dimanche 13 mars 2011

Lettre du dimanche : 1er dimanche de Carême

Les "billets" de semaine portent sur une citation. Les "lettres du dimanche" porteront plutôt sur un ou deux textes en son entier.

L’Evangile d’aujourd’hui met en scène les trois tentations de Jésus au désert.
Le Messie lui-même a connu des tentations ; ce n’est pas une idée saugrenue de Martin Scorcese dans son film controversé La dernière tentation du Christ.

Il y a d’ailleurs dans l’Evangile même une dernière tentation du Christ, celle de renoncer à sa mission. Cette dernière tentation du Christ se déroule au Jardin des Oliviers, « dans un lieu appelé Gethsémani » : « Il commença à ressentir effroi et angoisse et sa sueur devint comme des gouttes de sang qui coulaient jusqu’à terre » remarque saint Luc. On a l’impression qu'au Jardin des Oliviers, le Christ s’abandonne à Satan, qui, comme au Désert naguère, joue avec son imagination, au point que Jésus se représente à lui-même comme abandonné du Père.

Le Christ, qui a un lien vital avec son Père, est d’ordinaire parfaitement maître de lui-même parce qu’il voit Dieu continuellement. Il a fallu que par une permission exceptionnelle de Dieu Satan puisse en quelque sorte s’interposer entre Jésus et son Père pour qu’une telle souffrance intérieure soit possible. Alors que pas un soldat n’est en vue, alors qu’il pourrait encore fuir, « il commença à ressentir effroi et angoisse », sachant ce qui l’attendait et se sentant tout à coup infiniment seul devant ce fardeau de souffrance, de mort et d’incompréhension universelle.

On pense, même si ce n’est pas la même proximité avec Dieu, à Adam et Eve au Paradis. Ils ont le même équilibre que Jésus, ce don de justice originelle qui met de l’ordre dans leur organisme moral. Adam, nous dit la Genèse, « parlait avec Dieu comme un ami avec son ami à la brise du soir ». Il y a une intimité étroite entre Dieu et le premier couple humain, créé dans un état exceptionnel d’équilibre et de grâce. Et puis brusquement Adam et Eve désobéissent en mangeant le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. A l’instant même, ces deux là « connurent qu’ils étaient nus ». Cela ne signifie pas, je le précise, que l’instinct sexuel n’existait pas avant le péché : il est constitutif de l’homme et de la femme. Mais cela veut dire qu’Adam et Eve étaient parfaitement maîtres d’eux-mêmes tant qu’ils vivaient dans la proximité avec Dieu.

Quant au Christ, ce n’est pas une simple proximité avec Dieu dont il jouit puisqu’il est Dieu. Mais à cet instant, sa nature humaine se retrouve comme désarmée, désertée par l’esprit divin, et il ressent « effroi et angoisse ».

De la même façon, au désert, après son long jeûne, Jésus est comme désarmé devant l’Adversaire. C'est cet étrange désarmement, cet accès de faiblesse qui donne lieu à la scène des trois tentations.

Les trois tentations du Christ que l’Evangile d’aujourd’hui met sous nos yeux, ne sont pas des tentations ordinaires, qu’il aurait facilement déjouées, mais des tentations extraordinaires : premièrement, elles portent non sur sa perfection personnelle mais sur sa mission. Deuxièmement, elles proviennent de l’effort particulier de jeûne et de prière qu’il entreprend durant quarante jours au Désert. Troisièmement, elles sont immédiatement l’effet de « l’Esprit malin », de celui que la Bible appelle « Satan » - c’est-à-dire l’adversaire - ou encore « diabolos », le diviseur, celui qui parvient à nous diviser d’avec nous-mêmes.

Le Christ affaibli par son long jeûne est entre les mains de l’Adversaire qui joue avec sa sensibilité et son imagination (« la folle du logis » comme disait le philosophe Malebranche).

Première tentation : « Ordonne que ces pierres deviennent du pain ». Sers toi à ton profit de la puissance que Dieu a mise en toi. Le Christ n’est pas celui qui se sert, mais « au milieu de nous comme celui qui sert », ainsi qu’il le dit lui-même (Lc 22, 27).

Deuxième tentation : Le diable emporte Jésus en esprit sur le Pinacle du Temple et lui dit : « Jette toi en bas car il est écrit « Ses mains te porteront pour que ton pied ne heurte pas la pierre. C’est la tentation de « Jésus super star », qui utiliserait sa puissance pour « se faire voir » aux yeux des hommes. Jésus se méfie de ceux qui croient en lui uniquement à cause des miracles qu’il accomplit (Jean 2). Il ne cherche pas à être vu, comme un vulgaire thaumaturge, mais à atteindre notre cœur.

Troisième tentation : Le diable lui fit voir « tous les royaumes de la terre avec leur puissance et leur gloire ». – Tout cela t’appartient si, te prosternant devant moi, tu m’adores ! C’est la tentation du compromis avec Satan que le Christ appelle souvent « le Prince de ce monde ». Le message de l’Evangile n’est pas de ceux qui nous font bien voir du « monde ». « Heureux serez vous si l’on vous calomnie, si l’on vous persécute, si l’on dit faussement toutes sortes de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans le Ciel ».

Comment comprendre cette hostilité, qui est manifeste encore aujourd’hui entre le monde et le chrétien ? Dans la Cité de Dieu, saint Augustin cite Ovide : « Veritas parit odium » » « La vérité engendre la haine ». Elle est haïe dans la mesure même où elle se revendique comme vraie.

La vie spirituelle n’est pas le chemin bien plan d’une prise de conscience purement philosophique. Elle se présente toujours comme un combat intérieur... et parfois extérieur. Les belles choses sont difficiles !

7 commentaires:

  1. Quand on a été divisé.... "pour Dieu" ( poussé à pécher..pour jouer au " vivant selon le monde") quel retour?
    quand on a été parcellarisé par le multiple (démocratique, égalitaire, "multi-..." "diversité") au nom de la lutte contre l'un totalitaire (monothéisme, monogamie etc ..) ?
    quand on a détruit en soi toute volonté et toute autorité parce que l'Ecole de Frankfort nous a appris que la personnalité autoritaire était la matrice du fascisme , le féminisme que la machisme était pire que le péché, Freud revu par Reich qu'il fallait briser la "carapace caractérielle"?
    Quand on a "mis l'imagination - même idéalisante- au pouvoir" en soi, dans son métier, sa famille ..parce que depuis Kant on ne peut plus connaître le Réel?
    Etonnant la foule de tentations que nous avons connues et auxquelles nous avons succombé à cause( entre autres) des approximations et ambiguïtés des néo-doctrines... ecclésiales(???)

    Soyez des "hommes nouveaux"( et l'on nous citait Larigaudie ou ceux qui partaient en coopération dans le tiers monde) à la force du poignet, soyez politisés, socialisés, sexualisés, idéologisés, cultivés...etc sinon vous ne pourrez témoigner valablement de Jésus.

    Que d'hérésies!

    A.S. Assailli de Séductions

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  2. Vous vous surpassez, mon père!
    C'est très enrichissant. Je n'ai jamais entendu parler des tentations du Christ avec autant de profondeur.
    Merci!
    Clément d'Aubier (pseudo de rêverie)

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  3. Dieu sensible au coeur, tel se présente, désarmé en effet, le Christ, l'un de nous, notre Frère, notre Bien-aimé, notre Trésor.
    Je ne pense pas du tout que Jésus à Gethsémani ait été tenté et que le diable se soit momentanément interposé entre le Père et Lui. Non, c'est à ce moment de tremblement et d'ébranlement de sa nature humaine, en ce moment où l'angoisse mine la volonté, la liquéfie, isole et terrifie l'esprit, le réduit, l'anihile, qu'Il rejoint au plus profond de Lui-même son Père. c'est sa nature humaine qui se fractionne, s'éparpille, rejoint toutes les dispersions, les désertions, les reculades, les défaillances, les fuites, et DANS LE MÊME TEMPS, Dieu en Lui répare, réunit, cautérise, console, soigne, restaure, prépare, communie, vit, survit.
    Non, l'Esprit divin ne l'a pas déserté mais Il est là qui agit au sein du tumulte intérieur, au sein du coeur multiple, "plus intime que notre intime". Il établit son Alliance, sans relâche ET C'EST DOULOUREUX, c'est un "travail", c'est un accouchement.
    Non, décidément, l'idéal de "maîtrise de soi" n'a rien à voir avec la volonté de Dieu. Non, le Christ n'est pas ordinairement "parfaitement maître de Lui-même" (n'a-t-Il pas pleuré? ne s'est-il pas mis en colère et comme nous l'aimons aussi pour ça !), ce n'est pas son projet, ce n'est pas son but ni ce qu'il recherche pour nous. Ce n'est même pas sa nature : un Dieu omnipotent et lisse, sans affects, sans souffrance. Un Sage, une sorte de Bouddha!
    La maîtrise de soi, c'est un leurre, aussi bien pour Lui que pour nous, .
    Les gens "parfaitement maîtres d'eux-mêmes", fuyez-les mes amis, il y a de fortes chances pour que ce soient des obsédés de la maîtrise d'autrui.
    Mais que l'effroi et l'angoisse aient gagné le Christ en cette heure est tout naturel, entièrement lié au fait que l'homme n'a pas été créé pour la mort. Non la vie n'a pas été créée pour la mort. Comment s'étonner de cet ébranlement chez le Christ, l'un de nous, devant l'effroyable anéantissement qu'elle représente ? Ainsi sur la Croix, de ce cri, de ce déchirement intime au sein de l'écartèlement tout réel que cela représente.
    C'est justement pour nous rejoindre dans cette heure terrible où la vie en nous se cabre, où elle se dissocie, qu'Il est venu en ce monde. c'est là qu'Il nous rejoint et Il tremble et Il crie avec nous.
    O Christ ! et comme chaque homme qui tremble à l'heure de la souffrance et de la mort, est grand à présent, par sa souffrance, et combien proche de Dieu, désormais configuré à Toi.

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  4. A l'anonyme de 19h58: ah, puissiez-vous avoir raison lorsque vous dites que "l'idéal de la maîtrise de soi est contraire à la Volonté de dieu"! Comme je vous suis encore lorsque vous soupçonnez que qui aspire à la maîtrise de soi a de grandes chances d'aspirer plus encore à la maîtrise d'autrui. Seulement, il y a un hic, vous êtes apparemment démenti par Saint-Paul quand il cite "la maîtrise de soi" comme le dernier des fruits de l'Esprit. Le dernier, donc le plus important?

    Une chose me frappe particulièrement cette année à la relecture de l'evangile rapportant les trois tentations du christ, c'est qu'elles ont toutes un point commun: c'est de porter sur le surnaturel. Le Christ est tenté de modifier l'ordre de la nature; il est tenté et il en aurait le pouvoir, mais Il subjugue cette tentation en citant le deuxième commandement:
    "Tu n'emploieras pas le Nom de dieu en vain",, ce que Saint-Paul traduira ainsi pour sa part:
    "On ne se moque pas impunément de dieu."

    La dernière tentation du récit (je pense comme M. l'abbé que la vigile de Sa passion a tout de la "rupture d'équilibre" d'une tentation, qui le met aux prises avec le diable, au paroxysme du combat spirituel;) la dernière tentation du récit, disais-je, quoique portant elle aussi sur le surnaturel, résonne de manière particulière en ceci que, si le Christ y avait succombé , Il en aurait perdu la vie. De là à ce que notre imagination croie voir que le christ a peut-être connu la tentation du suicide, y a-t-il péché à le supposer? Je n'arrive pas à le démêler, ni pourquoi l'evangile a fait ce clin d'oeil terrible à notre imagination. D'autant qu'en réalité, le christ n'a rien d'un être suicidaire. Toutes les tentations dont Il est assailli viseraient plutôt à faire de lui une sorte de surhomme. Le diable veut Lui faire brûler la vie par tous les bouts, adopter la religion du paranormal, devenir un tyran faustéen qui ne reconnaît aucune limite et ne recule devant rien. En quoi peut-on être considéré comme suicidaire si l'on ne reconnaît pas ses limites? Ceci me paraît un point très important sur lequel méditer pour mieux apprécier, puis déprécier la "pulsion de mort", qui entre toujours dans la mécanique du péché. La mort est avant comme après le péché.

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  5. Julien, le premier des fruits de l'Esprit étant la charité et celle-ci : la plus importante des vertus théologales, je pense que c'est elle qui ouvre la voie à tous les fruits de l'Esprit: joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance, douceur, maîtrise de soi.
    Saint Paul (Gal,5, 22) en parle d'ailleurs comme de DONS accordés à ceux qui appartiennent au Christ, à ceux qui vivent selon l'Esprit et non selon la chair. "Puisque l'Esprit est notre vie, que l'Esprit nous fasse aussi agir".
    Ainsi la maîtrise de soi me semble plutôt une conséquence possible quand on s'est prononcé pour le Christ, quand on s'est placé sous la motion de l'Esprit.
    Même si la vie spirituelle est un combat de tous les jours, un combat entre la Grâce (ces dons qui nous transforment) et notre nature qui gémit. C'est ce que décrit l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ au livre III, chapitre 54. Nous retrouvons ce combat, mené avant nous par le Christ au jardin des Oliviers ou sur la Croix : "Plus donc la nature est affaiblie et vaincue, plus la grâce se répand avec abondance; et chaque jour, par de nouvelles effusions elle rétablit au dedans de l'homme l'image de Dieu".
    Voilà qui montre que la maîtrise de soi ne doit pas être recherchée comme l'idéal à atteindre, le but, la perfection. Seul le Christ doit être recherché. Ce Christ qui nous attire non par sa parfaite maîtrise de lui-même mais par sa douceur, sa proximité, son regard, son amour...

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  6. A mon frère, l'ennemi de la maîtrise de soi, à moins qu'elle ne procède de la charité, je voudrais dédier ce poème, rédigé de ce jour, en grande partie en pensant à lui, outre que, même si je suis en désaccord sur le fait que le Christ n'a pas connu la tentation lors de son agonie, je trouve sa méditation de l'agonie du Christ magnifique.


    FANTASY


    I


    J’ai parcouru toutes les échelles
    de la colonne de rigueur

    Et ne l’ai pas trouvée suivant
    mon plan de volubile ardeur.

    J’ai ouï dire que la beauté
    était liée d’un rapport intime

    à l’ordre Via le cosmos.
    Je l’ai cherchée à corps perdu.

    Je me suis placé sous l’étreinte
    de la contrainte, ai attendu.

    J’ai trouvé l’attente longue comme la tige
    Longiligne De l’éternité.

    Rongeant mon frein, j’ai reconnu
    Que La patience n’était pas mon fort,

    De l’autre côté de l’échelle cosmique,
    on m’a répondu en écho :

    « Hé ho, ne sais-tu pas, comique,
    qu’Où la force est bannie, de la patience,

    de la contrainte ; qu’Où l’effort est ravi
    dans les hauteurs béantes du confort

    rien ne saurait sortir de bon ?

    J’ai caressé les contreforts
    de la colonne de rigueur,

    Et je me suis senti frigorifié,
    réfrigéré par la tige longiligne

    De l’éternité sans saveur et sans fin,
    Maigre à faire peur, dont on cherche la sève…

    Voluptueux libidinal,
    Mon chagrin n’est pas vertical.



    II


    Mon autre bras touchant une échelle
    Que je n’avais pas vue d’abord,

    Je me sui demandé quelle elle était,
    Qui ne semblait pas embrasser

    l’étreinte de la contrainte. Etait-ce
    là l’échelle de Jacob tant vantée ?

    Tandis que je m’interrogeai,
    Un ange caressa ma tête

    Et commença par me féliciter :
    « Applaudis-toi de ne jamais céder.

    à l’inquiétude et de t’interroger. »
    Mais je ne fus pas satisfait

    Par cette approbation de l’ange :
    « Qui s’interroge toujours ne goûtera jamais

    la quiétude replète de la satisfaction.
    Il mène une vie désordonnée,

    Soumise aux regrets vertébraux
    Des choix qu’elle n’a su arrêter.

    Une telle vie est invertébrée,
    Et je ne suis pas une amibe,

    Moi qui préférerais l’abîme !»
    Mais l’ange ne s’en troubla point :

    « Dans le désordre d’un jardin,
    ne sévit que la touffeur,

    cette serre de la tempérance,
    qui assagit les herbes folles

    en un foyer qui les consume
    sans que la machine se mêle

    des vapeurs de la fenaison,
    des valeurs de la venaison,

    ne te veux pas le grand veneur
    que tu n’es pas, toi que taraudes

    une soifsans persévérance. »
    Mais je ne trouvai de repos

    Que l’ange ne m’eût découvert
    Comment monter sans inquiétude

    Au grand ciel des aspirations
    De mes élans vertigineux

    De haute voltige, Que ne comblait
    pas l’espérance impécunieuse

    De son attente longiligne
    Ma main posée sur la rigueur,

    Rétablissait l’ordre du cœur
    Dans la rigole de l’attente.

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  7. III


    Les ailes prises dans mes cheveux
    Tel une chauve souris qui se coince,

    L’ange me fit poser les bras,
    De part et d’autre des colonnes,

    L’une de rigueur assurément,
    L’autre bravant mon entendement.

    Et de me chuchoter : « Ecoute !
    D’où crois-tu que vienne le mot ?

    De ces colonnes que tes bras plombent
    Ou d’une hauteur qui les surplombe

    Aux canopés et dans les cimes
    Qui sont du chant les vraies racines ? »

    Mais j’imposai silence à l’ange,
    Trouvant qu’il m’en avait trop dit

    Et ne voulant pas acquiescer
    A chose que je n’eusse reçue.

    L’ange se posa sur les herbes,
    Ce qui, libérant mes cheveux,

    Rendit mes oreilles accessibles
    A une musique inégalable,

    Que je reconnus, affranchi,
    Pour cette musique intérieure

    Jasant, ma source secrète,
    Soit que je marchasse sur l’eau,

    Dès l’aube, levé vers mes lignes
    De pêche, reliées par des fils,

    Soit que, couché sur le côté
    Droit, je cherchasse à trouver

    Le sommeil qui ne venait pas,
    Le côté gauche ayant toujours,

    Et ce depuis ma tendre enfance,
    Favorisé mes cauchemars…


    IV


    L’ange observait depuis la terre
    Si je recevais sa leçon.

    Je le froissai d’une objection :
    « Je t’avais demandé un mot,

    et tu me donnes une musique. »
    « Etends ton linge sur les colonnes !

    Ne sais-tu pas que la musique
    A toujours précédé les mots ?

    Que le langage est TRANSCRIPTION
    De la musique originelle ? »

    « Mais la musique est sans dessein
    intelligent ou cognitif.

    Dans l’univers, on dit qu’il règne
    Le silence des vis-à-vis. »

    « Ne te fie pas à ces ragots.
    Car quand tu as touché la tige

    Longiligne de l’interminable
    Attente de l’éternité,

    Fus-tu pas le premier à dire
    Que cela ne menait à rien ? »

    « Je trouvais qu’elle était sans fin »,
    répartis-je pour ne pas laisser

    l’ange donner de l’éternité
    une version blasphématoire.

    « Mais crois-tu que je sois venu
    à ta rescousse pour blasphémer ?

    pour toi, je ne sais d’autre dessein
    que ce qui se tait et se chante.

    Nul indice n’est là où tu poses
    tes bras longs, qui voudraient savoir

    si la rigueur tient le monde,
    ou si c’est la corde d’argent.

    Ce n’est pas la corne de brume,
    C’est la musique originelle,

    Car celle-là seul est sans appel,
    Pure intention précédant l’acte

    Auquel on ne peut se soustraire
    Que si l’on filtre de son « moi »

    En faisant tant la sourde oreille
    Que l’on rende le monde absurde.

    Mais qui veut être virtuose,
    Dans le désordre de son champ,

    M’invoque afin que je la chante,
    Cette musique de l’esprit,

    Du temps qu’Il planait sur les eaux,
    A travers ses mains ou sa voix.

    Et ses voies sont bien misérables,
    Qui cherchent à être justifiées,

    Dans une autre-fidélité
    Que celle où je la restitue,

    En fantaisie brisant les chaînes
    Des lois de la causalité,

    Des lois de la tonalité.
    Module et marche sur le fil

    Du déséquilibre harmonieux
    Qui te fait dépendre de moi,

    Chanteur précaire, orgue fragile,
    A qui supplée l’ange de Dieu. »



    Julien WEINZAEPFLEN


    Julien WEINZAEPFLEN

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