" : "Je ne croirais pas à l'Evangile de Dieu si l'Eglise catholique ne m'y avait poussé".
De ce point de vue, on peut dire que le dogme, c'est l'inverse du dogmatisme. Le dogmatisme vient d'une trop grande sécurité de la raison, qui s'enferme dans ses propres affirmations, sans daigner examiner son aptitude à se prononcer sur l'Absolu. Par dogmatisme, on peut être absolument certain de quelque chose d'infiniment relatif. On peut aussi refuser absolument (nous qui campons toujours dans le relatif)le don que l'Absolu nous fait de sa Parole : aveuglement borné (et pas toujours coupable, étant donnés les conditionnements culturels actuels) de certains refus de Dieu...
Le dogme, au contraire, est l'expression authentique d'une vérité qui vient d'un Autre, qui en tant que telle est toujours fragile, mais qui manifeste, à travers l'offrande de notre esprit (obsequium mentis dit saint Paul), l'amour inconditionnel que nous éprouvons pour cette vérité qui nous dépasse.
C'est du dogme, vérité amoureusement reçue et transmise, qu'il faut dire, avec Pascal : "La vérité sans la charité est une idole".
"M. l'Abbé, votre propos suscite une somme de réflexions et de considérations... Mais une domine les autres : si le Vrai est toujours autre ou toujours nouveau, on voit le risque pour les chrétiens : c'est d'en avoir autant d'expression que de bouches qui la profèrent et finalement, d'aboutir à une division totale des esprits...Comment peut donc se faire l'unité des catholiques autour de cette Vérité ? Est-ce une unité des cœurs, convergeant dans sa recherche ? Ou n'est-ce pas plutôt une unité autour du Magistère, chargé de l'expression authentique de la Vérité ?Merci à vous, Antoine. Vous posez en 2000 signes les problèmes essentiels que l'on aborde en première année de théologie fondamentale. Avantage service : vous les posez en situation, en réfléchissant à des mouvements (la FSSPX) et à des positions que nous devons tous prendre, si tant est que nous souhaitions ne pas mourir idiots !
"Et cela m'amène à une considération polémique dont je ne peux m'empêcher : c'est ce qui me semble être un dévoiement de la notion de magistère opéré par la FSSPX : si la Tradition est ce qui a été cru toujours et par tous selon le canon de St Vincent avec une adhésion diachronique aux vérités énoncées, cela ne s'oppose-t-il pas directement à cette notion de Vérité toujours nouvelle que vous exposez ? Cette note de "diachronisme" obligerait à figer en qq sorte l'expression de la Vérité dans le temps, et priverait le magistère vivant de tout rôle dans l'expression renouvelée de la Vérité ?
"Mais jusqu'où peut aller le renouvellement de l'explicitation de la Vérité ? Non nova, sed nove, disait Grégoire XVI en son latin... Mais le magistère a-t-il des limitations dont nous-mêmes pourrions juger ?Ou plutôt, n'est-ce pas la mise en œuvre de la phrase de St Paul qui peut nous éclairer : la lettre tue mais l'Esprit vivifie. Et seul le magistère de l'Eglise est en mesure de bénéficier de l'Esprit conformément aux promesses du Christ ?
"Bref, je pose des questions orientées, mais il me semble que le fond du pb, de la crise, c'est une vision défaillante du magistère, tant du côté moderniste que traditionaliste, et bien souvent on préfère s'en remettre à sa propre interprétation plutôt qu'à la seule autorisée, avec en conséquence des divergences fondamentales puisque la Vérité est toujours autre ? Et puis, je ne suis pas certain d'avoir totalement compris vos propos : en fonction de mes questions, vous pourrez me remettre dans le droit chemin ! Merci d'avance, M. l'Abbé".
Je ne peux pas répondre à tout du premier coup. Mais promis, je vous répondrai ! J'ai fait, verbalement ou en intention, c'est-à-dire virtuellement sur ce blog, la même réponse à d'autres. Qu'ils n'hésitent pas à me rappeler à l'ordre (gdetanouarn2@wanadoo.fr).
Tout à l'heure, en lisant l'épître d'Isaïe que nous avons au mardi de la première semaine de Carême, j'ai eu une illumination : ce texte conviendrait bien pour répondre à la question délicate que me pose Antoine. Le voici donc :
"Mes pensées ne sont pas vos pensées, vos voies ne sont pas mes voies, dit le Seigneur. Autant le Ciel est élevé au dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au dessus de vos voies, mes pensées au dessus de vos pensées" (Is. 55, 8).
Ce que j'appelle la nouveauté de Dieu, l'altérité de l'Absolument vrai est contenu dans cette déclaration formelle de Yahvé. Ne croyons pas que, parce que, dans la foi, nous possédons la vérité la plus grande qui puisse être donnée à un être humain, pour autant nous soyons détenteur d'une vérité qui nous rendrait semblables à Dieu. C'est le problème des intégristes : ils savent mieux que Dieu. "Un intégriste, disait Frossard bien inspiré, est un homme qui veut faire la volonté de Dieu, que Dieu le veuille ou pas". Un intégriste est quelqu'un qui s'imagine détenteur de l'Absolu. On sait les catastrophes morales que peut engendrer une telle conviction.
Mais alors demandez-vous, pourquoi y a-t-il des dogmes ? C'était la grandes questions des sociniens à la fin du XVIème siècle. C'est la question qui unit tous les modernistes historiques au début du siècle dernier. Question d'une importance capitale. Les réponses à cette mise en cause n'ont jamais été vraiment organisées, à ma connaissance du moins.
Disons que les dogmes constituent moins la preuve du caractère totalement identifiable (par l'homme) de l'Absolu divin, qu'ils ne marquent plutôt l'incapacité native de l'intelligence humaine à s'élever par elle-même jusqu'à la Parole de Dieu, et la nécessité où l'on se trouve de reconnaître, au-delà de notre propre raison, une autorité divine, celle de l'Eglise catholique, qui nous est garantie par le Christ lui-même dans l'Evangile (Matth. 16, 16 : "Tu es Pierre. Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux") et qui nous enseigne la vérité, sans laisser chacun à sa propre herméneutique des textes.
Si la vérité divine n'était pas toujours une autre, les hommes n'auraient pas besoin de dogmes et s'élèveraient, par l'élan de leur propre conscience, jusqu'à la vérité divine.
En réalité, saint Augustin nous en a averti, en utilisant un mot encore rare à l'époque, le mot catholique qui signifie "universel" : "Je ne croirais pas à l'Evangile de Dieu si l'Eglise catholique ne m'y avait poussé".
De ce point de vue, on peut dire que le dogme, c'est l'inverse du dogmatisme. Le dogmatisme vient d'une trop grande sécurité de la raison, qui s'enferme dans ses propres affirmations, sans daigner examiner son aptitude à se prononcer sur l'Absolu. Par dogmatisme, on peut être absolument certain de quelque chose d'infiniment relatif. On peut aussi refuser absolument (nous qui campons toujours dans le relatif)le don que l'Absolu nous fait de sa Parole : aveuglement borné (et pas toujours coupable, étant donnés les conditionnements culturels actuels) de certains refus de Dieu...
Le dogme, au contraire, est l'expression authentique d'une vérité qui vient d'un Autre, qui en tant que telle est toujours fragile, mais qui manifeste, à travers l'offrande de notre esprit (obsequium mentis dit saint Paul), l'amour inconditionnel que nous éprouvons pour cette vérité qui nous dépasse.
C'est du dogme, vérité amoureusement reçue et transmise, qu'il faut dire, avec Pascal : "La vérité sans la charité est une idole".
MERCI !
RépondreSupprimerGrâce à vous (sans oublier Isaïe et St Augustin !) cela devient presque évident !
On comprend mieux l'importance de la question de Pilate "qu'est-ce que la Vérité", question qu'il pose au Christ Lui-même, non pas avec pusillanimité et désintérêt, comme on l'interprète souvent, mais sûrement dans une sorte de fulgurance : parce son intuition lui fait sentir qu'il est en face de LA Vérité... Et le Christ ne lui répond pas, ce qui est sans doute le plus important, en définitive, peut-être parce que la question Lui est posée par un lettré, un philosophe, dans une sorte d'échange dialectique alors que la réponse est dogmatique (si je traduis bien votre explication ?)...