samedi 18 septembre 2010

Les moines de Tibhirine - Une vérité belle à voir et bonne à dire

Article repris de Minute du 15 septembre 2010

Xavier Beauvois,
qui nous avait habitués à des films sulfureux, revient, avec Des hommes et des dieux, sur le massacre des sept moines français de Tibhirine, dont les têtes, soigneusement découpées, ont été retrouvées sur la route de Médéa, le 30 mai 1996. Résultat sur nos écrans : un film magique. Et peut-être bientôt la vérité sur cette sinistre affaire.

On a du mal à comprendre en métropole que la guerre d’Algérie n’a jamais vrai ment pris fin, et qu’après avoir été une guerre d’indépendance, elle est devenue une guerre civile. Les années quatre-vingt-dix – marquées par le fameux attentat à Paris dans le RER à la station Saint-Michel (1995) – ont vu une recrudescence du conflit algéro-algérien. La région de Médéa, où est implanté depuis 1938 le monastère Notre-Dame de l’Atlas, était devenue un point névralgique dans l’affrontement entre les forces du GIA (islamiste) et l’armée algérienne. Il y avait eu deux alertes fin 1993: d’abord le 14 décembre, 12 ouvriers croates, qui travaillaient sur un chantier à 20 kilomètres de là, ont été séparés des ouvriers autochtones et froidement liquidés. Puis le 24 décembre, les troupes de l’émir Sayat Attias envahissent le monastère. Ils exigent des médicaments et de l’argent. Le père de Chergé, prieur, parvient à leur imposer le respect, en évoquant le passage du Coran où les moines chrétiens sont appelés amis de Dieu.

Par la seule force de l’esprit, sans armes, un moine tient en respect un seigneur de la guerre, au nom du Christ qu’il appelle le Prince de la Paix. Ce dénouement pour le moins inhabituel pour une razzia rend le monastère suspect à l’armée qui contrôle la région. Les militaires, après avoir proposé en vain leur protection, essaient désormais d’impressionner les moines ou de les prendre en faute: descente de la police, contrôle d’identité des patients du frère Luc, le médecin de la communauté, soupçonné de soigner les terroristes, ronde d’un hélicoptère menaçant, juste au-dessus du monastère.

Une montée dans la neige et le brouillard

« Et si ces pères étaient les soutiens occultes des islamistes? » semblent vouloir dire les représentants des forces de l’ordre, qui ont tenté à plu sieurs reprises de convaincre ces Occidentaux incontrôlables que leur place n’était pas dans un pays en pleine guerre civile. La communauté des religieux n’a jamais fait mystère de son mépris pour un gou vernement FLN notoirement corrompu. Elle a apporté son soutien, en sous-main, à deux réunions organisées à Rome en 1995 pour la démocratie en Algérie, avec des représentants du FIS, sous les auspices de la communauté chrétienne Sant Egidio. Le gouvernement Bouteflika, mis en minorité dans son propre pays, semble à l’hallali…

C’est dans ce contexte tendu et complexe qu’a lieu, dans la nuit du 26 au 27 mars, l’enlèvement de sept des neuf moines présents à Tibhirine. Ils seront séquestrés par de mystérieux ravisseurs pendant deux mois avant le terrible dénouement. Le film de Xavier Beauvois fait l’impasse sur leur mort, qu’il évoque de façon poétique, en une montée dans la neige et le brouillard qui a tout d’un chemin de croix. Le projet initial du cinéaste – montrer les sept têtes coupées – a été abandonné. Touchant à un des faits divers les plus horribles de ces dernières années, Beauvois, comme converti par son sujet, ne veut retenir que la grandeur spirituelle des moines, grandeur simple, sans héroïsme grandiloquent.

Le réalisateur raconte donc, par petites touches de vie très quotidienne, les trois années qui séparent le massacre des Croates de l’enlèvement des moines.

« Leur vie est déjà donnée »

Trois an nées durant lesquelles les moines, d’abord effrayés, prennent petit à petit conscience de ce que sera leur destin. Ils l’acceptent, parce que, religieux, « leur vie est déjà donnée » comme l’explique le prieur. Sans pathos inutile, Xavier Beauvois nous montre les nuits d’insomnie, les hésitations, les différences de perception de la situation entre les uns et les autres. Il nous explique pourquoi, à force de discussions fran ches, l’unité spirituelle se fait dans la communauté, il montre comment ces hommes fragiles de viennent des dieux en tutoyant leur destin (scène magnifique du dernier verre de vin bu ensemble, dans laquelle la symbolique eucharistique est évidente). Ce film est un grand moment d’émotion spirituelle. Oui, cela existe encore au cinéma!

Gageons aussi qu’alors que le juge Marc Trévidic vient d’être saisi de cette affaire par une plainte de l’une des familles, associée à l’ancien supérieur des moines, le père Armand Veilleux, Des hommes et des dieux contribuera à démêler ce sac de noeuds. Le « communiqué 44 » de Djamel Zitouni revendiquant la mort des moines au nom du GIA, le 21 mai 1996, prête à caution à cause de la personnalité trouble de ce chef (que l’on dit instrumentalisé par les services gouvernementaux du DRS et qui, comme par hasard, a disparu dans une embuscade le 16 juillet 1996).

Qui a tué les 7 moines? Interrogé en direct sur Canal+ en mars 2004, le président Bouteflika avait eu cette réponse étonnante: « Toute vérité n’est pas bonne à dire. » Eh bien ! C’est peut-être le général Rondot qui la dira. Pris dans les rais de l’affaire Clearstream, ses fameux carnets révèlent en tout cas qu’il en sait plus qu’il n’a bien voulu le reconnaître sur les auteurs du massacre des moines. Le 27 septembre prochain, il s’expliquera devant le juge Trévidic.

Joël Prieur

2 commentaires:

  1. "La communauté des religieux n’a jamais fait mystère de son mépris pour un gouvernement FLN notoirement corrompu. Elle a apporté son soutien, en sous-main, à deux réunions organisées à Rome en 1995 pour la démocratie en Algérie, avec des représentants du FIS, sous les auspices de la communauté chrétienne Sant Egidio" écrit Joël Prieur.

    Jamais entendu parler de ça! Cette "ingérence" n'est-elle pas la clef du drame? Le film l'évoque-t-il?

    Ce serait paradoxal que les malheureux se fussent, en réalité, faits massacrer, surtout au nom de la "Démocratie" occidentale! (simple question que je me pose, non une assertion...)

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  2. Le "quotidien" en Algérie, à l'heure d'internet....OUVRONS LES YEUX SUR LA RÉALITÉ, au lieu de nous bercer d'illusions (et de spectacles pour bobos)! Qu'imaginez-vous, chers amis, une prochaine "chute du Mur de Berlin", version mahométane...j'ose espérer que vous plaisantez!)
    Info. trouvée sur le F.C.:

    Procès des non jeûneurs d’Ain El Hammam : le procureur a requis 3 ans de prison:

    Le procureur de la république du tribunal d’Ain El Hammam, à 45 kilomètres à l’est de la ville de Tizi Ouzou, a requis lors du procès qui s’est ouvert ce mardi 21 septembre, 3 ans de prison ferme à l’encontre des deux non jeûneurs H. H, âgé de 47 ans et S.F, âgé de 34 ans, a-t-on appris de sources présentes sur place. Le verdict est laissé en délibéré pour le 5 octobre prochain a indiqué la même source.

    La défense, constituée de 5 avocats, maîtres Ait Mimoun, Ait Larbi, Ahmed Hocine, Nacira Hadouche et Aissa Rahmoun, a plaidé la relaxe. Les avocats de la défense ont battu en brèche les faits retenus contre les deux prévenus et ce en rappelant qu'ils ne constituent pas un délit. Tout au long de leur plaidoyer, les avocats ont mis en avant le fait que techniquement l’article 144 bis 2 ne s’applique pas aux faits qui ont conduit à l’arrestation des deux non jeûneurs.

    De leur côté, les deux prévenus appelés à la barre ont plaidé non coupables et ce en mettant en avant le fait qu’ils sont de confession chrétienne et qu’ils ne sont, du fait, pas obligés d’observer le carême. De surcroît, se sont-ils défendus, au moment de leur arrestation par la police ils étaient en train de boire de l’eau dans un chantier, donc à l’abri des regards, et non pas sur un espace public. La défense a également indiqué qu'il n'existe aucun article de loi qui oblige à observer le jeûne.

    Il est à noter que durant toute la durée du procès, un sit-in populaire auquel ont pris part plusieurs centaines de citoyens, de militants des droits de l’homme, du RCD, du MAK, venus des quatre coins de la wilaya de Tizi Ouzou et de Bejaia, se tenait devant l’entrée principale du tribunal d’Ain El Hammam. Des slogans en faveur des libertés individuelles et de condamnation du pouvoir en général et de l’appareil judiciaire en particulier fusaient sans interruption tout au long du procès.

    Source:
    http://www.tsa-algerie.com/divers/proces-des-non-jeuneurs-d-ain-el-hammam-le-procureur-a-requis-3-ans-de-prison_12276.html

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