dimanche 26 septembre 2010

Hip, cool, buzz… Vers la culture fric?

Article repris de Minute du 22 septembre 2010
Frédéric Martel publie chez Flammarion une « enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde ». Une occasion de mesurer les progrès de la mondialisation, non seulement en Europe mais dans le monde entier, et de découvrir les moyens dont dispose le Soft Power pour amuser l’univers en lui imposant une Culture dominante, celle que le marché aura plébiscitée, au nom du fric.

L’auteur de ce livre raconte l’entretien qu’il a eu avec Samuel Huntington, l’auteur à succès du best-seller mondial qui a lancé le concept de «choc des civilisations». Et il explique comment ce vieux monsieur distingué, pur produit des vieilles universités de la Côte Est, s’est tout simplement… endormi devant son interlocuteur avant la fin du repas. Le détail est cruel. Tout le monde sait que la vieillesse est un naufrage… Mais en l’occurrence, cet assoupissement, succédant assez naturellement à l’incompréhension, a valeur de symbole. Huntington imagine le monde d’il y a un demi-siècle et il y projette la situation actuelle pour prédire à son aise le fameux «clash» inévitable entre les grandes entités culturelles mondiales. Frédéric Martel fait l’inverse. Il se penche sur les grandes mutations des flux de «produits culturels» pour prédire une sorte d’harmonisation mondiale des contenus, avec, par exemple, l’Indien Bollywood en réponse à l’américain Hollywood. C’est exactement le scénario inverse, par rapport au choc annoncé: le mixage, le mélange, avec des dosages, respectueux de ce qui restera de l’identité de chacun.

«Des produits “universels”, formatés pour plaire à tout le monde»

Américanisation du monde? Pas seulement. Pas exclusivement. «La priorité des studios et des majors ne consiste pas seulement à imposer leur cinéma ou leur musique et à défendre un impérialisme culturel. Ce qu’ils veulent, c’est multiplier et élargir leur marché, ce qui est très différent. S’ils peuvent le faire avec des produits “américains”, tant mieux. Sinon, ils le font avec des produits “universels”, formatés pour plaire à tout le monde partout dans le monde, et n’ont pas de scrupule à en atténuer l’américanité. Et si cela ne suffit pas, ils n’hésitent pas non plus à financer et à réaliser des produits locaux, en les fabriquant à Hong Kong, à Mumbaï, à Rio ou à Paris.»

Ce nouveau conformisme est particulièrement pervers au sens où il ne s’agit pas d’une idéologie préfabriquée, fût-elle «soft», mais d’une perpétuelle adéquation de produits culturels manufacturés à la demande du moment. Dans cette nouvelle culture mondiale, il n’y a qu’un seul impératif, une seule géopolitique: le fric. Tel est le fond de la démonstration de Frédéric Martel. Elle fait mouche, lorsqu’on voit l’auteur sur toutes les chaînes de télé nous vanter les mérites de l’«entertainment» à l’américaine. Mais elle ne convainc pas lorsqu’il insiste sur le prodigieux retard européen dans le «mainstream» («le courant dominant») mondial.

Faut-il céder au chantage du marché mondial de la culture ou s’organiser en « contre-cultures » (un mot employé par Benoît XVI à Malte), résistant à l’unanimité consumériste? Poser la question, c’est y ré pondre. Et ne serait-ce pas le rôle, à nouveau pilote, de l’Europe que de développer cette contre-culture de la liberté, face au formatage mondialisé? L’avenir le dira. En tout cas, si la culture n’est qu’un produit parmi d’autres, ou un en semble de produits, alors l’homme lui-même, qui est forcément perfectionné par sa culture, va devenir une marchandise, dans un nouvel esclavage généralisé.

Ne nous croyons pas si démunis que cela dans la résistance spirituelle face à la marchandisation de l’esprit: le progrès des techniques de la communication a du bon. Il est de plus en plus facile d’éditer un livre. Cela devient un jeu d’enfant d’animer un blog sur Internet. Et pourquoi pas de réaliser, pour les diffuser via dailymotion ou youtube, ses propres clips, ses propres émissions?

Quoi qu’en pense Frédéric Martel, c’est la culture de masse qui est ringarde. Les contre-cultures, qui se multiplient, en particulier en Europe, semblent aujourd’hui, face au mainstream, porter déjà toutes les couleurs de l’avenir… Cela pourrait bien faire le jeu des extrêmes? Eh bien! Tant pis, notre liberté est à ce prix.

Joël Prieur


Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, éd. Flammarion, 469 pp. 27,50 euros port compris. Sur commande à : Minute, 15 rue d’Estrées, 75007 Paris

2 commentaires:

  1. La culture uniformisée par la mondialisation, et de plus instaurée en vertu d'une sorte de complot, ici complot des majors cinématographiques cherchant l'économie d'échelle ? Je n'y crois pas.
    L'expérience surtout, appuyée sur l'intuition et le bon sens nous ici éclaire. C'est ainsi par exemple que dans le domaine strictement marchand, on n'a jamais vu de cartels ou de monopoles durables. On peut ne pas trouver que des qualités à l'économie de marché (pas plus qu'à aucune oeuvre humaine d'un monde marqué du péché), mais le pouvoir de l’argent a au moins cette qualité d’être entraîné vers l’instabilité, la division. D’ailleurs, on reproche régulièrement au capitalisme... de dégénérer en crises.
    Un autre exemple nous éclaire, plus proche du sujet : la défunte URSS. Voilà bien un système où un centre a cru pouvoir imposer l’uniformité culturelle, en plus d’autres aspects du totalitarisme le plus parfait qu’on ait jamais rencontré. Eh bien, c’est sans doute l’émergence d’une contre-culture diffuse, plus ou moins clandestine, mais aussi plus ou moins tolérée à partir de l’ère Brejnev, qui a emporté le système (formant trio avec deux autres facteurs de désintégration que les hiérarques d’avant Andropov crurent aussi habile de laisser filer : la vodka et le marché noir).

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  2. Il y a quelques semaines de cela, Frédéric Martel, dans son émission Mass Media sur France Culture, croyait choquer son monde en disant préférer Lady Gaga à Beethoven. Voilà un exemple typique de sa pensée profonde.
    Quant à son bouquin, il me semble manquer infiniment de distance sur ce phénomène du Mainstream, car l'auteur est le parfait cobaye de cette culture. Là où l'introduction mettait l'eau à la bouche avec Huntington, le reste nous laisse sur notre faim, malgré un nombre indéniable d'informations, par son manque de mise en perspective et de sens critique face au phénomène.

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