"Et cette offrande, toi Dieu, en toutes choses, nous te le demandons, daigne la rendre consacrée, admissible (avec les autres offrandes), ratifiée, conforme à la raison et pouvant être agréée par toi, pour qu'elle devienne pour nous le corps et le sang de ton très aimé fils Notre Seigneur Jésus Christ"
Les Grecs attendaient là une épiclèse, c'est-à-dire une invocation au Saint Esprit. Les Latins eux invoquent... le droit : question de civilisation ! C'est sans doute ce que Gianbattista Vico appelait "l'antique sagesse des Italiens" : "Le vrai et le fait sont convertibles" expliquait le Napolitain. Pour que l'offrande soit vraie, elle doit être un fait, elle doit être faite selon les règles, elle doit être conforme au droit de l'Eglise. Pour que cette offrande soit un fait spirituel que Dieu puisse prendre en considération, il faut qu'elle soit dûment consacrée par le prêtre que l'Eglise a député pour ce service, (benedictam), qu'elle puisse être ajoutée à toutes les autres offrandes de toutes les autres messes (voilà ce que signifie littéralement adscriptam). Il faut en un mot qu'elle soit ratifiée par le droit de l'Eglise (ratam).
De quelle offrande parle-t-on ? L'emploi du relatif de liaison est caractéristique de la langue latine : quam oblationem, c'est cette offrande sur laquelle on vient de prier dont il est question (hanc igitur oblationem), "l'offrande de notre service et de toute ta famille", ce que nous avons appelé, avec Mgr Guérard, le sacrifice de l'homme. C'est ce sacrifice qui est apporté ici jusqu'au coeur de la consécration, et dont il importe qu'il soit juridiquement présenté dans les formes canoniques pour être ratifié par l'Eglise comme sien, avant d'être offert au Seigneur "pour devenir le corps et le sang de Jésus-Christ Notre Seigneur, ton bien aimé fils".
Admirable transformation qui résume toute la foi de l'Eglise ; l'offrande de l'homme, ce sacrifice de louange dont il vient d'être question (parce qu'il y a au moins ça dans l'offrande de l'homme : la louange)... Ce sacrifice de louange devient le sacrifice propitiatoire, seul efficace, du corps et du sang du Seigneur. Nous apportons nos offrandes et elles sont transformées dans le Christ offert s'offrant et les offrant à son Père, elles sont "ce qui manque à sa passion" (Col. 1, 24). Dans ces offrandes, à travers ces offrandes, nous devenons le corps et le sang du Christ, nous sommes christifiés. Comme dit le cantique années 70, qui cette fois était bien inspiré : "Vous êtes le corps du Christ, vous êtes le sang du Christ, alors ? Qu'avez-vous fait de lui ?" A une telle offrande on ne peut participer par hasard, encore moins par condescendance. On y participe, comme scotchés par l'amour, car non seulement le Christ devient ce pain et ce vin, mais nous, notre sacrifice devient celui de Jésus Christ. Pour Dieu nous sommes le Christ et ainsi nous sommes rachetés à haut prix. Nous avons coûté cher au Seigneur, comme dit saint Paul.
Il y a un rythme dans cette présentation du sacrifice de l'homme et l'utilisation de l'homéotéleute vient renforcer les signes de croix qui accompagnent chacun des trois premiers adjectif : benedictam, adscriptam, ratam, voilà pour le droit. Pour les deux derniers adjectifs, rationabile, acceptabile, l'homéotéleute est différente, il n'y a plus de signes de croix : voilà pour le fait après le droit..
Observons le style selon lequel ces cinq adjectifs sont ordonnés. A travers la solennité du verbe et le naturel rythmique, on retrouve le fas des vieux romains : chaque mot porte un fait spirituel. Ainsi, ce n'est pas un hasard, les trois premiers participes passés font successivement quatre syllabes (benedictam), trois syllabes (adscriptam) et deux syllabes (ratam, qui avec ces deux syllabes renferme le sens des deux premiers participes). Les deux derniers adjectifs (rationabile et acceptabile), eux, font cinq syllabes, une sorte de plénitude verbale, signifiée aussi par les cinq adjectifs.
Restent ces deux derniers adjectifs à expliquer : rationabilem et acceptabilem. Pourquoi représentent-ils, avons-nous dit, le fait sacrificiel, après que l'on ait insisté sur le rite, sur le droit sacrificiel ? Nous avons traduit plus haut : offrande "conforme à la raison et pouvant être agréée par toi". Là, plus besoin de signes de croix, nous l'avons dit, parce que ces deux adjectifs marquent non une demande humaine pour le sacrifice de l'homme, mais le caractère divin de l'offrande : spirituelle et agréable à Dieu.
Le mot rationabile peut certes, pour simplifier, être traduit par spirituel. Mais il signifie à la lettre "raisonnable". Pourquoi ? Tentatives d'explication au chapitre suivant.
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