samedi 31 mars 2012

Narcissisme quand tu nous tiens...

"Au surplus, pour vous, Seigneur, aux yeux de qui l'abîme de la conscience humaine reste découvert, qu'est-ce qui pourrait demeurer secret en moi, même si je ne voulais pas vous le confesser ? C'est vous que je cacherais à moi-même, sans réussir à me cacher à vous. Et maintenant que mes gémissements attestent que je me suis pris moi-même en déplaisance, vous êtes ma lumière, ma joie, mon amour, mon désir : je rougis de moi, je me rejette pour vous choisir, et je ne veux plaire que par vous, soit à moi, soit à vous".
Saint Augustin, Confessions, Livre 10, 2
Vous êtes ma lumière, ma joie, mon amour, mon désir : qui peut dire cela à Dieu sérieusement, intensément, sans que sa vie ne s'en trouve complètement changée ?

Saint Thomas nous expliquera, avec l'énorme naturel qui est le sien que, pour la créature raisonnable, il est naturel d'aimer Dieu plus qu'elle ne s'aime elle-même, puisque Dieu est son Principe, celui par qui et en qui elle est. Saint Thomas a raison, mais notre nature a tort, quand concrètement, nous sommes obligés de constater qu'il ne nous est pas naturel d'aimer Dieu plus que nous ne nous aimons nous-mêmes. Pour y parvenir nous avons besoin de... nous convertir, de changer d'orientation : "Je rougis de moi, je me rejette pour vous".

Qui a fait cette expérience de la charité, soit envers Dieu, soit envers un être cher, soit envers des pauvres ? Celui-là est bien obligé de reconnaître que dans sa vie, rien ne peut plus être comme avant. Il y a un péché de nature, ce péché "originel" dont la théologie fait tout un plat et qui est avant tout un fait observable à l'oeil nu, en chacun d'entre  nous. Si nous ne sommes pas capable de renier ce péché de nature, de renier ce que Freud appelait le narcissisme, ce bon vieux narcissisme, qui est à la fois primaire secondaire et tertiaire dans tous nos comportements.

Le narcissisme, c'est à la fois l'égocentrisme spontané et quasi-enfantin de l'animal humain et c'est aussi la construction savante, élaborée sur des dizaines d'années, qui est obscurément destinée à nous empêcher de voir et d'aimer la lumière. La lumière ? Celle qui nous permettrait de nous connaître nous-mêmes. Ainsi comme l'avait remarqué Rudolf Allers, avec les années, l'égocentrisme se tourne toujours en artificialité. L'égocentrisme tertiaire, l'égocentrisme blindé de l'adulte auquel on ne la fait pas est quelque chose d'horriblement faux. A force de construire des images de soi, il ne parvient plus à être lui-même.

"Je me rejette..." écrit saint Augustin. Le poète Tristan Corbière, génial Breton, avait bien vu le paradoxe qui nous renvoie au FAIT du péché originel. Il était sans doute lui-même de ceux qu'il décrit, en un vers qui se vrille au fond de nous-même : "Trop soi pour se pouvoir souffrir"... Voyez son épitaphe - tellement humble : "Ci-gît coeur sans coeur, mal planté, / Trop réussi comme raté". C'est du saint Augustin tout pur. C'est du saint Augustin, phase 1. Mais saint Augustin a un débouché, saint Augustin sait comment s'en sortir : "Je me rejette... pour vous choisir".

J'entends d'ici Julien me dire que je suis trop dur, qu'il ne s'agit pas de se rejeter, mais de s'aimer... Qu'il n'est pas besoin de se convertir et qu'il suffit d'aller bénignement son chemin sous le regard de Dieu. L'intention est bonne et belle, mais dans la réalité ? Comment ne pas être déçu par ce que l'on est ? A moins de fantasmer, de sublimer, de fabuler, de s'évader, de se faire la belle dans le virtuel comme l'explique Solange Bied Charreton dans ce très beau premier roman qu'est Enjoy (éd. Stock)... Beaucoup se contentent de ce genre de croisière qui leur évite de se croiser eux-mêmes. Les véhicules du voyage sont très divers, qui permettent d'éviter la mauvaise rencontre.

Augustin aime trop son Seigneur pour supporter de lui offrir les ciels toujours brouillés de son propre naturel et de son quotidien. "Je ne veux plaire que par vous soit à moi soit à vous" écrit-il, cornélien avant l'heure. Toute sa doctrine de la grâce, toute la mystique de la grâce efficace est dans ce cri d'amour, qui est comme une détente de son être, un chemin actif d'abandon. Plaire à vous par vous...

5 commentaires:

  1. Je me permets de continuer ce beau texte de monsieur l'abbé,et de penser que lorsque aucun homme ne saurait etre aimé quand à lui meme,mais que l'on a point renoncé, pour autant à aimer,peut etre reste-t-il,que dieu à aimer.

    RépondreSupprimer
  2. Cher Monsieur l'abbé,

    "J'entends d'ici Julien me dire que je suis trop dur, qu'il ne s'agit pas de se rejeter, mais de s'aimer... Qu'il n'est pas besoin de se convertir et qu'il suffit d'aller bénignement son chemin sous le regard de Dieu."

    Il faut que vous me croyiez plu bénin (voir plus benêt) que je ne suis.

    J'ai bien assez vécu, comme disent les blasés (et il m'arrive de l'être) pour avoir été déçu par moi, plus souvent qu'à mon tour.

    Assez déçu pour me demander comment Dieu pourrait aimer un type comme moi !

    Donc mon objection n'est pas de supposer qu'il n'y a pas besoin de se convertir, elle est de se demander si c'est possible, tout simplement.

    Oui, me répondrez-vous avec saint augustin, à condition de plaire à Dieu par dieu.

    Admettez que c'est un rien théorique.

    "Pour que ça cesse de l'être, faites un saut dans l'inconnu", me direz-vous peut-être. Sauf que j'ai peur du vide et qu'avec la foi, il faut parier, c'est-à-dire ne pas sentir qu'on saute avec un parachute. Je ne me sens pas être ce héros.

    Il y a autre chose, un argument encore moins noble: plaire à dieu par dieu, ça me semble, comment dire, tourner en rond en cercle fermé, dans un système clos.

    Il me reste donc à attendre "l'Heure de dieu". Sauf que je suis inconsolable de me sentir inconverti. Inconsolable, voire impardonnable.

    A moins que la patience de mon âme lui demande de "laisser faire la Lumière", comme le dit si bellement daniel facérias.



    Bonne semaine sainte à vous et priez pour moi!

    RépondreSupprimer
  3. Veuillez m'excuser d'ajouter ceci:

    Aragon disait:

    "Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes."
    A l'inverse,
    , qui parle de renoncement a souvent le teint jovial.

    Il ne faudrait pas que parler de "tout perdre" soit un pur effet rhétorique.

    Quand je vois un chrétien, que j'ai l'outrecuidance de prendre pour mon frère, je serais heureux qu'il ait "une gueule de ressuscité" (ou au moins pas une tête d'enterrement) ; mais enfin, si les épreuves lui sont apparues insurmontables, je n'ai pas à le juger.

    Par contre, il y aurait une chose que j'aurais envie de lui demander: c'est à quoi il a visiblement renoncé !

    Vous me direz que le renoncement, pour être consommé, doit rester invisible, qu'il ne faut pas se fabriquer des "faces de carême". C'est vrai, mais quand on a réellement perdu quelque chose, ou quand on vit en portant sa Croix, il nous en reste des stigmates. Or mon impression est que la plupart des chrétiens vivent un christianisme plutôt confortable et, qu'ils le reconnaissent ou non, qui les épanouit assez. Alors j'ai envie de leur demander:

    "Avez-vous déjà senti la vie se dérober sous vos pieds? Avez-vous déjà traversé le sentiment concret de perdre votre vie? Avez-vous déjà éprouvé que "tout perdre" n'est pas qu'un mot"?

    "Il faut tout perdre", disait un prêtre très en verve un jour à Montligeon, manifestement très content de son effet. J'avais envie de lui dire:

    "Mon Père, passez le premier, montrez-nous le chemin".

    Mais le christianisme n'est pas non plus la secte du temple solaire.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cher Julien ,
      On peut perdre sa vie à la gagner,et gagner sa vie en perdant ses illusions.Oser désespérer du monde et des hommes c'est tout perdre.Perdre tout espoir pour que l'inespéré puisse venir.Croire contre tout espoir,mais pour cela il faut prendre un risque ,le beau risque de la foi,qui nous garantie de rien, ou l'on peut tout perdre ou tout gagner, il faut choisir.

      Supprimer
  4. Ne pas oublier, quand même , qu'il y a des "images de soi obligatoires" dans telle ou telle famille, chapelle etc ... Jouer à " celui qui a rencontré Jésus" , c 'était le passe port obligatoire dans le petit monde d'Action Catholique des années 70...). Et arborer une "gueule de Ressuscité" pour faire plaisir à Frédéric Néant( Nietzsche pour les intimes)!!!

    Il est impossible de se convertir dans les multi-communautarismes d'aujourd'hui..
    Après le sacré, l'universel s'est barré ...
    Un temps, je partageais cette nostalgie d'un lecteur du "Sel de la Terre" : " Ah vous, en avez de la chance d'avoir été formaté correctement dès l'enfance"..
    Il est vrai qu'après trente années d'errance dans les impasses larbino- progressistes.... atterrir dans la Tradition donne le sentiment d'atteindre enfin l'Eden.
    Cela a duré une dizaine d'années...
    Et puis cela casse.
    L'"anti christianophobie" sans christofolie radicale, le "contre Hollande" sans affirmation positive, l'horizon borné à un certain nombre de faits et d'oeuvres...
    Non, la conversion n'est pas là non plus . formatage et conversion , nuance!

    J'ai participé avec ardeur à trente années de "révolutions"...j'aimerais, avant de mourir, contribuer, au titre de "réparations", à un petit chemin de contre révolution. Surplombée par la Victoire du Christ et de Marie, animée du dedans par la ferveur et l'ardeur que cette victoire impulse, même à des déchets à peine recyclables (ah le contre narcissisme narcissique !)!
    Je ne sais où cela se trouvera. Je supplie le "conseil " d e l'Esprit saint...Il est trop tard ...Les guerres( civiles, ethniques mondiales) s'avancent sur un plateau, et personne n'en parle...la ruine se prépare activement par le "politiquement criminel" la "non pensée multiple", l'"international socialisme" .... et personne ne veut la voir ...
    Comment se" convertir" au Réel Absolu de Dieu si on somnole dans des images irréalistes de ce qui nous crève les yeux ?
    ayant eu l'habitude de faire face aux coups de boule, aux battes de base ball et aux cutters...je ne tiens pas à crever (et voir crever mes enfants ) d'un coup dans le dos...
    même adoubé par l'eau bénite des papes et épiscopes "décalés".. Les Christeros nous ont montré le chemin...de Sang..
    en espérant trouver quelques frères... et ne pas devoir subir l'horrible solitude, anti-chrétienne et contre-christique... mais assumée par celui qui" foula seul au pressoir" sans trouver de consolateur ..

    Mais cassé, brisé, avec la Force de Dieu, je me casse..là où ça se passe !

    Resurrecturi te salutant !

    RépondreSupprimer