Le sang versé pour la rémission, pour la réparation des péchés... C'est le vieux rêve de l'humanité que de parvenir à transformer le mal en bien. Certains le comprennent de travers, cet idéal de la raison pratique, et ils entendent transformer le mal en bien, dans une alchimie qu'ils ont eux-mêmes imaginée, et qui forcément vire malsaine.
Je pense à Georges Bataillle, l'ancien séminariste, dont le livre clé s'appelle tout simplement La littérature et le mal. Dans son Sur Nietzsche, il semble aller au bout de sa pensée en chevauchant justement celle de Nietzsche. Il chante ce qu'il appelle "l'homme entier", l'homme absolu, l'homme qui croit s'être délivré du mal en se délivrant de la morale : « L’homme entier, c’est
l’homme dont la vie est une fête « immotivée » et fête en tous les
sens du mot, un rire, une danse, une orgie, qui ne se subordonnent jamais, un
sacrifice se moquant des fins, des matérielles et des morales »[1].
" Un sacrifice se moquant des fins : les matérielles et les morales"... L'inverse du sacrifice du Christ, qui montre toujours le chemin du bien, comme le soulignait saint Paul aux Hébreux dans notre dernier post (cf. Hébr. 13, 20). Un sacrifice dit Bataille, pourquoi un sacrifice ? Parce que tout absolu fait irruption dans la platitude de l'existence... L'homme absolu entrevu par l'ancien séminariste, qu'il appelle l'homme entier, est forcément sacrificiel, oui. L'absolu ou "l'entièreté' sans morale exige tous les sacrifices, à commencer par le sacrifice du bien... Pour ceux qui ont vu La Grande Bouffe, ils peuvent y avoir découvert ce que cette morale sans bien ni mal peut avoir de sacrificiel... jusqu'au suicide. Quand on se prive du bien, quand on exclut a priori la question pourquoi, comme le fait Bataille, c'est la vie elle-même qui devient une contradiction dans les termes. L'homme absolu, dont parle Bataille, l'homme qui croit que la rédemption vient de l'homme lui même et qu'elle consiste à ne plus se poser le problème du bien et du mal, est déjà dans l'autodestruction de lui-même, ne discernant pas la manière dont il doit se réaliser. Quelle expression quand on la soupèse : il SE laisse aller, en s'oubliant, sans même parvenir à s'aimer lui-même et finalement en s'abandonnant à ses impulsions contradictoires. L'homme absolu de toute façon a signé son propre échec, qui a nom nihilisme.
L'homme nouveau engendré par le sacrifice du Christ est exactement à l'inverse de cet homme entier ou de cet homme absolu. Ne se prenant pas pour l'absolu, il a décidé de se dépasser lui-même, en aimant le Dieu tout autre,et cela forcément jusqu'au sacrifice. Il accepte de considérer qu'il ne se sauve pas lui-même, qu'il ne peut effacer en lui-même la tache originelle ni non plus tout ce qu'il a pu faire lui-même pour le mal, Bref ; il n'est pas et ne peut pas être l'homme absolu. Il s'adresse au Christ notre médiateur, le grand réparateur, et il devient l'homme orienté, l'homme aimant, recevant le sang du Christ pour le pardon des péchés. L'homme sorti de lui-même et tourné vers le Seigneur. Bref l'inverse de l'homme moderne, l'inverse de cet homme absolu et autocentré.
Le cardinal Ratzinger a assez dit l'importance non pas seulement liturgique mais anthropologique de la question de l'orientation de la célébration. Il s'agit non seulement de célébrer tournés tous, prêtres et fidèles, vers l'Est, c'est-à-dire vers le soleil levant qui est le Christ, soleil de justice, mais simplement (même si l'Est fait défaut pour des raisons géographiques), de s'orienter à l'extérieur de soi, tous tournés vers celui qui donne, pour recevoir ce que l'on ne trouve pas en soi... Tous tournés vers celui qui donne quoi ? La rémission des péchés, cette absolue transformation du mal en bien dont je parlais en commençant. Pour que cette alchimie réussisse, il faut, avant toutes choses considérer que nous sommes incapables d'y arriver par nous-mêmes. Nous recevons ce pardon. Nous l'implorons. Nous nous orientons pour le recevoir du Christ, qui seul nous le donne, le Christ notre grand pardonneur comme dit Julien Green.
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