Deux adjectifs restent à expliquer dans cette prière du Quam oblationem ; rationabile acceptabileque. Rationabile d'abord. Au chapitre 12 de l'Epître aux Romains on trouve ce terme, traduction du grec logiké latreia que l'on pourrait traduire, comme la Bible de Jérusalem par l'expression "sacrifice spirituel". Mais le mot logiké, qui a été bien traduit en latin par rationabile, ne signifie pas seulement "spirituel" mais même rationnel. Si le mot rationnel est trop fort en français, la bible en ligne (protestante) traduit plutôt "intelligent : "Je vous exhorte donc frères par la miséricorde de Dieu à présenter vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu. Ce sera de votre part un culte intelligent" (Rom. 12, 1).
Le sacrifice n'est pas "intelligent" en lui-même. L'universalité et la permanence des sacrifice humains montre bien, d'après Joseph de Maistre dans ses Eclaircissements sur les sacrifices, que le sacrifice, avec tout ce qu'il peut avoir d'archaïque et d'inhumain, est inséparable pourtant de l'humanité de l'homme : "Ni la raison ni la folie n'ont pu inventer cette idée, encore moins la faire adopter généralement. Elle a sa racine dans les dernière profondeurs de la nature humaine. Et l'histoire sur ce point ne présente pas une seule dissonance dans l'univers". L'idée de sacrifice, en particulier poussée au sacrifice humain, semble particulièrement sotte. Mais elle est universellement attestée : "Sans effusion de sang il n'y a pas de rachat" écrit saint Paul aux Hébreux.
Sacrifice intelligent ? Est-ce possible ? Pour saint Paul comme pour Joseph de Maistre les deux mot jurent. Le sacrifice né de l'idolatrie, le sacrifice expression de la volonté de je ne sais quel dieu Moloch, est une ânerie sauvage. Et pourtant il y a un sacrifice intelligent, un sacrifice rationnel, conforme à l'humanité de l'homme : quel est-il ? Non pas le sacrifice de l'autre : ni les enfants sacrifiés sur les Hauts lieux, ni les femmes offrant leur vie sur le bûcher après la mort de leur mari en Indes, ni les étrangers sacrifiés pour se rendre les dieux propices. Le sacrifice intelligent recommandé par saint Paul ne saurait non plus être commandé par une idole, pas même l'Argent, le Mammon d'iniquité, Le sacrifice intelligent ne peut être commandité par un autre à son propre compte. Le comique grec Aristophane, dans sa pièce Les Oiseaux, s'est moqué des dieux qui vivaient du fumet des sacrifices et que les Oiseaux étaient capable de réduire à la famine en fondant une Cité entre ciel et terre. Il avait bien raison ! Au passage il délégitime tout sacrifice d'animaux.
Le sacrifice intelligent, rationabile, est d'une autre sorte, il faut le considérer à l'inverse de ce sacrifice qui est caricatural à travers trois dimensions : le vrai sacrifice ne peut être un sacrifice d'animaux, c'est ridicule. Il est un sacrifice libre et non commandité ou imposé par un autre. Enfin il correspond toujours au sacrifice de soi et non au meurtre de l'autre. Le Psaume 39 dit bien ces trois caractéristiques d'une manière prophétique : "Tu n'as voulu ni holocaustes, ni sacrifices, alors j'ai dit : me voici, je viens, pour accomplir ta volonté". Ce que nous apprend le psaume 39 ? C'est que le sacrifice intelligent, avec ses trois caractéristiques, accomplit la volonté de Dieu. Si nous revenons à l"énumération de nos cinq adjectifs, le quatrième explique le cinquième. Seul un sacrifice humainement intelligent est capable de plaire à Dieu.
Dieu ne veut que ce sacrifice intelligent, sacrifice de soi et non sacrifice rituel, sacrifice libre et non sacrifice imposé. Le psaume 39 prophétise la passion du Christ à travers laquelle Dieu lui même donne l'exemple en se faisant homme pour mourir sur une croix. Remarquons que le vrai sacrifice, le sacrifice intelligent discrédite les actes de violence mais récupère et transfigure la violence subie, en en faisant une preuve d'amour. On peut penser avec René Girard, lui même grand lecteur de saint Payul et de Joseph de Maistre, qu'un jour, avec la progressive christianisation des mentalités, les actes de violence eux-mêmes, se trouveront discrédités, rendus impossibles. En attendant ce moment, il faut les transfigurer en amour ou en offrande, bref en sacrifices intelligents et acceptables par le Dieu tout puissant, en en inversant la charge (kathexis), en transformant la haine des bourreaux dans l'amour des victimes. C'est le sens de la Passion du Christ, le sens du martyre chrétien, le sens de cette parole énigmatique : "Si l'on te frappe sur la joue gauche, tend aussi la joue droite".
Ce sacrifice est amour car il s'offre pour l'autre. Il est intelligent car il récupère les aspects les plus sombres de le condition humaine pour les faire servir au bien. Saint Paul, encore lui, ne disait-il pas que "Tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu". Même, malgré eux, les bourreaux à front de taureau.
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