lundi 8 juillet 2013

Contre les Lumières !

Le plus important dans cette première encyclique du pape François, je ne pense pas manquer de respect en le disant, ce pourrait bien être le titre : la lumière de la foi. Ce titre permet de comprendre la foi non pas avant tout comme un objet (l'objet de la foi) mais comme un acte : un acte qui porte la lumière.

Parler de "lumière de la foi", c'est opposer la foi aux Lumières, ces Lumières au pluriel, qui ont soi-disant changé le visage de l'humanité, au point que l'on pourrait distinguer un "avant" (la période de l'enfance) et un après (la maturité de l'humanité). Dans toutes les langues européennes, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle a résonné la bonne nouvelle de l'illumination : illuminismo, Aufklärung, enlightenment. Même dans la catholique Espagne, il y a des illustrados, qui sont d'ailleurs catholiques et monarchistes... A la fin du XVIIIème siècle, Kant se demande : Qu'est-ce que les lumières, dans un petit opuscule qui restera célèbre. Et il explique : "Les Lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est l'incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d'un autre [...] Sapere Aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières." 

C'est au nom de cette devise que Kant écrit en 1793, en pleine Terreur jacobine, La religion dans les limites de la simple raison. Qu'est-ce que les Lumières ? L'idée que rien ne doit résister à l'empire de la raison, l'idée qu'il n'y a ni savoir, ni foi, ni intuition, ni compréhension hors de "l'exercice libre et public de la raison", raison dont le pouvoir absolue est fondé sur l'expérience sensible et dont les limites s'arrêtent elles aussi à l'horizon de nos sens. Oh ! Kant lui-même ne se limitera pas à cet austère enfermement de l'homme dans sa raison ! Il soutiendra finalement, en morale, une théorie des idées, qui eut paraître à l'extrême opposé de ce qu'il articule du point de vue d'une critique de la raison pure et d'une critique de la raison religieuse. Fichte, Schelling, Hegel développeront l'idéalisme latent dans le kantisme. Mais en tant que penseur du XVIIIème siècle, en tant que grand Instituteur de la Raison européenne, Kant pratique ce que l'Etat prussien appelle, à son sujet, "la libre pensée".

Après deux-cents ans, il est temps d'examiner cette pensée "lumineuse". 

Benoît XVI, remarque le Père Michel Viot, est le premier pape à le faire (cf. son livre Le vrai et le faux aux éd. de l'Oeuvre qui est un commentaire de l'encyclique Spe salvi de Benoît XVI). Il y a eu dès le XVIIIème siècle une critique de Rousseau et de sa nouvelle République. Mais les penseurs des Lumières n'ont jamais arrêté l'acribie du Vatican. Rome vit encore au XVIème siècle, au temps de sa glorieuse alliance avec Erasme contre Luther, avec l'humanisme contre l'anti-humanisme augustinien des protestants. Cette défaillance originelle, les catholiques la paieront cher. Elle est sans doute à l'origine de toues les crises de l'Eglise depuis deux siècles. Même la Révolution liturgique qui sévit dans les années 60 est une révolution rationaliste comme l'a bien montré le dominicain anglais Aidan Nichols. L'Eglise n'était pas armée, pas prévenue, les hommes d'Eglise pas formés pour faire face à l'esprit désacralisateur des Lumières. Sans la réforme liturgique, du reste, on peut penser que les Vandales de l'intérieur seraient allés encore plus loin dans leur folle ambition de rendre "compréhensible", rationnel, transparent (... vide) le culte catholique. 

Une fois de plus Rome a accompagné le mouvement en le freinant d'une part, mais aussi en l'installant partout. 

Quant à la crise de la théologie, rappelons que les prodromes s'en sont fait sentir lorsque Ambroise Gardeil et Marie-Dominique Chenu ont envisagé de démontrer que la théologie était une science, scientia, se servant du terme latin scientia (qui signifie savoir) pour imposer une conception purement universitaire et spécialisée de cette discipline, qui était - oh ! de manière implicite et inconsciente - une sorte de reniement absolu. On sait que, chez les dominicains, le Père Torrell a officiellement mis fin à ce prurit véritablement scientiste, en montrant bien le lien entre théologie et spiritualité. Mais des générations d'étudiants ont souffert de cette arrogance du savoir dominicain, si l'on s'en tient par exemple, pour le témoignage qui nous en est laissé, aux Mémoires du Père Bro (La libellule et le haricot).

L'Eglise des années 60, les Lumières, elle avait envie d'en être. On a vu les résultats de cette ambition suicidaire - ambition qui avait été condamnée d'ailleurs dès 1864 par la proposition 15 du Syllabus de Pie IX. Mais qui avait seulement lu le Syllabus en 1960, à part l'abbé de Nantes et quelques prêtres isolés ?

Eh bien aujourd'hui, l'Eglise reparle de "la lumière de la foi" bien plus forte que ces Lumières, humaines trop humaines, qui d'ailleurs exaspéraient Nietzsche. Le savoir de la foi explique en substance François-Benoît XVI, est un savoir d'amour, qui naît en nous d'une parole que Chrysostome appelait "étrangère à notre sol". Et d'appeler à a rescousse Grégoire le Grand, pape au tournant du VIIème siècle, qui s'était écrié, "l'amour lui-même est connaissance" ou Guillaume de Saint Thierry qui parle des yeux illuminé par l'amour. L'un et l'autre ont évidemment lu le De Trinitate d'Augustin, où l'on trouve déjà tout !

Nous autres Français, outre d'ailleurs le Vosgien Guillaume de Saint Thierry, nous évoquerions volontiers un grand augustinien, Pascal : "Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas". J'ai essayé de montrer que pour comprendre Pascal dans toute sa profondeur, on pourrait essayé de faire appel au savoir analogique de Cajétan, savoir fondé non sur une impossible identité (qu'est-ce que l'Infini) mais sur une irréfutable ressemblance universelle dont Dieu serait la semblance. Mais quelles que soient les références auxquelles on se rattache, il faut sortir de la Dictature de la Raison rationaliste et montrer que nos pouvoirs de connaître sont bien plus large que ce à quoi la grande illusion des "Lumières" voulaient nous condamner. Outre la science des choses, il existe une science de la vie, qui nous rend responsable de la manière dont nous la menons. La foi ? Elle donne à cette deuxième science une force supérieure, une "lumière" qui nous permet d'embrasser des horizons que nous ne soupçonnions pas au premier abord.

Descartes, quant à lui parle de "la lumière naturelle de la raison", que l'on peut facilement opposer à "la lumière de la foi". Il désigne par là l'aptitude de la raison à se procurer une évidence sur n'importe quel sujet et aussi (comme on le voit dans la lettre 174 au Père Mersenne) l'évidence dont jouit la raison quant à la vérité qui lui est transcendantalement attachée. Cette lumière de la raison ne se démontre pas ! 

Ne peut-on pas penser qu'il y a, au moins dans l'ordre pratique (c'est tout le pari pascalien), une sorte d'évidence de la foi (ce que nous avons nommé l'évidence chrétienne). "La foi, écrit le romancier allemand Martin Mosebach, c'est ce que l'on fait avec évidence" N'est-ce pas là tout l'Evangile ? "Celui qui fait la vérité vient à la Lumière" (Jean 3) ? C'est là ce que François, dans l'encyclique appelle la fides oculata, la foi qui est tellement expérimentale qu'elle en devient quelque chose comme une vision... ou un toucher. La foi seule nous fait toucher du doigt l'existence.

12 commentaires:

  1. Monsieur l’Abbé, avez-vous lu les œuvres de Eric Voegelin?

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  2. J'en doute fort, car il n'a quasiment pas été traduit en français. Il est pratiquement inconnu en France. C'est bien la première fois que j'entends parler de ce philosophe (1901-1985) dont je viens de lire la bio sur WIKIPEDIA.

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  3. Il y a aussi un compositeur breton contemporain peu connu de Gungamp qui porte le même nom que le philosophe germano-américain. Il est directeur artistique d'un Festival de musique contemporaine "Le Printemps de Lady Mond" situé à Belle-Ile-en-Terre (Côtes-d'Armor). Je ne sais s'il y a un lien de parenté entre les deux.

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    1. Le Festival "Le Printemps de Lady Mond" n'existe plus ; il s'est sabordé faute de spectateurs.

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  4. "Une sorte d'évidence de la foi" ? Pour celui qui a en a reçu le don gratuit, pour celui à qui un beau jour Dieu a dit "Viens et suis-moi", oui, peut-être.

    Mais celui qui n'a pas reçu ce don, qu'il l'ait refusé, qu'il l'ait négligé, qu'il n'y ait jamais eu accès faute d'annonce... Pour celui que Dieu fait mûrir en attendant l'heure de se dévoiler... Comment voulez-vous qu'il y ait une évidence de la foi ?

    Edel

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  5. Monsieur l'Abbé,

    Avez-vous lu le récent Dieu existe, de Guillot? Il y développe une critique en règle de l'agnosticisme kantien ! On dirait du Garrigou-Lagrange, redivivus.

    Ch. B.

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  6. Un communiqué du parti de l'In-nocence relatif à la messe du pape François à Lampedusa.
    Communiqué n° 1603, lundi 8 juillet 2013

    Sur une messe du pape François à Lampedusa

    Le parti de l’In-nocence, à l’heure de la visite du pape François à Lampedusa, lieu le plus symbolique de la colonisation à l’œuvre, afin de célébrer une messe pour les immigrants débarqués clandestinement, prend acte avec inquiétude du concours de la plus haute autorité de l’Église catholique au grand remplacement des peuples européens. Ce geste papal, certes compréhensible au regard de la morale chrétienne et guère surprenant compte tenu de l’immigrationnisme traditionnel de l’Église, est d’autant plus consternant qu'il s'agit de la première grande expression publique de François et qu’il intervient à l’heure où les chrétientés d’Orient et d’Afrique sont soumises à un véritable processus d’éradication au nom de l’islam, lequel devrait inciter l’Église à la plus grande fermeté face aux migrations musulmanes et au rappel de la menace existentielle qu’elles font peser sur l’identité du continent européen.

    Le parti de l’In-nocence observe que ce geste s’inscrit dans la liste déjà longue des renoncements de la majorité des prétendues élites occidentales à défendre leur civilisation au profit d’un universalisme désincarné devenu fou, qu’il se réclame de la mondialisation en cours ou de la religion de l’Humanité, et ne peut que constater la grande solitude des peuples d’Europe, privés des institutions qui devraient les protéger, face à ce qui advient.

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    1. Il y a sur internet une pratique assez courante: c'est que les webmestres précisent qu'il est inutile de les engueuler pour les propos publiés en commentaires, et qui ne les engage pas. Pour les mêmes raisons, chers lecteurs, vous êtes dispensés de me féliciter du communiqué ci-dessus publié.

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  7. Je ne veux pas "engueuler" le WM mais il faut bien constater qu'il aurait pu s'abstenir de publier des propos aussi consternants qui constituent une insulte envers le Pape François qui rappelle la doctrine constante et immémoriale de l'Eglise (voir la parabole du Bon Samaritain).

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  8. Quelques Extraits rapides de "New Science of Politics" (excusez-moi, je n'ai pas le temps de traduire - peut-etre que le Webmestre pourrait s'en charger):

    Au Chapitre II.6:

    The anthropological principle must be supplemented by second principle for the theoretical explanation of society. Plato expressed it when he created his formula "God is the Measure" (Lois, 716c) in opposition to the Protagorean "Man is the Measure".

    The validity of the standards developed by Plato and Aristotle depends on the conception of a man who can be the measure of society because God is the measure of his soul.

    Pour Voegelin, l'humanite dans son aspect social, civilisationnel (excusez le barbarisme) doit s'entendre a travers ce qu'il apelle le principle anthropologique, mais qui ne peut se suffire a lui seul, puisqu'il sous-entend l'ame, qui requiert le principe divin.

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  9. Je partage l´opinion de M.Michel Le Floch. Si le pape celebre une messe pour les immigrants,bien normal s´ils sont chrétiens pérsecutés. Jusqu´ici, rien de mal.

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  10. Et ça continue. "La Lumière de la Foi" vous permet d'écrire un développement plus qu'habile sur "la Foi contre les Lumières". Si vous ne citiez l'encyclique à la fin afin qu'on ne croie pas qu'elle sert ici de pur prétexte, on pourrait risquer l'hypothèse que françois vous inspire si peu qu'il vous donne l'occasion de vous engouffrer dans les brèches d'une parole non autoritaire pour lui faire dire ce que vous défendez depuis toujours. Ce procédé est très... politique, mais nous avons l'oeil!

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