samedi 15 septembre 2012

Nicolas de Cuse: «Si l'on préfère présomptueusement et témérairement un rite particulier à l'unité et à la paix...»

Patrick nous envoie «un texte du cardinal Nicolas de Cuse, daté de 1451, qui [lui] semble toujours d'actualité dans les controverses et les difficultés que nous connaissons aujourd'hui. Il s'agit d'extraits de la lettre qu'il avait adressée en tant que médiateur aux Hussites qui s'étaient rebellés contre Rome et qui refusaient en particulier la réforme de la messe qui avait retiré la coupe aux fidèles». De fait, le parallèle est saisissant:
«Vous avez tort de croire qu'il y a plus de fruit à boire le calice de la séparation qu’à n'user que du seul agneau pascal dans la paix et dans l’unité. Recevoir avec une volonté séparatrice le calice du Seigneur de l'unité et de la paix, c'est le recevoir en vain, car il ne peut conférer 1a vie à un membre séparé de cette Église qui est le corps du Christ. Ne dites pas que c'est le reste de l’Eglise qui s'est séparé de vous et que c'est vous qui constituez la véritable Église, réduite à cette petite partie de la Bohême. Assurément, dans l'unité de l’Église, la variété des rites est sans danger, personne n’en peut douter. Mais si l'on préfère présomptueusement et té­mérairement un rite particulier à l'unité et à la paix, fût-on personnellement bon, saint et digne d'éloges, on mérite pourtant condamnation. Vous dites qu'il faut obéir d’abord au précepte du Christ, ensuite seulement à l’Eglise, et que si celle-ci enseigne d'autres préceptes que le Christ, ce n'est pas à l’Église mais au, Christ qu’il faut obéir. Or c'est là précisément le commencement de toute présomption, lorsque les particuliers­ jugent leur opinion privée en ce qui concerne les commandements divins plus conforme à la Volonté divine que l'opinion de l’Eglise universelle [...]

Avec le temps les rites sacramentels et sacrificiels ont pu se modifier alors que la Vérité est restée semblable. On a pu adapter aux époques les Écritures et les inter­préter de diverses façons, mais de manière pourtant qu'en un temps donné elles soient exposées selon un rite universel. Le rite évoluant, l'interprétation doctri­nale peut évoluer. Le Christ, en effet, à qui le Père a transmis les royaumes du ciel et de la terre et qui les gouverne tous deux, dispense les mystères selon la variété des temps à travers l'admirable hiérarchie des Anges et des hommes, et il leur suggère ce qui convient à chaque temps soit par inspiration secrète soit selon une plus claire évidence [...]

Il faut donc suivre sans faute l’Église lorsqu'elle juge ce qui convient en chaque temps, car elle possède la foi et conserve 1e dépôt reçu, même s'il devait se glisser quelque erreur dans ce Jugement. Le cas est le même que celui du juge qui, circonvenu par un faux témoignage, excommunie un innocent, sans commettre en conscience un acte répréhensible. Ce juge ne transgresse pas mais il suit au contraire la règle qui lui impose de juger selon les témoignages et les preuves. Et l’innocent, en obéissant à la sentence et en se séparant ainsi du corps de l’église, ne perd pas la grâce ou la vie qui proviendrait du sacrement, mais, en obéissant à l’Eglise même si elle a tort, il obtient le salut, quoique privé de sacrement. […] Mais toute présomption contre l’Eglise est condamnable, ainsi que le refus d’obéir qui va jusqu’à la division schismatique, nonobstant tout prétexte spécieux tiré de la pratique des Écriture et allégué en faveur de la résistance ou de la rébellion. Conclusion qui ruine vos desseins avec toutes leurs raisons, car l’usage actuel de l’Eglise universelle et le précepte de l’Eglise romaine, fondé rationnellement sur cet usage, n’admettent aucune dispense.»
Vraiment, le parallèle est saisissant et tout le débat traditionaliste des 40 dernières années peut s’articuler autour de ce texte, tiré des «Oeuvres choisies de Nicolas de Cuse», p. 356-358, ed. Aubier 1942

9 commentaires:

  1. quel parallèle?
    attention à ne pas confondre:
    - un texte d'avant l'action de Saint Pie V qui dut codifier la sainte messe justement contre les "nouveautés" ou "créativités" ou "inculturations" dans le rite catholique de paroles et de sens pas forcément très catholiques. Saint Pie V écartera tous les rites particuliers trop "modernes" à son époque, ne justifiant pas d'une ancienneté suffisante pour garantir son orthodoxie.
    - la "désobéissance" à la messe de Paul VI exactement pour cette cause-là: la perte de sens sacrificiel de la messe, ses dérives prévisibles en autant de rites particuliers, souvent blasphématoires même, etc....

    Obéissance due dans le sens de Saint Pie V, oui, mais en conséquence désobéissance due également à des papes opposés au sens de Saint Pie V.
    Le Nouvel Ordo Missae fait perdre la foi catholique, la transforme en une "nouveauté" étrangère au catholicisme. Les papes conciliaires sont papes mais n'ont aucune autorité véritable quand ils professent des erreurs.

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    1. Les papes devraient se mettre à l'école du courant intégriste et de ses mille blogueurs anonymes, seuls infaillibles et capables de discerner le vrai de l'erreur dans leurs décisions et discours. Quand je pense que c'est si simple et qu'une telle vérité de bon sens n'à pas encore été érigé en dogme! prions pour l'Église et l'Unité des chrétiens, et pour le bien-aimé Benoît, qui a bien à souffrir, de sa droite comme de sa gauche...

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  2. @Anonymus tacitus bavardusque,
    L’Eglise de Rome n’a jamais aboli la Sainte messe de St P.V. Cela a été rabâché, mais on peut encore le répéter…On ne s’en lasse pas du tout. On a d’ailleurs que ça à faire !
    Non, moi, pas présidente, face ce texte, je n’ai qu’une seule chose à dire : « Evident mon cher Watson ! »
    Benoîta, bavardissima.

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    1. cela a beau être rabaché,Benoita,il n'empêche que:
      - le rite ordinaire est celui de Paul VI, que l'on est obligé par Rome d'avaliser, sous peine d'être accusé de schismatique,
      - il faut donc accepter à minima ce rite, ou alors le biritualisme: dans ce cas, quid de l'unité si chère à Nicolas de Cuse?
      - l'obéissance selon Nicolas de Cuse est d'ailleurs contestée dans l'histoire de l'Eglise: bien des saints ont désobéi, sous peine même d'excommunication: comme quoi la question n'est pas d'obéir aveuglément, présomptueusement dit-il, mais il existe des cas où les autorités elles-mêmes sont à reprendre et méritent une sainte désobéissance à elles, par obéissance à es motifs supérieurs, par obéissance à Dieu.
      - le parallèle donc de l'obéissance au pape pour le salut n'est donc pas du tout évident! Quant à obéir à l'Eglise, nous sommes d'accord, il s'agit de savoir laquelle: la catholique ou la conciliaire?

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    2. Il n'y a pas à se poser de question : il n'y a qu'une Eglise ni catholique ni conciliaire ; c'est celle qui est conduite par le Pape Benoît XVI, point-barre. Tout le reste n'est que calembredaines.

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  3. Cher Guillaume,

    Me trouvant alors pour à la campagne, je n’ai pu répondre à votre réponse du 6 août dernier, dont je vous remercie vivement, sans bien sûr que notre différent métaphysique s’en trouve surmonté. Merci aussi pour ce beau texte de Nicolas de Cues, dont on voudrait que la sagesse inspirât toutes les parties intéressées à la question liturgique. Peut-être ne suis-je pas le seul de vos lecteurs qui souhaiterait connaître la référence exacte du passage cité, c’est-à-dire l’œuvre du Cusain dans laquelle il se trouve, avec la mention du tome et de la page de l’édition des Opera omnia publiée à Heidelberg à partir de 1932. Pour ne pas quitter le cardinal mosellan, voici deux courts extraits de son célèbre traité De docta ignorantia, livre III, chapitre 12, que je traduis rapidement du latin.
    Dans le premier, il réfléchit sur l’analogie paulinienne membres / corps humain et fidèles / corps mystique : « […] cette union est l’Église, c’est-à-dire la communauté des multiples dans l’Un, de la même manière que les membres multiples sont dans un corps, chacun cependant à son degré ; où l’un n’est pas l’autre, et où chacun est dans le corps un, à travers lequel chacun est avec chacun ; où nul ne peut avoir la vie et la subsistance sans le corps, bien que l’un ne soit tous que par la médiation du corps. C’est pourquoi la vérité de notre foi, tandis que nous pérégrinons ici-bas, ne peut subsister que dans l’Esprit du Christ, l’ordre des fidèles demeurant sauf, de telle sorte qu’il y ait diversité dans la concordance en un seul Jésus» (NIKOLAUS VON KUES, Philosophisch-Theologische Werke, vol. I, Hambourg, Felix Meiner Verlag, 2002, p. 88-90).
    Le second fragment nous ramène au désir de Dieu, et il n’est éloigné du précédent que d’une page… : «Béni soit Dieu, qui nous a donné l’intellect, qui ne peut être rassasié dans le temps ; comme son désir ne trouve pas de limites, il s’appréhende lui-même, à partir de son désir temporellement insatiable, comme immortel au-dessus du temps corruptible, et il connaît qu’il ne peut être rassasié par la vie intellectuelle désirée que dans la fruition du Bien le meilleur et le plus grand, qui ne défaille jamais, et où la joie ne passe jamais» (op. cit., p. 92-94).
    Le lien entre les deux objets que médite la « docte ignorance » est évident : le désir de Dieu trouve ici-bas son premier accomplissement dans la foi vive, laquelle nous constitue membres du corps mystique, qui est comme une anticipation de la vie éternelle, où tous verront Dieu, et seront par là tous en tous.

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    1. Je réponds à Alain CONTAT qui demandait la référence du texte de Nicolas de Cuse que je vous ai envoyé récemment.

      L'extrait provient du livre de Muarice de Gandillac "Œuvres choisies de Nicolas de Cuse" publié en 1942 chez Aubier-Montaigne. Maurice de Gandillac avait utilisé l’édition de Bâle de 1565, pages 830, 833 et 837; cette édition en un volume reproduisait l’édition de Lefèvre d'Etaples en trois volumes (Paris, Jode Bade 1514).
      L’édition de Heidelberg, pour sa part,a repris ce texte au volume XV, Opuscula III, fasciculus, sous le titre:
      Opuscula Bohemica. De usu communionis. Epistulae ad Bohemos. Consilium Nicolai Cardinalis S. Petri. (Dubium:) Intentio de eadem materia. Edd. Stephanus Nottelmann et Iohannes Gerhardus Senger, Hamburgi

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  4. Merci beaucoup de ces indications très précises.

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  5. Je trouve qu'il serait plus judicieux de discuter de la question de l'inégalité isopérimétrique à la base du concept de la docte ignorance, de sa modetnité par rapport aux théorème de Godel, de l'approche de Vinci...

    La théologie du cussain

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