Article publié dans Monde&Vie n°840 - mars 2011
Le Lundi saint 25 mars 1991, en la fête de l’Annonciation, Mgr Lefebvre quittait ce monde. Il avait été opéré trop tard d’une tumeur cancéreuse « de la taille de trois pamplemousses »…Il laissait derrière lui quatre évêques et son œuvre la Fraternité Saint Pie X. Il laissait à l’Eglise universelle une question, qui peut s’entendre de multiples façons : qu’as-tu fait des formes de ta Tradition ? Qu’as-tu fait de ta liturgie ? De ta théologie ? De ta foi ?
En lisant le livre témoignage de Philippe Béguerie (voir encadré), ancien spiritain, qui a quitté sa Congrégation en 1963, à cause d’un désaccord avec le Supérieur général - un certain Mgr Marcel Lefebvre - on est frappé du respect avec lequel il parle, 20 ans après sa mort, de cet homme qui aurait dû être son ennemi et qui fut - à un tel point - son adversaire. Un respect qui a toujours entouré la personne et l’œuvre de cet évêque à toutes les époques de son long épiscopat. Je ne peux mieux faire que de citer l’un de ses paroissiens musulmans, Ababacar Thiam, écrivant, après avoir appris sa mort : « Monseigneur, l’Evêque, le Dakarois, le Sénégalais, le plus grand bâtisseur, l’homme de Dieu, de foi est parti ». Ceux qui le critiquent vertement sont ceux qui ne l’ont pas connu. Son obstination toujours sereine pouvait irriter. Mais sa douceur désarmait. « Heureux les doux, car ils possèderont la terre ». C’est d’abord la douceur de Mgr Lefebvre qui a permis le prodigieux rayonnement de son œuvre. Ses dernières paroles, reprises dans le livre magnifique de Mgr Tissier de Mallerais, semblent devoir cristalliser cette douceur dans un sourire éternel : « Nous sommes tous ses petits enfants ». Etonnant pour un homme qui a réputation d’avoir défié le pape, d’avoir contesté les orientations prises par l’ensemble de l’Eglise ! Cet esprit d’enfance devant Dieu, serait-ce son secret le plus intime, le mieux gardé, raison ultime de l’audace tranquille avec laquelle il a défié les modes de son époque ?
« Le moins influençable du monde »
Cela étant posé, le trait le plus apparent de Mgr Lefebvre n’a pas été sa douceur mais sa force. Le monde pouvait s’écrouler autour de lui, il ne changeait pas d’avis, une fois qu’il avait analysé une situation. C’était vrai au cours de son épiscopat en Afrique, quand il avait décidé d’implanter un dispensaire dans un village païen pour le christianiser. Cela demeurait vrai, lorsque depuis Ecône il faisait trembler les sacristies de France, de Navarre et peut-être du monde entier. D’où lui est venu une telle stabilité ? Il y a forcément les prédispositions de la nature, mais il y a son histoire personnelle, l’histoire de sa sainteté personnelle. Il dit avoir reçu l’enseignement du Père Le Floch, au Séminaire français de Rome, comme « une révélation ». Ce mot est de lui. Mais de quelle révélation s’agit-il ? Voyons le contexte : « C’est lui, le Père Le Floch, qui nous a appris ce qu’était les papes dans le monde et dans l’Eglise, ce qu’ils ont enseigné pendant un siècle et demi : l’antilibéralisme, l’antimodernisme, l’anticommunisme, toute la doctrine de l’Eglise sur ces sujets, pour tenter de préserver l’Eglise et le monde de ces fléaux qui nous oppressent aujourd’hui. Cela a été pour moi une révélation ». Très jeune, Mgr Lefebvre a formé son jugement, en s’inspirant de l’enseignement du Père Le Floch, lui-même disciple de saint Pie X et lecteur des encycliques des papes, de Léon XIII à Pie XI.
Ayant suivi moi-même les conférences spirituelles de Mgr Lefebvre pendant six ans, je peux témoigner qu’il ne connaissait pas l’œuvre de Charles Maurras, quoi que lui reprochent ses adversaires. Les citations de Maurras, en exergue de certains chapitres de son ouvrage Ils l’ont découronné sont de Mgr Tissier de Mallerais (Charles Maurras était le témoin de mariage de ses parents). Ce point – Maurras ou pas Maurras – est important. Si Mgr Lefebvre n’avait été qu’un maurrassien, imbu de doctrines politiques, on aurait pu traiter cet évêque d’idéologue mélangeant allègrement politique et religion, ce que ne se privent pas de faire ceux qui, comme Philippe Levillain, dans son récent Rome n’est plus dans Rome, écrivent l’histoire attendue. Mais personne n’était moins politique que Mgr Lefebvre. Qui se souvient de sa saillie lors de son Jubilé sacerdotale : « Je ne fais pas de politique, je fais de la bonne politique, cela n’est pas la même chose ». Non, cela n’est pas la même chose. Homme d’Eglise, engagé dans les réalités terrestre, témoin de la colonisation et de la décolonisation en Afrique, Mgr Lefebvre porte des jugements sur la politique et veut « une bonne politique » parce qu’il sait que, selon le mot de Pie XII, « de la forme d’un Etat, dépend le salut des âmes ». Mais il n’est pas une seconde le militant d’une cause politique quelconque. Sa seule préoccupation c’est la marche de l’Eglise dans ce siècle et c’est l’enseignement des papes sur « le droit naturel et chrétien », comme disait Jean Ousset, le patron de cette Cité catholique dont il prit la défense au risque de sa propre réputation, dès 1956. Il écrira dans cet esprit une préface à Pour qu’il règne, l’ouvrage majeur du même Jean Ousset en 1960, sans doute, entre autres, pour bien montrer que la polémique qui était née quatre années auparavant ne l’avait pas impressionné, ni fait changer d’un iota.
« Je vous ai compris »
Philippe Bèguerie raconte une scène qui eut lieu au moment de la IIème Session du Concile. Les évêques spiritains – il y en eut 12 – demandèrent à le voir et lui reprochèrent ses positions déjà anticonciliaires. Il leur répondit dans un sourire : « Je vous ai compris (sic). Mais chacun doit agir selon sa conscience n’est-ce pas ? ». Et il les congédia sans autre civilité, toujours souriant. Lorsque j’ai découvert cette scène, je me suis dit : c’est lui, déjà, « l’homme le moins influençable qui soit » comme le note Mgr Tissier au début de sa Biographie. Le moins influençable ? Parce qu’il est fort de cette « révélation » : l’enseignement des papes sur le droit naturel et chrétien.
Mgr Lefebvre n’était pas un théologien de profession. On lui a souvent reproché – du côté des sédévacantistes comme du côté des conciliaires - des prises de position qui pouvaient paraître ondoyantes ou insuffisamment approfondies. Dans sa condamnation de toute pratique du dialogue interreligieux, il était sans doute unilatéral, comme l’ont montré certains épisodes de sa carrière dakaroise : le refus d’un service religieux pour les victimes catholiques et musulmanes d’un crash aérien par exemple.
Mais ses adversaires avaient, de leur côté, deux carences, qui les ont empêchés de comprendre cet homme et d’apprécier ses raisons à leurs justes valeurs. D’une part, pour la plupart, ils n’avaient pas son expérience missionnaire sur le terrain. Ils parlaient de la mission comme on parle aujourd’hui de la nouvelle évangélisation : de manière incantatoire. Mgr Lefebvre – c’est un trait de son caractère - avait très vite décidé de répondre par des actes aux campagnes montées contre lui. Tel est le sens de son départ précipité du chapître général des spiritain dans lequel il vient d’être mis en minorité. Il ne se défend pas. Il ne prend même pas la peine de faire bonne figure. C’est que quelques semaines plus tard, il fonde un convict à Fribourg en Suisse et il pose les bases d’une nouvelle Fraternité sacerdotale. C’est ce goût de l’action et ce sens de l’organisation qui vont donner une importance exceptionnelle à sa protestation, en la rendant incontournable.
Pourquoi les sacres illégaux ?
Ayant assisté aux va et vient qui entourent le sacre des quatre évêques le 30 juin, je me souviens que je m’étais dit : les raisons spéculatives des sacres sont peu claires. Rome accorde un évêque. Pourquoi en vouloir quatre ? Mgr Lefebvre a préféré faire ces sacres sans l’accord de Rome pour trois raisons. Premièrement : ne pas laisser retomber le soufflet qu’il avait créé, en partant du scandale de la première réunion d’Assise : sans ce soufflet d’indignation populaire, il perdait toute marge de manœuvre et devait accepter les conditions de Rome. Deuxièmement : à l’instinct, l’accueil des « Romains » lui a paru trop froid pour qu’une « collaboration durable » puisse être envisagée. Encore la pratique ! Et troisièmement : il entendait préserver l’atmosphère spirituelle propre de sa communauté, qu’il craignait de voir se diluer dans l’état d’esprit dominant. Je pense que, du point de vue pratique, ces sacres ont été un grand moment de l’histoire de l’Eglise. Ils ont donné naissance aux communautés Ecclesia Dei sans affaiblir la Fraternité saint Pie X. Et ils ont créé un électrochoc qui a permis une véritable prise de conscience, comme l’a reconnu un certain cardinal Ratzinger lors d’une conférence à Santiago du Chili au mois de juillet 1988. Le pragmatisme de Mgr Lefebvre est un élément capital de son parcours spirituel. On le retrouve aux moments les plus critiques de sa vie.
Mais il y a une deuxième carence de ceux qui ont voulu se proclamer ses juges : ils ne connaissaient pas – ou ne voulaient plus connaître - la théologie romaine à laquelle se réfère constamment Mgr Lefebvre et dans laquelle il a été formée par le Père Le Floch. Son assurance, c’est pourtant de cette théologie romaine qu’il la reçoit, persuadé que la foi catholique elle-même se trouve exprimée dans cette théologie.
C’est à travers ce prisme, qu’il discerne très vite le danger de la collégialité. Il voit bien que ce n’est pas une menace pour l’autorité du pape (comme certains le laissaient craindre) mais pour l’autorité de chaque évêque dans son diocèse. Combien de fois a-t-il répété : « La crise de l’Eglise est une crise de l’autorité dans l’Eglise ».
Un triple prisme
C’est à travers ce prisme qu’il met en cause la liberté religieuse, non seulement du point de vue des rapports entre l’Eglise et l’Etat mais parce que cette liberté sape l’autorité de la foi elle-même : « Le schéma sur la liberté religieuse admis, toute la vigueur et toute la valeur du magistère de l’Eglise sont frappées de mort d’une manière radicale ». Le Père Congar dans son très privé Journal du Concile, lui donne raison sur ce point, en avouant que le document sur la liberté religieuse « fera perdre à l’Eglise deux ou trois siècles » (sic).
Dans ce contexte de destruction de l’Autorité de la vérité, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux peuvent-ils être autre chose que des manifestations d’indifférentisme ?
Voilà les trois grandes intuitions de Mgr Lefebvre, telles qu’il les a publiées dans Rivarol en octobre 1968 sous le titre Pour une vraie rénovation de l’Eglise. Ses confrères spiritains, les évêques français, le pape lui-même ne comprennent pas cette obstination « mystérieuse », « plus catholique que le pape », « inconcevable ».
Mais Mgr Lefebvre ne variera jamais et jusqu’à son dernier souffle désignera ainsi le mal et la mort dans l’Eglise. L’Histoire avec une majuscule n’a pas fini de lui donner raison. Jean-Paul II réfléchissant sur la primauté de la vérité sur la liberté dans l’encyclique Veritatis splendor, a (involontairement ?) confirmé le terrible diagnostic qui a fait de Mgr Lefebvre l’évêque de fer. Reste à en tirer toutes les conséquences : il y a du pain sur la planche ! Et les années passent, stérilisantes pour l’Eglise.
Abbé G. de Tanoüarn
En lisant le livre témoignage de Philippe Béguerie (voir encadré), ancien spiritain, qui a quitté sa Congrégation en 1963, à cause d’un désaccord avec le Supérieur général - un certain Mgr Marcel Lefebvre - on est frappé du respect avec lequel il parle, 20 ans après sa mort, de cet homme qui aurait dû être son ennemi et qui fut - à un tel point - son adversaire. Un respect qui a toujours entouré la personne et l’œuvre de cet évêque à toutes les époques de son long épiscopat. Je ne peux mieux faire que de citer l’un de ses paroissiens musulmans, Ababacar Thiam, écrivant, après avoir appris sa mort : « Monseigneur, l’Evêque, le Dakarois, le Sénégalais, le plus grand bâtisseur, l’homme de Dieu, de foi est parti ». Ceux qui le critiquent vertement sont ceux qui ne l’ont pas connu. Son obstination toujours sereine pouvait irriter. Mais sa douceur désarmait. « Heureux les doux, car ils possèderont la terre ». C’est d’abord la douceur de Mgr Lefebvre qui a permis le prodigieux rayonnement de son œuvre. Ses dernières paroles, reprises dans le livre magnifique de Mgr Tissier de Mallerais, semblent devoir cristalliser cette douceur dans un sourire éternel : « Nous sommes tous ses petits enfants ». Etonnant pour un homme qui a réputation d’avoir défié le pape, d’avoir contesté les orientations prises par l’ensemble de l’Eglise ! Cet esprit d’enfance devant Dieu, serait-ce son secret le plus intime, le mieux gardé, raison ultime de l’audace tranquille avec laquelle il a défié les modes de son époque ?
« Le moins influençable du monde »
Cela étant posé, le trait le plus apparent de Mgr Lefebvre n’a pas été sa douceur mais sa force. Le monde pouvait s’écrouler autour de lui, il ne changeait pas d’avis, une fois qu’il avait analysé une situation. C’était vrai au cours de son épiscopat en Afrique, quand il avait décidé d’implanter un dispensaire dans un village païen pour le christianiser. Cela demeurait vrai, lorsque depuis Ecône il faisait trembler les sacristies de France, de Navarre et peut-être du monde entier. D’où lui est venu une telle stabilité ? Il y a forcément les prédispositions de la nature, mais il y a son histoire personnelle, l’histoire de sa sainteté personnelle. Il dit avoir reçu l’enseignement du Père Le Floch, au Séminaire français de Rome, comme « une révélation ». Ce mot est de lui. Mais de quelle révélation s’agit-il ? Voyons le contexte : « C’est lui, le Père Le Floch, qui nous a appris ce qu’était les papes dans le monde et dans l’Eglise, ce qu’ils ont enseigné pendant un siècle et demi : l’antilibéralisme, l’antimodernisme, l’anticommunisme, toute la doctrine de l’Eglise sur ces sujets, pour tenter de préserver l’Eglise et le monde de ces fléaux qui nous oppressent aujourd’hui. Cela a été pour moi une révélation ». Très jeune, Mgr Lefebvre a formé son jugement, en s’inspirant de l’enseignement du Père Le Floch, lui-même disciple de saint Pie X et lecteur des encycliques des papes, de Léon XIII à Pie XI.
Ayant suivi moi-même les conférences spirituelles de Mgr Lefebvre pendant six ans, je peux témoigner qu’il ne connaissait pas l’œuvre de Charles Maurras, quoi que lui reprochent ses adversaires. Les citations de Maurras, en exergue de certains chapitres de son ouvrage Ils l’ont découronné sont de Mgr Tissier de Mallerais (Charles Maurras était le témoin de mariage de ses parents). Ce point – Maurras ou pas Maurras – est important. Si Mgr Lefebvre n’avait été qu’un maurrassien, imbu de doctrines politiques, on aurait pu traiter cet évêque d’idéologue mélangeant allègrement politique et religion, ce que ne se privent pas de faire ceux qui, comme Philippe Levillain, dans son récent Rome n’est plus dans Rome, écrivent l’histoire attendue. Mais personne n’était moins politique que Mgr Lefebvre. Qui se souvient de sa saillie lors de son Jubilé sacerdotale : « Je ne fais pas de politique, je fais de la bonne politique, cela n’est pas la même chose ». Non, cela n’est pas la même chose. Homme d’Eglise, engagé dans les réalités terrestre, témoin de la colonisation et de la décolonisation en Afrique, Mgr Lefebvre porte des jugements sur la politique et veut « une bonne politique » parce qu’il sait que, selon le mot de Pie XII, « de la forme d’un Etat, dépend le salut des âmes ». Mais il n’est pas une seconde le militant d’une cause politique quelconque. Sa seule préoccupation c’est la marche de l’Eglise dans ce siècle et c’est l’enseignement des papes sur « le droit naturel et chrétien », comme disait Jean Ousset, le patron de cette Cité catholique dont il prit la défense au risque de sa propre réputation, dès 1956. Il écrira dans cet esprit une préface à Pour qu’il règne, l’ouvrage majeur du même Jean Ousset en 1960, sans doute, entre autres, pour bien montrer que la polémique qui était née quatre années auparavant ne l’avait pas impressionné, ni fait changer d’un iota.
« Je vous ai compris »
Philippe Bèguerie raconte une scène qui eut lieu au moment de la IIème Session du Concile. Les évêques spiritains – il y en eut 12 – demandèrent à le voir et lui reprochèrent ses positions déjà anticonciliaires. Il leur répondit dans un sourire : « Je vous ai compris (sic). Mais chacun doit agir selon sa conscience n’est-ce pas ? ». Et il les congédia sans autre civilité, toujours souriant. Lorsque j’ai découvert cette scène, je me suis dit : c’est lui, déjà, « l’homme le moins influençable qui soit » comme le note Mgr Tissier au début de sa Biographie. Le moins influençable ? Parce qu’il est fort de cette « révélation » : l’enseignement des papes sur le droit naturel et chrétien.
Mgr Lefebvre n’était pas un théologien de profession. On lui a souvent reproché – du côté des sédévacantistes comme du côté des conciliaires - des prises de position qui pouvaient paraître ondoyantes ou insuffisamment approfondies. Dans sa condamnation de toute pratique du dialogue interreligieux, il était sans doute unilatéral, comme l’ont montré certains épisodes de sa carrière dakaroise : le refus d’un service religieux pour les victimes catholiques et musulmanes d’un crash aérien par exemple.
Mais ses adversaires avaient, de leur côté, deux carences, qui les ont empêchés de comprendre cet homme et d’apprécier ses raisons à leurs justes valeurs. D’une part, pour la plupart, ils n’avaient pas son expérience missionnaire sur le terrain. Ils parlaient de la mission comme on parle aujourd’hui de la nouvelle évangélisation : de manière incantatoire. Mgr Lefebvre – c’est un trait de son caractère - avait très vite décidé de répondre par des actes aux campagnes montées contre lui. Tel est le sens de son départ précipité du chapître général des spiritain dans lequel il vient d’être mis en minorité. Il ne se défend pas. Il ne prend même pas la peine de faire bonne figure. C’est que quelques semaines plus tard, il fonde un convict à Fribourg en Suisse et il pose les bases d’une nouvelle Fraternité sacerdotale. C’est ce goût de l’action et ce sens de l’organisation qui vont donner une importance exceptionnelle à sa protestation, en la rendant incontournable.
Pourquoi les sacres illégaux ?
Ayant assisté aux va et vient qui entourent le sacre des quatre évêques le 30 juin, je me souviens que je m’étais dit : les raisons spéculatives des sacres sont peu claires. Rome accorde un évêque. Pourquoi en vouloir quatre ? Mgr Lefebvre a préféré faire ces sacres sans l’accord de Rome pour trois raisons. Premièrement : ne pas laisser retomber le soufflet qu’il avait créé, en partant du scandale de la première réunion d’Assise : sans ce soufflet d’indignation populaire, il perdait toute marge de manœuvre et devait accepter les conditions de Rome. Deuxièmement : à l’instinct, l’accueil des « Romains » lui a paru trop froid pour qu’une « collaboration durable » puisse être envisagée. Encore la pratique ! Et troisièmement : il entendait préserver l’atmosphère spirituelle propre de sa communauté, qu’il craignait de voir se diluer dans l’état d’esprit dominant. Je pense que, du point de vue pratique, ces sacres ont été un grand moment de l’histoire de l’Eglise. Ils ont donné naissance aux communautés Ecclesia Dei sans affaiblir la Fraternité saint Pie X. Et ils ont créé un électrochoc qui a permis une véritable prise de conscience, comme l’a reconnu un certain cardinal Ratzinger lors d’une conférence à Santiago du Chili au mois de juillet 1988. Le pragmatisme de Mgr Lefebvre est un élément capital de son parcours spirituel. On le retrouve aux moments les plus critiques de sa vie.
Mais il y a une deuxième carence de ceux qui ont voulu se proclamer ses juges : ils ne connaissaient pas – ou ne voulaient plus connaître - la théologie romaine à laquelle se réfère constamment Mgr Lefebvre et dans laquelle il a été formée par le Père Le Floch. Son assurance, c’est pourtant de cette théologie romaine qu’il la reçoit, persuadé que la foi catholique elle-même se trouve exprimée dans cette théologie.
C’est à travers ce prisme, qu’il discerne très vite le danger de la collégialité. Il voit bien que ce n’est pas une menace pour l’autorité du pape (comme certains le laissaient craindre) mais pour l’autorité de chaque évêque dans son diocèse. Combien de fois a-t-il répété : « La crise de l’Eglise est une crise de l’autorité dans l’Eglise ».
Un triple prisme
C’est à travers ce prisme qu’il met en cause la liberté religieuse, non seulement du point de vue des rapports entre l’Eglise et l’Etat mais parce que cette liberté sape l’autorité de la foi elle-même : « Le schéma sur la liberté religieuse admis, toute la vigueur et toute la valeur du magistère de l’Eglise sont frappées de mort d’une manière radicale ». Le Père Congar dans son très privé Journal du Concile, lui donne raison sur ce point, en avouant que le document sur la liberté religieuse « fera perdre à l’Eglise deux ou trois siècles » (sic).
Dans ce contexte de destruction de l’Autorité de la vérité, l’œcuménisme et le dialogue interreligieux peuvent-ils être autre chose que des manifestations d’indifférentisme ?
Voilà les trois grandes intuitions de Mgr Lefebvre, telles qu’il les a publiées dans Rivarol en octobre 1968 sous le titre Pour une vraie rénovation de l’Eglise. Ses confrères spiritains, les évêques français, le pape lui-même ne comprennent pas cette obstination « mystérieuse », « plus catholique que le pape », « inconcevable ».
Mais Mgr Lefebvre ne variera jamais et jusqu’à son dernier souffle désignera ainsi le mal et la mort dans l’Eglise. L’Histoire avec une majuscule n’a pas fini de lui donner raison. Jean-Paul II réfléchissant sur la primauté de la vérité sur la liberté dans l’encyclique Veritatis splendor, a (involontairement ?) confirmé le terrible diagnostic qui a fait de Mgr Lefebvre l’évêque de fer. Reste à en tirer toutes les conséquences : il y a du pain sur la planche ! Et les années passent, stérilisantes pour l’Eglise.
Abbé G. de Tanoüarn
Deux nouvelles « bios »
Philippe Levillain, historien médiatique, vient de commettre un Rome n’est plus dans Rome, Mgr Lefebvre et son église (éd. Perrin) qui n’est pas seulement une mauvaise action mais surtout et d’abord un mauvais travail. Exemple au hasard : le Père Laguérie accompagne mons. Ducaud-Bourget depuis 1972 à Laennec et il bénit la chapelle et dit des messes depuis 1973. En note, on apprend qu’il a été ordonné prêtre en 1979 (p. 285). Hypothèse plausible : le nègre de Levillain, chargé par lui, de l’appareil critique, n’a pas osé relever les erreurs grossières de son employeur… Ce genre d’ouvrage est une tâche dans la carrière d’un historien.
Sous le titre Vers Ecône chez DDB, Philippe Bèguerie, ancien spiritain, adversaire de toujours pour Mgr Lefebvre, publie un passionnant dossier et des documents inédits sur Mgr Lefebvre avant Ecône. Il ne nous laisse pas ignorer son partis pris, mais nous offre une nouvelle illustration de la constance de l’évêque de fer.
GT
Philippe Levillain, historien médiatique, vient de commettre un Rome n’est plus dans Rome, Mgr Lefebvre et son église (éd. Perrin) qui n’est pas seulement une mauvaise action mais surtout et d’abord un mauvais travail. Exemple au hasard : le Père Laguérie accompagne mons. Ducaud-Bourget depuis 1972 à Laennec et il bénit la chapelle et dit des messes depuis 1973. En note, on apprend qu’il a été ordonné prêtre en 1979 (p. 285). Hypothèse plausible : le nègre de Levillain, chargé par lui, de l’appareil critique, n’a pas osé relever les erreurs grossières de son employeur… Ce genre d’ouvrage est une tâche dans la carrière d’un historien.
Sous le titre Vers Ecône chez DDB, Philippe Bèguerie, ancien spiritain, adversaire de toujours pour Mgr Lefebvre, publie un passionnant dossier et des documents inédits sur Mgr Lefebvre avant Ecône. Il ne nous laisse pas ignorer son partis pris, mais nous offre une nouvelle illustration de la constance de l’évêque de fer.
GT
J'ai déjà entendu Mgr Lefebvre affirmer de sa propre bouche que le coup de mort du Père Le Floch aurait été ses citations de Maurras. Aussi l'Évêque parlait rarement du Père Le Floch sans parler de Francisque Gay.
RépondreSupprimerMonsieur l'abbé,
RépondreSupprimervous parlez de la "sainteté personnelle " de Mgr Lefebvre. En fait, je croyais que c'était le pape qui engageait l'Eglise sur cette type d'affirmation.
Je vois qu'il n'en est rien et que l'abbé de Tanournan a autorité pour cela ...
LM2W
@Laurent : la sainteté est une notion analogique et l'on peut parler de la "sainteté" d'un prêtre ou d'un religieux (et pourquoi pas d'un laïc) sans entendre forcément par là l'héroïcité de ses vertus. Par ailleurs, Guillaume est breton et non arménien : c'est donc l'abbé de Tanoüarn et non de "Tanouarnan" (cela dit, l'expression est amusante...)
RépondreSupprimerj'espere bien que Monseigneur Lefebvre sera un jour, pas si lointain, beatifie, et meme plus
RépondreSupprimerJe prie pour cela.
Ceux qui ont connu Monseigneur Lefebvre savent le 'saint' homme qu'il etait et sa douceur legendaire est loin de relever de la legende.
Ceux qui savent gardent encore le silence, malgre toutes les pensees absurdes attribuees a Monseigneur Lefebvre.
Vous écrivez: "Tel est le sens de son départ précipité du chapître général des spiritain dans lequel il vient d’être mis en minorité. Il ne se défend pas. Il ne prend même pas la peine de faire bonne figure. C’est que quelques semaines plus tard, il fonde un convict à Fribourg en Suisse et il pose les bases d’une nouvelle Fraternité sacerdotale."
RépondreSupprimerEn fait, c'est en 1969, un peu plus d'un an après sa démission de 1968, qu'il fonde le convict de Fribourg.
Je suis certainement la personne la plus mal placée pour parler de l'héritage de Mgr Lefèbre, ne l'ayant pas connu, n'yant pas reçu son enseignement, pire, n'étant pas de son bord.
RépondreSupprimerMais il me semble que, si l'on veut prendre un peu de champ et cerner la portée historique du rôle de mgr Lefèbvre dans l'Eglise, on ne peut que voir qu'il aura joué celui du fils aîné de la parabole de l'enfant prodigue, consterné que l'on tue le veau gras, non seulement pour des "frères séparés" à qui l'on ne demandait même pas de se donner la peine de revenir dans le giron de la maison mère, mais pour des étrangers à l'eglise que l'on prétendait accueillir sous son toit bienfaisant.
Mgr Lefèbre a défendu "le droit du premier occupant", il a réagi comme le fils aîné, devant ce qui pouvait lui apparaître comme un ajout à la parabole de l'enfant prodigue, une Miséricorde de plus, qui ne demandait même plus allégeance, ni retour explicite au Père. Cette réaction a sans doute manqué de charité ou plus simplement de générosité, mais elle n'a pas reçu la malédiction de dieu dont beaucoup ont voulu la frapper. Vers le fils aîné de la parabole, son père prend la peine de sortir, puisqu'il refuse de s'associer à la fête, et c'est pour l'assurer:
"Mon fils, je ne te fais aucun tort, puisque tout ce qui est à Moi est à toi!"
Je crois que l'eglise romaine aurait dû faire au plus tôt la preuve d'une telle mansuétude envers mgr Lefèbvre, même s'il est concevable que pouvait l'impatienter son intrépide obstination... à refuser de capituler. Cette obstination était déjà annoncée dans les ecritures. Aussi ne devait-on pas s'en effaroucher. L'eglise qui avait la clef de la maison aurait dû le garantir sans cesse qu'elle lui demeurait ouverte. La crise de l'eglise s'en serait trouvée plus vite apaisée. Or la preuve que les arguments de mgr Lefèbvre ont fait mouche, c'est qu'ils sont repris aujourd'hui, au niveau de l'instance la plus haute de l'eglise. Donc pourquoi avoir perdu autant de temps et s'être dépensé en tant de haine?
Question indiscrète.
RépondreSupprimerPourquoi Mgr Lefèvre a t-il refusé en 1989 ce que lui avait proposé Jean-Paul II ?
On peut aussi lutter d l'intérieur? Il a gagné certes 3 évêques en plus mais l'un a fait par la suite de tels dégâts qu'il a compromis tout ce dynamisme et les fruits de la réconciliation qu’il a contribué à faire avorter.
Je faisais partie de ceux qui ont prié à l'Eglise Saint Gervais à 2 heures du matin, m’enfuyant de chez moi (mon frère logeant chez moi, que je n’avais pas prévenu de ma démarche a du se faire des idées !) pour que Mgr Lefèvre renonce à ces sacres et poursuive le dialogue, surmonte sa peur. Et je fus un peu triste de cet échec comme les priants de Saint Gervais
Certains ont su aussi renouveler l'état d'esprit de l’intérieur, je pense aux charismatiques, qui aussi donné des évêques
La fidélité au corps d e l’Eglise est aussi une vertu
"... renouveler l'état d'esprit de l’intérieur, je pense aux charismatiques, qui aussi donné des évêques..."
RépondreSupprimerCertains ont su? eh bien tant mieux. Les tradis "de l'intérieur", eux, sont visiblement moins doués. Je vis à Paris, capitale de la France, et rien ne m'indique que les traditionalistes qui n'ont pas voulu suivre Mgr Lefebvre (FSSP par exemple) y soient les bienvenus.
Il y a bien sûr le motu proprio de 2007, nous étions 54 à signer la demande pour une messe dans ma paroisse, représentant 168 personnes avec les familles. Le curé y a répondu défavorablement, j'ai écrit à l'évêque, mais il ne prévoit rien sur l'arrondissement. J'ai enfin écrit à Rome (été 2008) pour demander ce que nous devions faire. Dans l'attente de leur réponse, je vais à la messe où je veux/peux...
... c'est-à-dire parfois dans des lieux FSSPX, en remerciant le Ciel (et Mgr Lefebvre) qu'elle soit là.
M.L'abbé cet article est excellent !!! Bravo et Mille merci pour votre fidélité et la grande noblesse de votre honnêteté intellectuelle... Peu de gens ont su effectivement évoquer jusqu'à présent la douceur dans la détermination de fer que l'on remarque chez Mgr Lefebvre. N'est-il pas justement un trait de caractère christique ?
RépondreSupprimerEn tous cas Mgr Lefebvre a très vit compris comme l'abbé de Nante, le Père Barbara et tant d'autres qu'une religion étant la "loi suprême de Dieu" ,donc éternelle et immuable dans ses principes fondateurs , ne saurait se réformer radicalement !!!...On ne peut effectivement jamais réformer une religion du fond en comble comme ont fait les conciliaires sans encourir le risque de créer de toute pièce une nouvelle.
Matthieu-Michel
Votre panégyrique est intéressant mais fort peu objectif ! remarquez, un panégyrique objectif serait un oxymore...
RépondreSupprimerAinsi, selon vous, Mgr L. aurait eu un grand sens de la papauté, du principat hiérarchique pontifical et de l'autorité... Le moins que l'on puisse dire, c'est que ses actes s'éloignent de façon impressionnante de ces principes, non ?
Mgr L. aurait eu horreur de la collégialité ? Mais comment pouvoir affirmer une telle chose alors qu'il s'est comporté toute sa vie comme détenant la vérité à l'égal voire mieux que le pape ? C'est oublier totalement que la magistère vivant ne consiste pas à faire parler des papes morts pour s'opposer à l'occupant en titre du trône pontifical... Les évêques ne peuvent enseigner qu'unis au pape : et encore maintenant, la FSSPX s'appuie sur des déclarations de théologiens ou d'évêques isolés pour contredire le pape qui n'est pas lu ni écouté en réalité...
L'autorité du pape ? Mais les sacres sans mandat dans l'Eglise sont ontologiquement un acte de négation de l'autorité et de rupture de communion ! Cela est vrai depuis fort longtemps, pas seulement depuis Pie XII. Vouloir en faire une felix culpa relève de la poésie !
Vous relevez la faible maîtrise théologique de Mgr L. qui est effectivement cruellement mise en évidence lors des sacres : cela va jusqu'à nier la divine constitution de l'Eglise car il sacre des évêques non pour prêcher mais pour transmettre les sacrements, l'ordre et la confirmation en priorité (sermon du 30 juin 1988)... Faut-il développer ? Créer des évêques sans mission revient tout simplement à nier l'ordre du Christ lorsqu'Il envoie les apôtres prêcher l'évangile "comme son Père l'a envoyé"...
La hiérarchie ? mais l'utilisation de "ses facultés missionnaires" dévolues en toute négation des principes canoniques à ses prêtres revient à fouler aux pieds toutes les règles de la dévolution juridictionnelle dans l'Eglise telle qu'elle a justement été posée par les papes centralisateurs qu'admire pourtant autant Mgr L...
Bref, Mgr L a eu un grand sens de la papauté, mais le sien, pas celui de l'Eglise catholique. Il s'est comporté comme un moderniste (au risque de vous choquer !) en défendant son point de vue, plutôt à droite et conservateur, contre une aile progressiste et gauchiste... Il a tenté de faire valoir sa vision de la papauté : une vision plutôt césaro-papiste, teinté de la nostalgie du XIXème, qui n'était même plus celle que défendait Pie XII...
Et je persiste à penser que cette attitude est maurrassienne au moins dans la forme et qu'elle a contribué à affaiblir le sens de la papauté chez les traditionalistes... Les actuels se comportent comme leurs aînés d'AF : ils préfèrent Pie XII à Benoît XVI, comme les autres préféraient, au moment de la condamnation, Pie X à Pie XI... C'est donc la même attitude de rejet sans avoir lu ni Pie XI ni Benoît XVI, mais sans avoir lu non plus autre chose que quelques citations choisies et orientées de Saint Pie X et Pie XII !!!
En ce sens l'attitude de Mgr TdM est gravissime : il va jusqu'à déformer la pensée de Benoît XVI pour lui faire dire le contraire de ce qu'il exprime et mieux l'opposer à ses prédécesseurs. C'est un véritable travail de sape de l'Eglise et de l'autorité telle qu'elle a été instituée par le Christ.
PS : par ailleurs, ce que vous dites sur le caractère non influençable de Mgr L. contredit ouvertement l'analyse de Mgr Masson et ayant connu et suivi d'assez près Mgr L. depuis 1976, j'avoue avoir plutôt tendance à rejoindre l'analyse de ce dernier...
Ce qui me frappe dans les critiques de Mgr Lefebvre c'est qu'elles correspondent presque toutes au schéma mental suivant:
RépondreSupprimerOUI, il a eu raison de contester... mais:
NON il n'aurait pas du faire: telle chose.
D'une critique l'autre, ce qui change, c'est juste la position du curseur. OUI il aurait dû sacrer, mais NON quant au choix de ses évêques. NON il n'aurait pas du sacrer, mais OUI il pouvait ordonner ses prêtres. NON il n'aurait pas du ordonner de prêtres, puisqu'on le lui interdisait, mais OUI, il devait fonder son "séminaire sauvage". Etc etc.
Tout cela au nom de l'obéissance. Mais si au fond Marcel Lefebvre avait fait ce qu'on fait des centaines d'évêques, meurtris par les dégâts des années 60, 70, 80? s'il avait fait comme eux, c'est à dire: RIEN, si ce n'est de souffrir en silence? Souffrir en silence ce n'est pas rien mais tout de même:
Qui, parmi nous traditionalistes, peut penser ne rien lui devoir? Quand on critique Marcel Lefebvre pour tel de ses pas, dans la route qui le même à la séparation de fait d'avec les autorités romaines, il est bon de se demander: pourquoi mets-je le curseur là, et pas un peu plus en amont - ou en aval?