samedi 15 mai 2010

Laïcité et humanisme

Qu'allons-nous enseigner aux enfants de la France pluriculturelle et pluricommunautaire d'aujourd'hui ? Les laïcs imaginent que Ferdinand Buisson a toujours raison et que c'est la laïcité telle qu'elle a été théorisée et pratiquée entre 1901 (lois sur les associations - qui devait servir à réformer l'Église catholique en France) et 1923 (accord entre Aristide Briand et le Saint Siège par laquelle, contrairement à l'article 2 de la Loi de 1905 [l'État ne reconnaît, ne salarie ou ne subventionne aucun culte] l'État désormais reconnaît la structure épiscopale de l'Église de France), que c'est donc cette laïcité Troisième République qui résoudra le problème de l'intégration... La laïcité Troisième République est née d'un dialogue - parfois musclé : voir les fameux "inventaires" - entre l'Église et l'État. Aujourd'hui l'Église, qui garde une place symbolique forte, est devenue quantité négligeable. En outre, cette laïcité se fonde sur une société dont les structures restent des structures chrétiennes. Cela n'est plus le cas aujourd'hui. Enfin cette laïcité se fondait sur un accord philosophique autour de ce que l'on pourrait nommer "les postulats de la philosophie de l'esprit". Cette philosophie de l'esprit est morte avec la Modernité. La post-modernité raisonne autrement, cherchant un ordre non pas dans le pouvoir structurant de l'esprit humain mais... dans ce qui reste après le déluge. Les philosophies d'aujourd'hui, de Michel Onfray à Jean-Luc Marion, sont des philosophies qui tentent un inventaire des produits de la raison ("Comment penser après Auschwitz ?"). Mais personne ne croit plus au pouvoir ordonnateur de l'esprit humain, fondement non-dit de la laïcité comme on le voit clairement dans les textes de Buisson et dans ce kantisme pour instituteurs qui a régné sur les esprits jusqu'aux années Soixante dix. Personne ne croit plus aux idéologies officielles. Personne ne place aucune forme d'espérance dans la raison politique...

La laïcité systématique est une vieille chose antichrétienne qui n'avait de valeur que face au christianisme (comme le protestantisme n'a de valeur que face au catholicisme). Elle est impensable aujourd'hui. Restent des interdits, des négations, des blocages, qui ne tiendront pas longtemps, et qui, déjà, face à l'islam s'effritent. Quand une collectivité locale construit une Mosquée, cela signifie que la loi de 1905, "colonne du Temple" comme l'appelait Jacques Chirac, est une colonne brisée.

Que reste-t-il aux élèves qui sont toujours "entre les murs" des lycées casernes hérités de la Réforme de l'Instruction publique, devenue monstrueusement "Éducation nationale"?

Il leur reste la culture occidentale, cet humanisme qui remonte à la Renaissance ou à l'Age baroque, que les jésuites ont partagé avec les grandes institutions protestantes d'Europe. Le luthérien Leibniz me semble un produit assez caractéristique de cette culture européenne, antérieure à la guerre civile issue des Lumières. Alors que les profs voient leurs préventions idéologiques tomber les unes après les autres, alors que l'on peut à nouveau parler à l'école de religion, le schéma laïc périmé, devrait laisser la place à un nouvel humanisme, à un véritable inventaire, où l'on redécouvrirait le pouvoir civilisateur du christianisme, où l'on retrouverait cet accord foncier entre la foi et la raison que Benoît XVI a évoqué à Ratisbonne en 2006.

C'est une manière absolument moderne d'être baroque que je propose. Je crois que tout naturellement c'est vers cet état d'équilibre et de paix, c'est à cette culture partagée que l'on revient. Le problème en France n'est pas de renforcer la laïcité (voir en ce moment les gesticulations absurdes autour de la manière dont les femmes doivent s'habiller, gesticulations qui nous font régresser au début du XXème siècle, lorsque les religieux se voyaient interdire le port de leur habit distinctif). La laïcité ne parviendra qu'à voiler le problème en balisant notre vivre ensemble de nouvelles interdictions. Le problème est de retrouver cette culture partagée pour laquelle milite Benoît XVI, le problème est de retrouver un humanisme, qui ne soit pas le matérialisme minimaliste et finalement terroriste cultivé au XVIIIème siècle, mais ce que j'appellerais volontiers la Tradition du Logos du Moyen âge à nos jours, cette Tradition critique mais non criticiste qui constitue l'identité européenne culminant à l'Age baroque et rayonnant jusqu'à nos jours dans les grandes oeuvres intemporelles que l'on retrouve quand on est lassé des va et vient de la mode "intellectuelle".

La postmodernité est le temps de l'inventaire. C'est cet inventaire de l'humanisme, dans lequel, à travers la Renaissance on retrouve le XIIIème siècle, mettant entre parenthèse les horreurs du XIVème et du XVème (la peste, le schisme, la guerre et le nihilisme volontariste), qu'il s'agirait de redécouvrir comme socle d'un véritable vivre ensemble. Comme abrégé de ce que l'on enseigne à l'École à tous les élèves.

7 commentaires:

  1. L’espérance chrétienne est un ferment essentiel de l’humanisme. Sans cette précieuse vertu, comment, en effet, la liberté véritable pourrait-elle germer au cœur de l’homme ? Aussi, la perspective que vous tracez pour un nouvel humanisme, Monsieur l’abbé, a-t-elle le mérite de rendre cette espérance centrale et de rejeter toute forme de fatalité. La tentation décadentiste, récurrente quand l’horizon est incertain, n’est donc pas de mise. Ses modèles historiques non plus.

    A ce titre, il paraît utile de rompre avec la vieille idée selon laquelle l’Occident chrétien aurait connu de longues parenthèses, des nuits séculaires, dans l’essor de cette tradition humaniste mûrie au soleil de la foi. Cette vision procède d’une historiographie orientée, issue d’auteurs protestants très soucieux de présenter, en contrepoint, l’avènement de la Réforme comme une sortie de tunnel. Ainsi, gardons-nous de l’image monochrome donnant à voir les XIVe et XVe siècles comme un moment de désespérance générale, en rupture avec les promesses du XIIIe siècle. En réalité, entre le dynamisme de l’époque de saint Louis et le XVIe siècle, pas de solution de continuité. Loin de freiner la lente évolution de l’humanisme en Europe, les malheurs de ce temps, que furent la peste, la guerre, le schisme, etc., l’ont stimulée et comme accélérée.

    La plus grande sensibilité aux tragédies qui surviennent, telle qu’elle apparaît dans les chroniques de ces deux siècles (XIVe et XVe), peut être à l’origine d’un malentendu si on l’ignore en tant que telle. En réalité, cette sensibilité témoigne du déploiement continu d’une conscience personnelle, de plus en plus vive en toutes choses, spirituelles et temporelles, comme les observateurs honnêtes de cette période ont fini par s’en aviser. Le reflet de cette progression, on peut le trouver notamment dans l’expression croissante du sentiment personnel dans la poésie, comme dans la diversité des genres littéraires et des registres de style pratiqués chez un même auteur. Une vitalité créatrice a bel et bien côtoyé la mort omniprésente. On a plaisanté, aimé, disserté sur l’avenir sous l’ombre inquiétante et fatale de la Faucheuse. Bref, on a espéré.

    Chaque génération connaît son apocalypse, dites-vous Monsieur l’abbé, aujourd’hui comme hier. Ce qui n’empêche pas, simultanément, les germinations secrètes, ni les bonds en avant, au contraire. Dans l’inventaire de l’humanisme que vous évoquez, inscrivons donc l’espérance à la première ligne.

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  2. Bof, bof... M. l'abbé !
    Et l'Amour socle du vivre ensemble ? Moi ça me parlerait mieux ! Vous devenez rationaliste et en même temps, vous êtes en train de rendre à César ce qui appartient à Dieu !
    Oui, la société doit construire les bases du "mieux vivre ensemble" mais nous chrétiens, nous devons nous préoccuper plutôt d'apporter le Christ à nos voisins que de construire des lendemains qui chanteront l'humanisme et la laïcité... C'est d'ailleurs la première chose qu'avait dite Benoît XVI nouvellement élu : pour nous chrétiens, ce qui compte c'est l'homme-Dieu : le Christ... Bref, nous pouvons et devons évangéliser nos contemporains pour leur faire partager la bonne nouvelle de l'humanisme divinisé ou de la divinité humanisée... Et qu'importe le terreau : il faut lire l'interview de Mgr N'Koué sur le FC pour comprendre combien ces préoccupations d'humanisme moyenâgeux s'éloignent des besoins théologiques africains par exemple...

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  3. Cher Vincent,
    Il faut bien plutôt se réjouir de ce que Monsieur l'Abbé de Tanouarn soit rationaliste... C'est la preuve de son impeccable orthodoxie catholique ! Tresmontant écrivait quelque part que le christianisme (comme le judaïsme) était un strict rationalisme. YHWH est Dieu et il le prouve : il sauve son Peuple de pharaon ! Le Christ est Dieu et il le prouve : il ressuscite d'entre les morts conformément aux Ecritures ! Plus fondamentalement, le drame de notre époque réside, je crois, dans l'impossibilité pratique de tout dialogue de l'Eglise avec un monde moderne qui ne croit plus en Dieu parce qu'il ne croit plus à la capacité de la raison humaine. Les horizons de l'esprit se limitent aujourd'hui , pour faire simple, à mesurer le mesurable... (Rappelez-vous ce que disait ce vieux farceur de Max Planck !) Notre raison pour les modernes n'est pas capax entis... moins encore capax Dei ! Comme il faut regretter en effet le kantisme rebouilli de nos chers vieux lycées de la Troisième, - quoi qu'ait pu en dire Barrès. Il n'empêchait pas aux chrétiens de dialoguer avec eux sur quelques vérités essentielles, - que nous attribuons, nous, au sens commun. Le Michel Onfray des agrégés nous fait aujourd'hui regretter l'Immanuel Kant des instituteurs. Je crains que vous vous égariez, cher Vincent, en pensant que le christianisme peut s'enraciner dans n'importe quel "terreau" pour reprendre votre expression. Le fidéisme ou le sentimentalisme ne sont pas catholiques ! Et si la foi surnaturelle ex-hausse notre esprit au niveau du mystère divin, il est faux de penser, comme Luther, qu'elle puisse naitre sur les ruines de la raison. C'est une mystique de faussaire qui n'a rien compris à saint Paul fustigeant la raison des raisonneurs. Rendre à l'homme la claire conscience de sa propre dignité "intellectuelle" est devenu un préalable à une évangélisation authentique... qui doit donc être authentiquement humaniste !

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  4. il est risible (mais à pleurer) , quand on est en pleine guerre civile larvée,d 'en appeler à l'humanisme et autres vielles lunes, aussi vielles que la laïcité..
    Le Christ Roi règnera..mais sur les ruines et les cadavres , si vous vous continuez ainsi Ane onyme idiot inutile oie trucidée du capitole du stupre...

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  5. "Le Christ Roi règnera..mais sur les ruines et les cadavres , si vous...continuez ainsi Ane onyme idiot inutile oie trucidée du capitole du stupre..."

    Dans le sujet précédent, nous étions en plein "Fanny et Alexandre" de Bergman, avec l'opposition saisissante de la joie de vivre et du bonheur, sans cesse contrecarrés par la moralisation, qui n'est que la grimace de la vraie Morale...ici, nous plongeons dans J-K Huysmans!

    Non vraiment, que je suis content de m'être débarrassé de ma télé.!

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  6. L'effondrement des valeurs morales, évidemment chrétiennes en France et en Europe, est un fait. C'est le fruit vérolé "télécommandé" par les "Lumières" qui s'est épanoui, si je puis dire, dans les années 70.Vous proposez de redécouvrir le pouvoir civilisateur du christianisme...de remplacer le schéma laïc périmé - mais bien présent, à mon avis - par ce nouvel humanisme.
    Je suis d'accord sur le constat et sur le principe.Mais sur le plan pratique, comment agir efficacement? "Etre ou ne pas être...", n'est-ce-pas?
    Willy

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  7. Anonyme à un autre Anonyme :

    Cher et ineffable Ami,
    Je vous remercie des propos fort amènes que vous avez bien voulu m'adresser : "Ane onyme idiot inutile oie trucidée du capitole du stupre..." C'est "chié-chanté" comme aurait dit un humaniste un brin paillard au XVIe siècle. C'est une grande perte pour la littérature chrétienne de ce siècle que de voir son auteur demeurer anonyme.
    Peut-être auriez vous tiré quelque avantage à lire ce que j'ai écrit ; vous auriez compris que c'est précisément la ruine de l'humanisme classique (qui donnait chair à la philosophia perennis) qui est la cause de la "guerre civile" qui s'annonce. Je me permets aussi de vous rappeler à toutes fins utiles une maxime de bon sens dont vous pourriez tiré un évident profit : Dieu nous demande l'hommage de notre intelligence et pas le sacrifice...
    Sans rancune !
    G.F.

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