[par Joël Prieur] texte paru dans "Monde et Vie" n°865 d’octobre 2012
Deux
enseignantes catholiques. Une même passion pour la pédagogie. Un même sérieux
dans le travail d’information et de présentation des données. Une
scientifique. Une philosophe. Le résultat : un livre très abouti, présenté
sous forme de manuel, mais
d’une grande limpidité d’écriture, intitulé Les formes de la vie et la
question de l’évolution. Un petit bijou pour les chercheurs de vérité,
aussi éloigné du fondamentalisme stupide que de la servilité vide envers une
absurde déesse Science.
Dominique Spisan et Eva Dejoie, vous venez de publier un ouvrage de synthèse sur Les formes de la vie et la question de l’évolution. Qu’est-ce qui vous a poussées à écrire ce nouveau livre sur un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre?
E.
D.: Le fait justement que si on a beaucoup écrit, on a rarement vu où se
situaient les questions réelles, ce qui rend problématiques les conclusions de
la plupart des livres consacrés à l’évolution, qu’ils soient pour ou
contre celle-ci : en effet, c’est un sujet qui se situe au croisement de trois
domaines fondamentalement différents et distincts, la science, la philosophie
et la théologie. Or, dans l’immense majorité des cas, les plans sont mélangés
; des présupposés philosophiques ou religieux, qui relèvent parfois d’a
priori inconscients, interviennent dans les débats scientifiques sans se présenter
comme tels. Deux écueils sont ainsi à éviter : mélanger les niveaux ou réduire
a priori la question à une seule de ses dimensions, en déniant la légitimité
d’approches complémentaires.
L’intention était donc d’offrir au grand public une vision d’ensemble des
questions qui sont en jeu, à la fois en distinguant soigneusement les domaines,
en respectant la complexité des problèmes et en donnant la synthèse la plus
claire possible. En même temps, il permet aux élèves du collège et du lycée
de disposer d’un cours de biologie sur l’évolution répondant aux exigences
des programmes officiels qui abordent le sujet de la sixième à la terminale.
Du point de vue théologique, avons-nous une tradition interprétative des premiers chapitres du Livre de la Genèse?
E.
D.: Ce qui nous a beaucoup intéressé, c’est de voir, comme le souligne saint
Thomas, la divergence entre saint Augustin et d’autres Pères de l’Eglise
sur l’interprétation de la Genèse, le premier estimant qu’il fallait lire
le détail de l’oeuvre des six jours dans un sens métaphorique: cela ne gênait
absolument pas le docteur commun, preuve que diverses interprétations sont
possibles. Il explique que la Bible est écrite dans un langage imagé et lié
à un contexte culturel dif férent du nôtre ; il ne faut donc pas y chercher
un vocabulaire scientifique ni des précisions techniques qui ne sont pas
conformes aux genres littéraires de ces textes. On ne peut rien en tirer sur le
plan scientifique, pour ou contre une éventuelle évolution.
Y a-t-il aujourd’hui une réponse définitive à la question de l’évolution?
D.
S. : Sur les plans théologique et philosophique, la réponse est connue depuis
longtemps: un Dieu créateur est à l’origine de tout l’Univers. Mais
cette certitude ne dit rien sur la manière dont Dieu a procédé : la question
du comment est l’enjeu des débats scientifiques. Sur ce plan, une seule
hypothèse est proposée pour l’instant par la communauté scientifique, celle
de l’évolution, avec diverses théories explicatives. Des indices semblent
converger vers cette hypothèse, tandis que d’autres n’y semblent pas
conformes. Lorsqu’on examine ensuite les mécanismes proposés, ils sont
encore plus discutés. L’évolutionniste S. J. Gould par exemple a lui-même
remis en cause l’importance de la sélection et de l’adaptation. Selon sa théorie
hiérarchique, elle-même contestée, l’évolution comprendrait des mécanismes
à différents niveaux de complexité, imbriquant déterminismes et contingences
en tous genres. En un sens, sa théorie illustre le degré de complexité de la
question, qui ne peut être traitée à coup d’arguments simplistes, dans un
sens comme dans l’autre. Les discussions et recherches qui alimentent le débat
comportent des informations à
valeur variable. Aujourd’hui les théories forment un ensemble aux contours
flous et au contenu difficilement définissable.
Que penser du créationnisme?
E.
D.: D’origine protestante, c’est une forme de fondamentalisme qui prône une
lecture littéraliste des Ecritures, en méconnaissant la dimension incarnée de
la parole divine. Ce terme est malheureux car il porte à confusion. Etre
catholique suppose de croire au Créateur ; le créationnisme, lui, est une
interprétation privée, qui ne découle pas de la foi, n’a rien de
traditionnel, et que le Magistère de l’Eglise n’a jamais faite sienne.
Pensez-vous que l’on puisse admettre un seul couple humain à l’origine? Certaines découvertes paléontologiques ne supposent-elles pas plusieurs foyers de développement à l’origine de la vie humaine?
E.
D.: La foi enseigne de façon indubitable l’existence d’un couple unique à
l’origine de l’humanité, dont l’âme a directement été créée par
Dieu.
D.
S.: Trois théories sur l’origine de l’homme s’affrontent. Le
monocentrisme défend l’origine africaine unique pour tous les Homo sapiens
aux environs de – 120000; partis d’Afrique ils auraient colonisé les autres
continents. Le pluricentrisme prétend que les Homo erectus auraient émigré en
diverses régions, puis auraient évolué en sapiens de façon convergente et
indépendante. L’inconvénient
est d’introduire des différences essentielles entre plusieurs «sortes
d’hommes». Une théorie
intermédiaire prône des brassages génétiques entre formes sapiens archaïques
entre – 400 000 et – 100 000. Des exercices du Bac confrontent les élèves
à ces questions. La première théorie, dite «
Out of Africa », réunit
maintenant une majorité de scientifiques grâce à des études génétiques sur
les populations humaines des différents continents, études combinées avec
celle des caractéristiques physiques de 6000 squelettes fossiles. Depuis 2007
surtout, la théorie de l’Out of Africa semble confirmée.
Entretien réalisé par Joël Prieur
Dominique Spisan et Eva Dejoie, Les formes de la vie et la question de l’Evolution, éd. Tradition monastique 240 pp. 28 euros
Vous oubliez de citer Jérôme Lejeune père de la génétique et qui a découvert que l'homme en tant qu'espèce est né de deux seuls individus et qu'il a appelé ... Adam et Eve !
RépondreSupprimerCe que j'ai pu entendre des généticiens aujourd'hui ne remet pas en cause cette découverte mais l'a confirmé au contraire.
Le professeur Jérôme Lejeune a d'autre part montré que la théorie de l'évolution ne tient pas du point de vue de la génétique, car deux espèces différentes ne sont pas inter fécondes. La modification génétique propre à l'évolution de l'espèce conduit ainsi à un cul de sac du point de vue de la reproduction.
Au grand dam des théoriciens, la génétique donne plutôt raison à la vision Biblique, et pourtant Jérôme Lejeune n'était ni créationniste ni fondamentaliste, tout simplement scientifique parce que Catholique, cad attaché à la Vérité et donc à sa recherche.
Je suis enseignant et chercheur en génétique microbienne,lecteur occasionnel et discret du métablog, évolutionniste (cela va sans dire), et je prépare justement en ce moment une conférence sur "liberté et déterminisme biologique" notamment le déterminisme du gène sur certains comportements y compris chez l'Homme. Je dois avouer que je suis assez surpris de ce que je lis, je croyais pourtant que nous étions en avance sur les Américains.
RépondreSupprimerTout ce que je lis me semble dater énormément. Gould? dépassé!, et réconcilié avec Darwin depuis que la génétique du développement a justifié ses équilibres ponctués entre-autres (je renvoie à l'évolution des plans d'organisation bien documentée par Gilbert 3e ed.). Lejeune? Je sais bien qu'il est une figure chère au cœur de bien des chrétiens, mais sur le strict point de vue de la génétique, c'est un dinosaure! Il faut savoir qu'en évolution, sortir une publication de plus de 10 ans, cela relève de l'archéologie.
Enfin, il est toujours positif de constater que la question commence à intéresser les philosophes. Il faudra bien un jour que ceux-ci, travaillent de concert avec nous (et ce sera difficile, voire douloureux, mais ô combien nécessaires pour les penseurs chrétiens), parce que tant que leur compréhension de l'évolution se limitera à des concepts superficiels, approximatifs, surannés et donc faux, le rapport de l'Homme à la nature restera mal compris, voire mal assumé.
Pour finir, je renverrai les croyants que l'évolution angoisse, à une article que le Père de Blignières avait signé dans sedes sapientiae il y a quelques années, distinguant un évolutionnisme des corps et un créationisme ontologique.
cher monsieur, je suis 'le webmestre' de ce blog et j'aimerais que vous me contactiez, en cliquant sur [contact] tout en haut à gauche de chaque page.
SupprimerJe ne m'embarquerai pas dans un débat avec ces dames professeurs et ce chercheur évolutionniste qui nous explique que tout ce qui est dépassé de dix ans en matière d'évolution est déjà de l'archéologie (sic), mais je tiens à rappler deux ou trois choses:
RépondreSupprimer1. Le créationnisme est moins une croyance fondamentaliste d'ordre privé et d'origine protestante que la continuation et continuité théologique de la croyance (peut-être surannée) de l'eglise catholique en l'inerrance biblique.
2. Il n'y a pas que les philosophes et les théologiens qui évoluent dans leurs recherches d'après des a priori inavoués, mais aussi les scientifiques et les historiens, dont les conclusions provisoire ou hypothétiques résultent d'axiomes d'autant plus inavouables que la science ne veut pas avoir partie liée avec une conclusion déjà connue de la subjectivité de l'investigateur.
3. Dieu, que l'hypothèse "out of africa" est moderne, puisqu'elle suggère une colonisation à l'envers, et cela est très branché, rétablit à bons comptes des rapports de symétrie politique qui nous dédouane de tout contentieux, puisque l'assymétrie a payé ses dettes depuis la préhistoire. Cette résolution du contentieux historique actuel serait absente de la subjectivité scientifique? Laissez-moi me gausser!
4. L'évolution pose deux problèmes philosophiques:
a) Qu'en est-il en dieu du Vis-a-vis? Evidemment, la création n'est pas nécessaire si dieu ne Crée pas par besoin; mais la totalité trinitaire ne me paraît pas évacuer si facilement le besoin en Dieu d'un vis-A-vis projectif, au profit de nos fixations faciles d'un dieu Immuable, Ineffable, autosuffisant, Permanent et Immobile. Inutile de dire qu'en dieu, le besoin et le désir sont synonymes, puisque dieu ne Crée pas par caprice, mais en tant que de besoin, et que le désir de dieu a la capacité de se réaliser de par sa volonté, de même que tout nôtre désir sort du flou métaphysique par la volonté, instance de l'âme.
b) La vie ne peut pas commencer dans le carbone et s'achever dans l'incorruptibilité. Ou bien c'est la laïcisation la plus intelligente (et la plus diabolique) qui ait jamais été formulée de la vie éternelle et il faut reformuler tout le donné de la foi. Personnellement, je ne peux pas me résoudre à ce que la foi soit appréhendée avec sérénité comme une mythologie parmi d'autres, actualisée avec une acuité particulière. L'usure et la corruption sont les grandes oubliées et les grandes impensées de l'évolutionnisme chrétien, qui est une espèce d'hymne teilhardienne à la croissance infinie, à laquelle il a fallu le Père Martelet pour rappeler que la mort existait. Encore le Père Martelet n'a-t-il su que faire de la mort, qui a substitué "l'immortalité de l'esprit" à l'immortalité de l'âm