samedi 3 mars 2012

Samedi de la Première semaine

"Il est plus facile que l'on croit de se haïr. La grâce est de s'oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s'aimer humblement soi-même comme n'importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ" 
Geoges Bernanos, Journal d'un curé de campagne
C'est le Curé de Torcy qui parle ainsi au petit curé de Campagne. Il a bien compris l'autodénigrement, l'autoflagellation que s'inflige son jeune dirigé. La haine de soi est souvent un péché de jeunesse, elle procède de l'ignorance. Dieu a mis trop de ressort en chacun d'entre nous, trop de son Infinie singularité pour que nous puissions jamais nous haïr en connaissance de cause. Si c'était le cas, si vraiment, en connaissance de cause quelqu'un était capable de se haïr, cela signifierait une telle intensité de haine qu'elle s'élèverait jusqu'à Dieu, parce qu'il est le Principe de ce que nous ferions profession de haïr.

Cela ne signifie pas qu'il faille s'aimer avec passion. Cette passion de soi, incandescente à l'infini, est la source de tous les péché. Quand l'amour de soi est une passion, il est à la fois tragique parce que ne parvenant jamais à la satisfaction et pécheur parce qu'il met l'Absolu là où il n'est pas.

Mais il faut s'aimer soi d'un amour oblatif, d'un amour qui sait parfois être sacrificiel. Il faut savoir faire le sacrifice de l'image qu'à tort on se fait de soi, pour parvenir au véritable amour de soi. Au fond s'aimer vraiment signifie : savoir s'oublier. Accepter définitivement et sereinement la déception que l'on éprouve quand on voudrait être autre, quand on ne se supporte pas.

Pourquoi s'aimer ? Parce que le Christ, qui nous révèle son image, nous a choisi pour vivre éternellement. Impossible de ne pas aimer passionnément ce "soi" choisi par le Christ.

Contradiction ? Non : ordre. Il est impossible de ne pas s'aimer soi sans narcissisme. On n'y échappe qu'en s'aimant dans le Christ, c'est-à-dire en aimant ou en essayant d'aimer ce que le Christ a aimé en nous.

1 commentaire:

  1. Pourquoi s'aimer, et pourquoi pas? Pourquoi avoir dilapidé en "mépris de soi" et en "oubli de soi" "la Grâce des Grâces" que nous offrait le Christ à travers l'Evangile, à travers ce chemin tout simple : partir de soi, le lieu où ça se passe, où naissent toutes nos perceptions, tous nos affects et tous nos entraînements, pour aller au prochain et à Dieu, non pas au prochain à cause de Dieu, en tout cas pas tout de suite (car, du "mépris de soi", on passerait au "mépris du prochain", mais au prochain pour lui-même et à Dieu Qui nous fait une double donation en habitant en notre coeur et dans l'intégralité et l'intégrité de l'être de l'autre.

    Pourquoi s'aimer? Pourquoi partir de soi? Parce qu'il y a un risque à ne pas le faire : c'est de le faire payer au prochain et à Dieu en donnant amèrement ou, pire, en donnant réversiblement, en reprenant ce que nous aurons donné. Si nous posons à titre liminaire que nous devons nous oublier, nous risquons de tout perdre en route, sans jamais nous être croisés. La belle distraction que celle de ne pas nous connaître en cherchant un but trop élevé et un chemin sacrificiel, quand il faut avoir l'humilité de commencer par ces tout petits sacrifices qui consistent à laisser quelquefois sa place aux autres, dans le bus, dans le métro, dans une conversation, et dans sa propre vie.

    Un talmudiste éprouvé me disait récemment:

    "La Bible, mais ce n'est pas viable!" "Aimer son prochain comme soi-même", les sages l'ont traduit par le plus petit commun dénominateur éthique:

    "Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse!"

    Ce que dit ce talmudiste, en arrivant à conclure que la Bible n'est pas le déterminant du judaïsme, qu'à la limite, le déterminant est un leurre, cette affirmation, ma foi, est bien naturelle. La mienne aussi au passage; mais celle de Bernanos ne l'est pas moins: la Grâce serait de s'aimer tout simplement, si quoi? Si tout orgueuil était mort en nous! Et la mort de tout orgueuil, Bernanos n'en fait pas une Grâce, ni même une chasse. Il y a des gens qui naissent naturellement moins orgueuilleux que les autres. Mais il faut travailler à tuer tout orgueuil en nous. Qu'est-ce que l'orgueuil? Je crois qu'un terme plus approprié serait "la prétention". L'orgueuil, c'est prétendre se mettre à la place de Dieu. L'humilité, c'est de savoir remettre toute chose à sa place; l'humble amour de soi, c'est de savoir qu'on ne peut que partir de là où ça se passe pour nous, de nous-mêmes, parce qu'on ne marche pas avec les jambes des autres, de même qu'on ne peut donner qu'avec nos propres bras. Certes, il y a un danger que cet amour réaliste de soi ne dégénère en passion narcissique; mais ce danger est moindre, à mon avis, que les dérives d'une oblation qui aurait posé pour préalable une distraction de soi-même, de se connaître et de savoir d'où l'on part, au risque de "rater sa cible", puisqu'on n'a pas tiré du bon endroit.

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