dimanche 19 septembre 2010

Le péché originel, les images et l'Infini

Nous avons beaucoup réfléchi au péché originel et à sa transmission, c'est-à-dire à la puissance du mal.

L'une de mes amis trouve que j'ai choisi la solution de facilité en prenant le thème ("intello") de la transmission du péché originel, sans mettre avant tout la question de son historicité. Quelques mots simplement sur cette question. Il est évident que ce texte sur les origines, c'est-à-dire sur ce qui nous échappe parce que comme dit Pascal, nous sommes "en un milieu", est un texte allégorique. Ce qui ne signifie pas un texte faux. Qu'est-ce qu'une allégorie ? Une approximation de quelque chose que - le plus souvent - il est très difficile de dire autrement. l'allégorie est une forme de l'analogie. Exemple dans l'Evangile : le Christ est le Bon Pasteur. Il faut comprendre : le Christ est aux fidèles ce que le berger est aux brebis. Cette analogie à quatre termes dans la tradition scolastique s'appelle l'analogie de proportionnalité.

Le texte de la Genèse est plein d'allégories. Exemple : le serpent. Comme dit Cajétan, dans son Commentaire, il est évident qu'un serpent "naturel" ne parle pas. L'apparence du Serpent nous renseigne sur le côté monstrueux, visqueux, froid du mal (voir Bernanos : l'enfer c'est le froid). Cette apparence nous montre aussi que le mal n'est pas seulement quelque chose, mais... quelqu'un. Qu'il a pris, avant la constitution du monde, une configuration personnelle.

On peut dire la même chose du fruit. Ce fruit, "agréable à voir et bon à manger", c'est avant tout celui qui permet de reconnaître l'arbre qui le porte. Il s'agit donc des oeuvres etc.

Peut-on décrypter le symbolisme du livre de la Genèse et remonter par rétroversion du figuré à l'original - c'est-à-dire à ce qui s'est passé à la manière dont cela s'est passé) ? Non. Ce travail est parfaitement vain à accomplir. Nous possédons pour comprendre cet événement du péché originel, qui a touché notre origine, un langage imagé, qui nous renvoie non à un original concret (de l'image à ce dont elle est l'image) mais plutôt à une signification abstraite, à une représentation conceptuelle sur l'état de l'humanité, qui est d'une extrême richesse et d'une extrême pertinence anthropologique, comme l'a dit et redit Pascal en termes inoubliables. Le récit de la Genèse contient la vérité de notre condition humaine, dans l'ensemble (le mal véritablement mauvais vient toujours de la liberté de l'homme qui choisit d'être comme Dieu) comme dans le détail (la pudeur n'est pas une vertu mais la conséquence de la chute). Aucun texte ne nous en dit plus sur nous mêmes que ces trois premiers chapitres au commencement du Livre.

Peut-on parvenir à la vérité à travers des signes ? Le rationalisme d'aujourd'hui refuse cette perspective analogique et imagine que ce que nous savons, nous le savons uniquement par un raisonnement formel - et en mettant de côté tous les signes, comme typiques d'un savoir populaire qui est un faux savoir. Je parle du rationalisme d'aujourd'hui. Mais à lire le De vera religione de saint Augustin (qui vient d'être réédité en français pour un prix très abordable - 19 euros - par les éditions Via romana : merci), le double jeu du rationalisme universel n'est pas nouveau : "Les philosophes, écrit l'évêque d'Hippone, se prêtaient avec le peuple à des actes religieux bien différents de ce qu'ils disaient à ce même peuple dans leurs enseignement particulier". La philosophie antique et la philosophie islamique ont toujours pratiqué la double vérité : une vérité pour les sages ; une vérité pour le peuple. Dans les enseignement ésotériques, les philosophes bannissent les signes. Ils ne sont pas capables d'en discerner la vérité.

Seul Socrate a expliqué qu'il fallait parfois "agripper à des traditions humaines comme à des planches qui formeraient un radeau" pour échapper au naufrage. Socrate... et le Pascal du pari, qui dit aux libertins : "Nous sommes tous embarqués". Contrairement à la vérité purement rationnelle et chiffrée, la vérité religieuse ne bannit pas les signes, mais les assume. Elle n'exclut rien (je parle là spécifiquement de la vérité catholique, c'est--à-dire universelle, à propos de laquelle Pascal a écrit ce génial : "Tout ce qui ne va pas à la charité est figure".

L'erreur du rationalisme c'est qu'il enferme la raison en elle-même : "solitude de la raison" disait Paul Alquié, qui en était un drôle pourtant de rationaliste. La beauté de la vérité religieuse, c'est que quoi qu'on en ait dit, elle n'exclut rien. Au contraire, elle offre le moyen de TOUT comprendre par des figures, ou plutôt de comprendre toutes choses comme étant des figures, non pas de la vérité, mais de ce qui la surplombe : la charité [encore Pascal : "La vérité sans la charité est une idole"]. La vérité religieuse n'est donc pas exclusive, mais inclusive. Attention : elle inclut tout "autre", non comme une réalité dans son économie (là on serait dans le grand bazar, dans le confusionnisme total - disons pour prendre un terme à la mode dans le mixage), mais comme une figure, comme un signe, positif ou négatif, de sa vérité à elle qui est la charité du Dieu personnel.

J'ai dit : TOUT comprendre. TOUT ? Donc aussi l'origine. L'origine nous est donnée en figure, parce que Dieu nous élevant à une science nouvelle de notre Destinée, en nous en dévoilant la fin, ne pouvait pas ne pas nous montrer le commencement. Mais il ne pouvait nous montrer le commencement dans sa réalité sans nous induire en erreur, alors même que nous ne sommes plus au commencement. Il nous a donc montré ce qu'il a pu nous montrer du commencement. Et ce trésor de science, de pertinence et de révélation, il l'a placé au commencement du Livre.

Pourquoi direz-vous, Dieu devait-il nous montrer quelque chose de notre commencement ? Ne pouvait-il pas, comme tous les philosophes libéraux, comme John Rawls, invoquer un nécessaire "voile d'ignorance" ? il aurait été plus crédible ! Cela lui aurait épargné d'avoir à utiliser le langage des signes.

Deux réponses : Dieu devait nous montrer ce commencement qu'il ne pouvait nous montrer que par signes, parce que "le commencement est plus que la moitié du tout" (Aristote). Il ne pouvait pas nous priver de "plus de la moitié" de la connaissance de nous-mêmes. Si nous nous ignorions nous-mêmes, où serait notre liberté ? Nous serions réduits aux impulsions qui nous traversent et incapables d'un choix.

Dieu pouvait-il s'épargner le langage des signes ? il nous aurait réduit à l'usage de la raison, c'est-à-dire à une connaissance analytique, une connaissance qui n'est un développement que parce qu'elle est l'analyse détaillée de ce qu'elle possède. Même Kant, l'homme des Lumières, n'a pas envisagé sans trembler d'abandonner l'homme à sa raison calculante, condamnée à refaire indéfiniment ses calculs sans jamais trouver la clé. Il a tenté de montrer que la Raison était capable de synthèse. Mais personne ne l'a cru. Hegel a invoqué l'histoire pour la faire, cette synthèse. Et l'on voit bien par la ruine des idéologies que cette synthèse [soi-disant rationnelle] était une foutaise.

Le langage des signes que j'appellerais aussi la connaissance analogique (connaissance par la ressemblance, c'est-à-dire l'approximation ou ce que Cajétan appelle "concept confus") est la seule qui puisse nous tirer hors de la répétition du Même : jusqu'à cet Autre, en dehors duquel il n'y a pas de salut.

Disant cela, j'espère avoir montré que les images dans la Bible (celles par exemple de notre origine) ne sont pas des pis aller, utilisés "pour le peuple" comme le disent dédaigneusement les rationalistes, Spinoza en tête, mais le moyen analogique de nous élever à une connaissance qui soit non une répétition de ce que nous sommes, mais la découverte d'une transformation possible : d'un salut.

Une seule certitude : le salut n'est pas en nous, mammifères supérieurs mais crevards. Il est dans le champ de l'Autre. Il ne nous est connu que par le prisme merveilleux de cette analogie qui nous transporterait jusqu'à l'Infini. Et Dieu lui-même, par respect pour nous, s'oblige à l'analogie, lorsqu'Il nous parle de l'Origine.

3 commentaires:

  1. Merci pour cet éclairage passionnant sur le mystère.
    Mais je me pose la question suivante. Si l'on essaie d'imaginer l'histoire des débuts à partir de cette analogie, que s'est-il passé? Vous dites qu'on ne peut pas remonter à la vérité complète que l'analogie veut faire sentir. Je m'imagine quand même un premier couple d'êtres humains. Imaginons qu'ils aient une conscience humaine que n'avaient pas leurs parents. Il y a déjà un problème : il faut que cela arrive simultanément à Adam et Eve qui doivent être géographiquement proches. Et il faut que ça n'arrive pas à d'autres individus de l'espèce des hominidés (je ne sais pas le terme exact).
    Ensuite, est-ce que la faute originelle, la "pomme croquée", est instantanément marquée dans leur chair, ou bien y a-t-il une durée pendant laquelle ce premier couple vit historiquement le paradis terrestre? Si la faute est instantanément marquée dans la chair humaine, où s'est jouée la liberté humaine, pour que ça ne vienne pas de Dieu? Est-ce que ce sont deux processus simultanés ou quasi-simultanées qui se sont produits? Comme quand on remplit un verre d'eau, on ne peut dire qu'il est plein que quand il déborde?
    Et au niveau du vêtement, quel est l'historicité de l'apparition du vêtement? Coïncide-t-elle avec la faute? Ou bien est-elle antérieure, ou postérieure?
    Plein de questions qu'on ne peut pas résoudre apparemment, mais je suis moins sage que l'abbé, je ne peux pas m'y faire.

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  2. Dieu a réconcilié et racheté le monde entier avec lui en s'abaissant à l'infini par la Croix et en mourant sur le bois de la Croix

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  3. La raison s'ouvre sur lui-même,la contemplation ver le ciel de signes

    boris

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