C'est dans l'émission de Laurent Ruquier On n'est pas couché que le grand schisme de gauche s'est étalé en pleine lumière. Il a suffi d'un chroniqueur en instance de divorce avec son patron, Aymeric Caron (qui sera bientôt remplacé par Yann Moix) et d'une chroniqueuse sourcilleuse sur le respect qui est dû à "ses analyse rigoureuses" (ipsa dixit) pour que le pétage de plomb soit complet. C'est vrai l'auditeur insuffisamment parisianiste aura eu l'impression d'un simple règlement de compte personnel de part et d'autre, Aymeric insistant sur les procès en diffamation et le retrait de certains texte de la chroniqueuse, Caroline Fourest (car c'est d'elle bien sûr qu'il s'agit) insistant vainement sur son dernier livre, Eloge du blasphème, dont le titre est à soi seul tout un programme.
En réalité, ce qui est en question est infiniment plus profond : il s'agit de deux conceptions de la mission de la Gauche dans notre société. Je parle de "mission" car la problématique dans laquelle nous entrons est religieuse. Depuis le 11 janvier dernier, la Gauche, pour son bonheur ou son malheur est entrée en religion. "Tout est religieux désormais, déclare Emmanuel Todd à l'Obs. Mais tout est religieux parce que la religion s'éclipse et que rien ne l'a supplanté". Nous reviendrons sur cette éclipse. Comme disait Péguy dans Notre Jeunesse "quand il y a une éclipse tout le monde est à l'ombre".. C'est Péguy qui a bien vu l'importance de ce qu'il appelait la mystique en politique, mystique dreyfusiste, qui, selon lui, fut trahie par la politique dreyfusarde. Aujourd'hui c'est l'inverse : la politique française est trahie (il n'y a plus guère de politique française, tout est bruxellois) par la mystique antiraciste (qui est le dernier enjeu accessible à nos politiques) ou par la mystique républicaine.
Entre ces deux mystiques, Emmanuel Todd ne veut pas choisir. Il explique d'un côté que le 11 janvier était "une imposture" et de l'autre qu'il ne faut pas accorder trop d'importance à la présence des musulmans en France, car leur communauté est "la plus faible"... Il s'est immédiatement attiré les foudres de Sophia Aram sur France Inter : "Sincèrement, ne vous en faites pas trop pour les musulmans et les
immigrés. L'immense majorité sait vivre dans un pays laïc, dans lequel
la liberté d'expression ne se négocie pas sur l'autel de la
condescendance. Et vous savez quoi ? Pour de nombreux immigrés, croyants
ou non, ça fait même partie des raisons pour lesquelles ils ont choisi
ce pays. Alors détendez-vous et traitez-nous en adultes, c'est peut-être
encore la meilleure façon de nous respecter, monsieur Todd". Fermez le ban ! Et gageons que les Charlies ne sont pas plus satisfaits que les représentants de la Diversité de la position de Monsieur Todd.
Sa thèse en l'espèce est que les Charlies sont avant tout ce qu'il appelle des catholiques zombies, c'est-à-dire ces catholiques qui ont perdu la foi mais qui ne représentent pas vraiment la pure et dure culture de gauche dont lui se revendique et qui est la vraie culture de la liberté d'expression. Pour lui la culture Charlie est foncièrement intolérante. Et cette intolérance, manifestée par M. Hollande comme par M. Valls a, pour M. Todd, les relents de catholicisme que l'on trouve dans la culture du Président (père d'extrême droite mère démocrate chrétienne) comme dans la culture "franquiste" de Valls. Pour Emmanuel Todd, il faut s'éloigner de cet unanimisme aux relents de catholicisme et défendre une vraie liberté d'expression.
Nous avons donc un schisme de gauche à trois entrées (comme il y eut autrefois trois papes pendant le grand schisme) : Aymeric Caron, c'est l'immigrationisme (Charlie ouvert à tous). Caroline Fourest c'est le laïcisme (Charlie pur et dur : attention à l'islamisme). Nous sommes entre le démocratisme de la Diversité obligatoire et le républicanisme absolutiste au service de l'Oligarchie dominante. Et Emmanuel Todd ? Au risque de passer à son tour pour un zombie, il n'est ni d'un côté ni de l'autre... Il exprime une troisième sensibilité de gauche, celle qui croit à la liberté d'expression et à un avenir où chacun, quelle que soit sa communauté d'origine, saura vivre de la France. Dans son Histoires des gauches Jacques Julliard estimait que cette gauche là (celle d'Aristide Briand par exemple proposait-il) était en quelque sorte matricielle et qu'avec les bourgeois-Bohême, on était en train de revenir à cette matrice. Des trois gauches, c'est en tout cas celle qui a la mystique la plus faible. Et pas davantage de politique...
Nous n'avons pas fini avec cette guerre de mystiques entre les gauches. Il faudra savoir en rire. En effet, elle se présente et se présentera toujours comme d'autant plus inexpiable que la prégnance réelle des politiques sur les événements est plus faible.
La majuscule de bourgeois-Bohême est délicieuse. Merci pour ce quasi-anoblissement. Luiggi. J'aurais préféré une chronique sur le manteau rouge de Jean-Marie. Peut-on passer commande?
RépondreSupprimerEmmanuel Todd est passé du "hollandisme révolutionnaire" à un protectoralisme des "communautés les plus faibles" au nom d'un anticatholicisme qui ne coûte pas cher et qui est le fond commun de cette lutte entre les gauches, aupoint de conforter les catholiques dans l'illusion qu'être de droite est leur seul refuge identitaire et leur milieu naturel.
RépondreSupprimerDu point de vue des musulmans d'origine, sofia Aram a raison de faire un bras d'honneur à la condescendance de ce défenseur autoproclamé des minorités opprimées, qui joue une partition soralienne égalité et réconciliationniste d'un autre genre, des juifs et des musulmans sur le dos des catholiques, on ne sort pas de cette guerre des religions à l'éclipse de la foi et qui se replient sur l'identité des croyants.
Naturellement, Emmanuel todd a raison sur un point: l'esprit Charlie était l'imposture de ceux qui, comme vous le dites, ne sont plus accessibles qu'à la mystique antiraciste ou républicaine. Mais qu'il assimile ces deux mystiques également ignorantes de l'autre à force de se vouloir altérophiles ou simplement sociales au catholicisme zombi, excusez-moi, mais vous y êtes pour quelque chose. Vous y êtes pour quelque chose parce qu'"à chaud", vous étiez d'un charlisme spontané.
Même si je ne suis pas roico pour un sou ni pour une soupe (du moins je ne crois pas), je vous préfère nettement carliste que Charlie.
Addendum:
RépondreSupprimerL'antiracisme, c'est l'altérophilie sans l'autre. C'est la fascination de l'étranger dont on nie les origines alors qu'on ne voit qu'elles.
Le socialisme, c'est le culte de la société impersonnelle, c'est la vibration intellectuelle du cœur pour la solidarité sans spécificité de demande ou de situation, C'es la dimension solidaire de la charité dénuée de sa transitivité transcendentale, divine ou personnelle.
Le républicanisme, c'est l'appropriation de "la chose du peuple" par une idéologie caractérisée par l'affirmation de valeurs non définies.
Et enfin, depuis hier soir, le frontisme, c'es le patriotisme qui a renié le père.
J'ai écouté M Todd sur France Inter , en réponse à sa " collègue" Fourest sur la m^eme fréquence la semaine précédente .
RépondreSupprimerPétard mouillé !
Il faut dire que le pôvre avait à faire face aux chroniqueurs bien pensants de cette station .
Il n'a du son répit qu'en rappelant qu'il était issu d'un "milieu judeo bolchevique" et plus tard dire que son grand père était rabbin à Bordeaux .
Deux jokers pour se tirer d'affaire !
Ce n'est pas à la portée de tous les invités qui professent des idées originales.
Il m'a cependant semblé qu'il regrettait la disparition de la " Mystique" avec celle des religions. Pour avouer en conclusion qu'il éprouvait les craintes les plus grandes pour les juifs dans ce pays .
En boxe , on dirait en de telles circonstances : " sauvé par le gong" ou encore " jet de l'éponge" pour éviter le KO".
Quand on s’approche de la politique, même par la petite porte, il est nécessaire de penser globalement. Dans notre monde globalisé, croire à une politique nationale (pour l’instant) est totalement hors de la réalité (Ou alors on ne sort pas des salons du XVIIIème !). Or, si on fait un peu de Métapolitique, on voit tout de suite que l’économique a pris la place du politique et que l’Amérique dirige Bruxelles qui avec Berlin dirige la France.
RépondreSupprimerDerrière l’économie se cache certes une mystique, c’est de plus en plus évident et c’est même un des signes de la fin des temps ! La gauche française peut se diviser en autant de mystiques qu’elle voudra, cela n’a aucune influence sur le monde qui nous dirige sauf à rentrer dans son jeu (par pure bêtise et par une similitude d’âme). Voilà pourquoi les français n’ont pas encore pris conscience du mal qui gangrène la France : Ils ne connaissent pas les forces en jeu. Les gauches, les droites, c’est de l’histoire ancienne. Le monde tourne à tout allure. La mystique à l’œuvre c’est celle qui consiste à vouloir (même sans aucune chance de gagner) détruire par tous les moyens (économie, mœurs, violence) la chrétienté, la vraie, la catholique. Toutes les forces en jeu ne visent que ce but. Tout le reste n’est malheureusement que de la littérature ! Dans le tableau, il y a toujours les idiots utiles...
J'ai vu Todd hier soir à CSOJ. En fait je le trouve plutôt convaincant, dès lors qu'il a expliqué que le "catholique-zombie" est un ancien catholique devenu athée : Hollande en est un exemple pour ainsi dire vivant. Il est en tout cas extrêmement clivant pour la gauche petite bourgeoise. Je me réjouis aussi de le voir traiter la politique de Valls de pétainiste. Un type honnête, ce Todd, qui voit juste et tape là où ça fait mal.
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