Mysterium fidei : le rite rénové a sorti cette expression de la formule consécratoire (peut-être parce que l'idée même de formule consécratoire faisait horreur aux rénovateurs liturgiques , qui préfèrent parler à ce sujet de récit de l'institution).
Mysterium fidei; dans le rite rénové, est donc devenu une acclamation après la consécration : "Il est grand le mystère de la foi : Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire". La version latine du nouveau rituel est ici moins explicite que la version française et je dirais plus inquiétante ou plus perverse (je ne vois pas d'autre terme), puisqu'elle comporte simplement un "donec venias", "Jusqu'à ce que tu viennes" sans que soit précisé que ce retour est le retour "dans la gloire" à la fin du monde... On parle du retour eschatologique de Jésus à a fin du monde, mais on oublie sa présence sacramentelle, humble, modeste, comme je l'ai déjà dit "à la merci des passants", cela alors même qu'il vient de se rendre présent, transsubstantié, comme il l'a promis, sous les apparences du pain et du vin. Difficile psychologiquement pour les fidèles, une telle ellipse !... Comme semble difficile la tentative de détourner l'attention des fidèles, spontanément concentrés sur l'adoration sacramentelle et qui sont amenés par le nouveau rituel à acclamer non la réalité que le rituel à mise sous leurs yeux, mais l'idée chrétienne de manière générale (la mort, la résurrection et le retour du Christ) dont le rite paraît du coup n'être qu'un simple mémento.
Le rite traditionnel, au contraire, en incluant l'expression MYSTERIUM FIDEI dans la formule consécratoire, fait tout ce qu'il faut pour braquer les yeux et élever le cœur des assistants sur ce que j'appellerais la performance sacramentelle, qui est elle-même le mystère de la foi, non pas tant parce qu'elle le raconterait, non pas seulement parce qu'elle en ferait mémoire, mais parce que l'action sacrée du Christ le jeudi saint, cette action qui annonce, qui explique et qui montre sa Passion, est à nouveau déployée, éternellement identique à elle-même et laissant sa trace dans l'espace-temps à chaque messe.
Dans son livre Eucharistie (1966), Louis Bouyer, s'explique assez légèrement sur ce mysterium fidei, que l'on découvre au sein de ce que j'appelle la formule consécratoire et de ce qu'il nomme le récit de l'institution : "On avait pensé d'abord supprimer l'addition Mysterium fidei, difficile à interpréter. Mais il a paru préférable de la maintenir, quitte à la repousser en final dans les traductions" (p. 433). Quelle désinvolture !
Vingt ans plus tard, alors que se sont quelque peu estompés les mirages de la Réforme liturgique, dans son livre Musterion (1986), après nous avoir fait découvrir la théologie du mystère chez saint Paul, il aperçoit l'importance du mystère liturgique, quoi que sans s'appesantir sure son caractère liturgique : "Le Mystère en définitive, ce n'est, révélé, communiqué dans l'expérience mystique du croyant, que l'éternelle eucharistie du Fils, faisant remonter vers le Père, dans l'Esprit (...) cet unique sacrifice où nous sommes tous offerts et offrant, dans l'unique offrande, consommée par le Fils éternel, au comble de notre histoire de péché et de mort, ainsi transfigurée en celle de notre divine adoption" (p. 363).
Cette phrase mérite d'être relue, elle n'est pas facile, mais elle dit tout. Tout ce qu'en 1966, Bouyer ne nous disait pas. Ce qui ramène le Père Bouyer au cœur de la liturgie, ce n'est pas l'amour des rites, c'est le poids écrasant, c'est l'éclair numineux du Mystère chrétien. Quel est-il ce mystère ? Bouyer répond sans trembler : le sacrifice. Attention précise-t-il : non pas le sacrifice de l'homme à Dieu, pas d'abord en tout cas, car ce sacrifice de l'homme n'existe et ne prend une importance quelconque que dans la foi, adossé à ce qu'il faut bien appeler le sacrifice de Dieu : "Il n'y a pas de doute que le sens le plus primitif du sacrifice, comme le dit très justement saint Augustin, c'est une réalité divine, c'est même l'action divine par excellence"(p. 361). Quand on répète avec saint Jean que Dieu est amour, on ne dit pas autre chose, car l'amour divin est toujours sacrificiel à l'intérieur même de la Trinité. Dans sa création, Dieu est le grand Offrant. "Il n'a pas besoin de nos biens" mais il nous offre tout ce que nous pouvons désirer. Et lorsque l'humanité s'est enfoncée dans le péché, c'est le Fils lui-même qui est envoyer pour donner encore, pour pardonner, pour offrir aux hommes, à travers son propre exemple sur la croix, le goût divin du Sacrifice.
Mysterium fidei ? C'est le mystère de l'amour sacrificiel de Dieu pour l'homme et le mystère conjoint de la vocation sacrificielle de l'homme vers Dieu. Où a lieu cet appel, cette vocation ? Où est donné ce sacrifice ? A l'autel, pendant la messe. C'est là, nulle part ailleurs, qu'à l'exemple du Christ qui se livre, nous comprenons cette vocation sacrificielle qui est la nôtre. Vocation que nous affirmons durant l'offertoire, avant que les deux offrandes, celle de Dieu (son Fils) et celle de l'homme (si peu de choses) ne fasse qu'un sacrifice.
Mais pourquoi demanderez-vous peut-être l'offertoire, image efficace du sacrifice de l'homme a-t-il lieu avant la consécration, s'il doit s'adosser au sacrifice du Fils ? Parce que c'est après avoir lié notre offrande que nous supplions le Père afin que, selon le Vouloir adorable du Fils, les deux sacrifices ne fassent qu'un. Chaque messe est différente selon le degré d'unité auquel parvient le sacrifice. Au Ciel seulement nous sommes assurés que, dans le brasier de l'amour divin, notre sacrifice ne fait qu'un avec le sacrifice du Fils dans le don de l'Esprit saint.
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